George Floyd, Adama Traoré et les terrasses parisiennes. Retour à l’ordre. Dé-confinement, virose et conclusion provisoire. Journal #25
Brutalités policières, létales et récurrentes. Qu’elles écrasent un afro-américain, noir de peau ou un français noir de peau, elles disent un impossible et une fracture sociétale que le politique, ici ou là, oublie de prendre à bras le corps.
Les terrasses des cafés rejouées et enfin réinvesties à la une, à deux, à la trois des journaux télévisées, sans distanciation et sans masque … Voilà le cours du monde reparti. La bête serait derrière nous, L’Amérique du sud mise à part…
Selon une étude du groupe APM Research Lab, le taux de mortalité au Covid-19 au sein de la communauté noire est environ deux fois et demie supérieur à toutes les autres. Les Afro-Américains représentent ainsi 13 % de la population mais 25 % des décès. Cela ne surprend pas les experts, qui y voient le résultat de plusieurs facteurs : comorbidités, proportion élevée de Noirs vivant dans des quartiers où l’accès aux soins est insuffisant, manque d’assurance…
© Frédéric Autan. Libération, 1er Juin 2020.
Les statistiques les plus choquantes concernent la mortalité infantile et maternelle. Les bébés noirs décèdent au cours de la première année à un taux de 11,4 pour 1 000 (4,9 pour les bébés blancs) alors que la mortalité des mères noires s’élève à 42,8 pour 100 000 (contre 11,4 pour les mères blanches). Des taux qui placent les Etats-Unis en dernière position des pays de l’OCDE…
Selon le rapport d’avril du Bureau du travail, le salaire moyen des Noirs était inférieur de 26% à celui des Blancs, et leur taux de chômage supérieur (16,7 % contre 14,2 %). Un écart qui s’est vraisemblablement creusé en mai, les licenciements dus au Covid-19 ayant plus touché les communautés hispanique et noire. Depuis les années 70, l’écart salarial entre Noirs et Blancs n’a fait que se creuser.
Au niveau national, seuls 41 % des Afro-Américains possèdent leur logement, contre 71 % des Blancs. Un écart de 30 points, supérieur à ce qu’il était en 1968 lorsque la discrimination raciale au logement était légale…
Un Noir sur vingt de 35 à 39 ans était en prison en 2018. Cette même année, la communauté noire représentait 12 % de la population totale, mais 33 % des détenus du pays. Les Blancs, à l’inverse, représentaient 63 % de la population mais seulement 30 % des prisonniers.
Previously : Un coup de gnôle? Dé-confinement et virose. Journal #24
Sur la plage abandonnée chantait Brigitte Bardot hier. Quand je dis hier, je dis avant le dé-confinement. On est maintenant passé à la « plage dynamique » et j’ai plus de huit secondes pour vous le dire, du « Restez-chez vous » au « Restez prudent-e-s », du « frontières fermées » à La Grèce et consorts qui vivent du tourisme. De l’applaudissement des soignants au comment sauver les touristes, la saison ou le gravelot à collier interrompu revenu nidifier sur les plages bretonnes et confinées, c’est selon. Tout est donc question de centration.
Avant – Après : une plage italienne en 2019. Sa préfiguration en 2020
La centration principale de l’audiovisuel 📺 sur la demande réelle ou supposée du téléspectateur (l’autrefois ménagère de moins de cinquante ans) fait son tropisme : plutôt l’information service pour un consommateur de nouvelles concernantes que le service d’une information pour un citoyen qui serait possiblement moins infantilisé par son gouvernement.
Comment porter ou laver un masque? Comment réserver un billet de train? Comment réorganiser la chaîne de montage? Comment vendre des souvenirs? Comment réserver un transat sur les plages non dynamiques rouvertes? Qu’est qu’une place dynamique? Combien de parasols sur 4 m² ?
Ces trois derniers mois, trois époques à l’écran ; La première fut blouses blanches et respirateurs artificiels, la deuxième fut à la chaîne de montage et au retour de la clientèle, la troisième est parasol, coquillages et crustacés.
– Instantanés
. 1 » Un coup de gnôle ?
La question de mon voisin m’interloque. Il est 9 heures du matin.
Ben oui, un geste barrière ! »
Et il sort un flacon de gel hydroalcoolique de sa poche. Il rentre du marché.
. 2 Des nouvelles de la rente :
Entendu sur France inter, le jour de l’ascension : « La concentration des richesses dans le monde est une bombe à retardement » (Emmanuel Faber, Pdg du Groupe Danone).
« Un ISF renouvelé pourrait rapporter plus de 10 milliards d’euros par an » estime l’économiste Thomas Piketty.
En France, les 50 % les plus pauvres possèdent à peine 5 % du total des patrimoines immobiliers, professionnels et financiers. Contre près de 60 % pour les 10 % les plus riches, et plus de 20 % pour les 1 % les plus riches. On fait quoi, on attend que la croissance et la concurrence améliorent lentement les choses ? Si c’était le cas, on aurait vu les effets depuis longtemps. Aux Etats-Unis, les 50 % les plus pauvres détenaient 3 % du total des patrimoines il y a trente ans, et moins de 1 % aujourd’hui…
Thomas Piketty. Libération, 19 mai 2020.
Pour faire face à la crise du Covid, il faut rétablir l’impôt sur la fortune, en créer une nouvelle version. La dette et la monnaie vont jouer un rôle essentiel dans les années à venir, mais cela ne suffira pas. Faire croire que personne n’aura besoin de payer quoi que ce soit à l’issue de cette crise ne convainc personne et suscite une fois de plus la suspicion. Or la détention d’un patrimoine est un indicateur de la capacité à contribuer aux charges publiques, au moins autant que le revenu, surtout dans les périodes de crise.
▶︎ Voir Des mots de minuit #423
La comédienne Judith Chemla
L’économiste Thomas Piketty
L’anthropologue et sociologue Paul Jorion
Le photographe Paolo Roversi
La musicienne Rhoda Scott
. 3 La mémoire Des mots de minuit beaucoup sollicitée ces derniers jours de mai 2020. Sale temps d’épitaphes.
. 4 Les étranges et désolantes similitudes …
Je lis dans Nomad’s land, l’un des feuilletons Des mots de minuit :
« Les files de voitures devant les banques alimentaires se sont mises à apparaître au mois de mars, signe de la dureté des temps — le 9 avril, plus de 10 000 personnes ont attendu dans leurs voitures pour une distribution de nourriture à San Antonio, au Texas. Avant la crise, seulement 400 personnes se présentaient chaque semaine sur ce site de distribution**. La crise actuelle ne fait que mettre à jour une réalité qui était là depuis longtemps, mais quasi invisible. Selon une étude récente, environ 15 % de la population américaine a eu recours aux banques alimentaires en 2015. »
Et je retombe sur ce passage d’Un jardin de sable de Earl Thompson (Traduction de Jean-Charles Khalifa) (Éd. Monsieur Toussaint Louverture) déjà évoqué par ailleurs dans ce journal. Nous sommes aux États-Unis, années 30 … :
« Cet automne-là, le cours du blé tomba à deux cents le boisseau. Mac donna le maïs à manger aux porcs, puis mangea les porcs. Le gouvernement rachetait les patates quasiment au prix de la semence, puis les passait au bleu de méthylène pour que même les porcs n’en veuillent pas? ce qui stabilisa bien le marché des patates et du porc, mais pendant ce temps, on voyait les queues s’allonger du côté du Forum à Wichita, à la soupe populaire. Les gens attendaient un petit quelque chose à manger, farine de pomme de terre, pois frits, lait en poudre, lard ou haricot. Un secours…
La file d’attente qui s’allongeait était détournée vers une ruelle derrière le bâtiment, afin que le spectacle de ces miséreux n’offense pas la vue de ceux qui ne l’étaient pas encore. Et tous devaient apporter leur propre sac. »
Le chemin de l’anormal. Raoul Vaneigem. Dé-confinement + 4 jours et toujours virose. Journal #23
Pas facile de retrouver le chemin de l’anormal. Le dé-confinement est à l’œuvre qui redonne du semblant d’avant. On peut s’y précipiter pour relancer l’économie ou retrouver des repères et des amis. Mais à bas-bruit, dans les têtes, s’est sans doute inscrit quelque chose qui s’appelle soif d’autrement. Autrement ou comme avant mais en pire selon Houellebecq. On peut situer plus radical et revigorant : Raoul Vaneigem
…
Raoul Vaneigem. PEUPLES DU MONDE, ENCORE UN EFFORT ! La feuille de choux, 11 avril 2020.
Jusqu’à ce jour, nous ne nous sommes battus que pour survivre. Nous sommes restés confinés dans une jungle sociale où régnait la loi du plus fort et du plus rusé. Allons-nous quitter l’emprisonnement auquel nous contraint l’épidémie de coronavirus pour réintégrer la danse macabre de la proie et du prédateur ? N’est-il pas manifeste pour toutes et tous que l’insurrection de la vie quotidienne, dont les gilets jaunes ont été en France le signe annonciateur, n’est rien d’autre que le dépassement de cette survie qu’une société de prédation n’a cessé de nous imposer quotidiennement et militairement ?
Ce dont nous ne voulons plus
est le ferment de ce que nous voulons
La vie est un phénomène naturel en ébullition expérimentale permanente. Elle n’est ni bonne ni mauvaise. Sa manne nous fait cadeau de la morille tout autant que de l’amanite phalloïde. Elle est en nous et dans l’univers comme une force aveugle. Mais elle a doté l’espèce humaine de la capacité de distinguer la morille de l’amanite, et un peu plus ! Elle nous a armés d’une conscience, elle nous a donné la capacité de nous créer en recréant le monde.
Pour nous faire oublier cette extraordinaire faculté, il a fallu que pèse sur nous le poids d’une histoire qui débute avec les premières Cités-Etats et se termine – d’autant plus hâtivement que nous y mettrons la main – avec l’effritement de la mondialisation marchande.
La vie n’est pas une spéculation. Elle n’a que foutre des marques de respect, de vénération, de culte. Elle n’a d’autre sens que la conscience humaine, dont elle a doté notre espèce pour l’éclairer.
La vie et son sens humain sont la poésie faite par un et par toutes et tous. Cette poésie-là a toujours brillé de son éclat dans les grands soulèvements de la liberté. Nous ne voulons plus qu’elle soit, comme par le passé, un éclair éphémère. Nous voulons mettre en œuvre une insurrection permanente, à l’image du feu passionnel de la vie, qui s’apaise mais jamais ne s’éteint.
C’est du monde entier que s’improvise un chant des pistes. C’est là que notre volonté de vivre se forge en brisant les chaînes du pouvoir et de la prédation. Des chaînes que nous, femmes et hommes, nous avons forgées pour notre malheur.
Nous voici au coeur d’une mutation sociale, économique, politique et existentielle. C’est le moment du «Hic Rhodus, hic salta, Ici est Rhodes, ici tu sautes». Ce n’est pas une injonction à reconquérir le monde dont nous avons été chassés. C’est le souffle d’une vie que l’irrésistible élan des peuples va rétablir dans ses droits absolus….
– Instantanés
. 1 Les cartes du journal Le Monde pour mieux appréhender la bête …
. 2 La fin de la saison 10 de la série The Walking Dead... Un serial parcours permis par le confinement, à 16 épisodes par saison
▶︎ Voir Des mots de minuit #595 avec la philosophe Sandra Laugier et le photographe Reza.
Une philosophie des séries et les rêves et dérives de l’Iran
. 3 Le dé-confinement mais à quand le retour de marches de plus de 100 kilomètres …
Que sont devenu-e-s celles et ceux pour qui la route est si longue alors que paradoxalement le « syndrome de la cabane » (peur, voire angoisse de sortir après un long enfermement) frappent certain-e-s déconfiné-e-s …
… En attendant toujours lire
Certains d’entre nous auraient aimé te suivre, jeune homme au pied silencieux. Mais nous n’avons pas osé.
Ceux qui partent. Jeanne Benameur. Actes Sud, 2019
Tu marches pour nous dans la nuit et chacun de tes pas résonne au fond de nos cœurs. Là où tu poses le pied, tant d’autres l’on fait.
Tu ne sais pas dans les pas de qui tu marches.
Ce sont des choses qu’on ne sait jamais.
Nous voudrions sentir la clameur de leurs os au fond de nos os et prendre force.
Pourras-tu la faire entrer dans ta musique ?
Quand tu sortiras ton violon à nouveau et que tu joueras, seront-ils là ?
Nous saurons les reconnaître au creux de nos vertèbres et nous aurons l’audace nous aussi de tenir notre dos droit à nouveau pour aborder la nouvelle terre.
« Tout ce que l’exil fissure peut ouvrir de nouveaux chemins. En cette année 1910, sur Ellis Island, aux portes de New York, ils sont une poignée à l’éprouver, chacun au creux de sa langue encore, comme dans le premier vêtement du monde…
Quand j’écris un roman, j’explore une question qui m’occupe tout entière. Pour Ceux qui partent, c’est ce que provoque l’exil, qu’il soit choisi ou pas. Ma famille, des deux côtés, vient d’ailleurs. Les racines françaises sont fraîches, elles datent de 1900. J’ai vécu moi-même l’exil lorsque j’avais cinq ans, quittant l’Algérie pour La Rochelle.Après la mort de ma mère, fille d’Italiens émigrés, et ma visite d’Ellis Island, j’ai ressenti la nécessité impérieuse de reconsidérer ce moment si intense de la bascule dans le Nouveau Monde. Langue et corps affrontés au neuf… » J.B.
▶︎ Voir Des mots de minuit #525 avec la romancière Jeanne Benameur et l’économiste Éric Maurin .
Parce que ce conformisme-là permet d’échapper à la solitude qu’impose l’”individualisme” ultra libéral, il est salutaire. Pour Eric Maurin, dans un monde qui pousse chacun à l’”autoréalisation”, les individus ont “plus que jamais besoin de faire comme les autres pour ne pas s’en couper”. La romancière questionne un isolement identitaire. Il touche à l’esseulement de l’otage après la libération.
. 4 Les pépites de l’Institut national de l’audiovisuel.
Jours 51, 52, 53, 54 … Il pleut. Albert Camus, Dé-confinement et toujours virose. Journal #22
51, 52, 53, 54 … What else ? Il pleut. Le journal ouvre ce lundi 11 matin avec la météo de Marie-Pierre P.. Signe, parmi d’autres, que quelque chose a changé. 100 km de vol d’oiseau quand le Conseil constitutionnel les aura validés. L’économie qui se recherche et qui rouvre. Les cheveux qui vont tomber. Le bus masqué. Seulement 70 morts hier par chez nous mais de nouveaux « clusters » en Allemagne et dans l’exemplaire Corée du sud. Les parcs verts et les parcs rouges. La culture encore largement fermée mais moins de vase clos. Dé-confiner. Dé-compresser. Des comprimés. Chercher l’erreur et vogue le …, la g …
– Instantanés …
. 1 Il n’y aura pas de distribution aux habitants dûment identifiés de deux masques (papier et tissu) sur la place du village aujourd’hui. Il pleut trop.
. 2 « Glurps » :
« Malgré les gestes barrières, malgré la distanciation sociale, malgré le confinement, il y aurait encore, en réalité, de 3 000 à 4 000 nouvelles contaminations chaque jour, selon l’épidémiologiste Daniel Lévy-Bruhl, responsable de l’unité des infections respiratoires de Santé publique France (SPF). « C’est nettement moins qu’il y a un mois, mais c’est encore beaucoup, rappelle Anne-Claude Crémieux, professeure d’infectiologie à l’hôpital Saint-Louis, à Paris. On va donc déconfiner avec des chaînes de contamination encore actives et une connaissance très grossière de ce qui se passe. On ne dispose pas d’un état des lieux sur l’ensemble des Ehpad, ni dans tous les hôpitaux, et on ne connaît pas les conditions d’infection des nouveaux contaminés, alors que cette période aurait dû nous permettre de bien analyser tous ces points. Il n’y a pas eu de réelle stratégie de santé publique pour réussir le déconfinement. »
© Le Monde, 11 mai 2020
© France 2 pour l’image
. 3 J’ajoute « chaînes de contamination » à mon carnet de vocabulaire, plus pernicieuses, semble-t’il dans les familles que dans les transports en commun.
Et j’ajoute un poil de Shakespeare (Jules César, Acte 2, scène 2). Calpurnia, que l’on imagine inquiète de sa nuit essaye de convaincre Jules de ne pas aller au sénat aujourd’hui. Il y a de la mort dans le rêve de la femme de l’empereur qui, jupitérien en diable, lui répond :
« Cowards die many times before their death, the valiant never taste of death but once »
(« Les lâches meurent plusieurs fois avant leur mort, le vaillant n’a jamais goûté à la mort qu’une fois »). Brutus passera par là.
. 4 Les quatre marqueurs du jour par ordre d’apparition à l’écran : les coiffeurs, les usagers des transports, les entrepreneurs, les retraités.
. 5 Réécouter un peu de sagesse avec Jean-Toussaint Desanti.
▶︎ Voir Des mots de minuit #07 avec le philosophe Jean-Toussaint Desanti et le chorégraphe Seydou Boro
Pour Desanti, la philosophie est fondée sur la capacité à chercher et à travailler les questions, sur l’alternance de la réflexion et de l’action, sur la transmission. Il espérait, comme enseignant, “inquiéter” ses élèves et se disait favorable aux cafés philosophiques qui, peut-être, vont à l’encontre du “prêt-à-penser”.
. 6 Et je ne résiste pas alors que nous en sortons apparemment mais que beaucoup reste à découvrir avant que cette virose-là entre dans l’histoire, à reprendre la page 185 de La peste de Camus, le roman le plus acheté, (le plus lu ?) pendant ce confinement :
AINSI, à longueur de semaine, les prisonniers de la peste se débattirent comme ils le purent. Et quelques-uns d’entre eux, comme Rambert, arrivaient même à imaginer, on le voit, qu’ils agissaient encore en hommes libres, qu’ils pouvaient encore choisir. Mais, en fait, on pouvait dire à ce moment, au milieu du mois d’août, que la peste avait tout recouvert. Il n’y avait plus alors de destins individuels, mais une histoire collective qui était la peste et des sentiments partagés par tous. Le plus grand était la séparation et l’exil, avec ce que cela comportait de peur et de révolte. Voilà pourquoi le narrateur croit qu’il convient, à ce sommet de la chaleur et de la maladie, de décrire la situation générale et, à titre d’exemple, les violences de nos concitoyens vivants, les enterrements des défunts et la souffrance des amants séparés.
La peste. Albert Camus. Gallimard, 1947.
« En pleine épidémie de coronavirus, les ventes de La Peste de Camus s’envolent…
Depuis début 2020, les éditions Gallimard ont déjà vendu 40% des quantités habituellement écoulées en une année. Avec un pic important à la fin du mois de janvier, date à laquelle sont apparus les premiers cas de coronavirus en France.«
Annabelle Georges. Le Figaro, 3 mars 2020.
Jours 48, 49, 50 …
Dans 5 jours, fini la colle du confinement. Il est dit que les gens superstitieux mettent des pivoines dans leur maison pour chasser le mauvais esprit. On devrait tester cette médication fleurie dans les écoles de la semaine prochaine dans lesquelles le ministre de l’éducation estime que chaque élève accueilli sera une bonne nouvelle, ou dans les prisons autrefois surpeuplées … dans un pays au gouvernement un tantinet brouillon.
– Instantanés …
. 1« Bon, ben pas d’école maternelle avant septembre pour P. ( aucune enseignante de son école n’assurera la classe en présentiel). Elles sont toutes des personnes vulnérables ou ont dans leur entourage des personnes vulnérables (comme nous tous en fait !)
Et E. Macron qui dit que rien n’est certain pour les vacances d’été. Vive le déconfinement, la déconfiture. Oui plutôt ! » (Une mère parisienne d’un enfant de trois ans)
. 2 Le parcours du combattant des transports parisiens … Le retour des ronds-points?!?
Au delà ce ce rond-point , votre ticket n’est plus…
. 3 Jamais je n’imaginais ce jour où je pourrais barrer à la fin de chacune des émissions Des mots de minuit :
La peine de mort n’a toujours pas été abolie aux États-Unis, notamment, et
Le journaliste qui assume Des mots de minuit et qui lit sur France info :il y a toujours surpopulation dans les prisons françaises….
bien lire :
etil y a toujours surpopulation dans les prisons françaises….
« Taux d’occupation des prisons françaises inférieur à 100% : une occasion de résorber définitivement la surpopulation carcérale, pour la contrôleure générale des prisons »
Alors que le taux global d’occupation des prisons est passé sous la barre symbolique des 100% pour la première fois depuis des décennies, sous la pression de l’urgence sanitaire, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, a saisi, mardi 5 mai, la ministre de la Justice pour lui demander de prendre des mesures afin de résorber définitivement la surpopulation carcérale en France. Pour cela, elle appelle à tirer les enseignements des mesures exceptionnelles qui ont permis la libération massive de détenus en fin de peine, ces dernières semaines.
francetvinfo. 6 mai 2020.
C’est une longue lettre de quatre pages, adressée par Adeline Hazan à Nicole Belloubet, pour la pousser à se saisir du contexte sanitaire inédit, dû à l’épidémie de coronavirus. Afin d’éviter une hécatombe dans les prisons surpeuplées de l’Hexagone, des milliers de détenus en fin de peine ont été libérés, jusqu’à faire passer en avril le taux d’occupation global des prisons sous la barre symbolique des 100% pour la première fois depuis plusieurs décennies…
. 4 Black and white « A l’école d’autrefois ». Bipolarité masquée … Ah, les colles d’autres fois !
A partir du 11, une nouvelle étape va commencer…
Emmanuel Macron, 5 mai 2020
. 4 bis : Mais que sont ces masques ?
. 4 La Saint-Philippe est le 3 mai. De quelle année?!?
. 5 J’ajoute asymptomatique à mon carnet de vocabulaire. On ne sait jamais…
. 6 Des nouvelles de la rente et des egos. Le Canard enchaîné, 6 mai 2020.
. 6 bis Des egos … La tirade des « non, merci » version Vincent Lindon sur Mediapart
. 7 Et je lis Lever la tête et inventer un nouveau répertoire érotique (Pages 112et 113) Sortir du trou et échapper à notre vision étriquée du sexe de Maïa Mazaurette.
Au mot « sexuel » près dans cet extrait, on pourrait se croire dans une directive administrative et bien écrite de période de à venir de déconfinement :
Les limites posées dessinent le territoire de la permission. Elles permettent, paradoxalement, d’éviter les contraintes.
Concrètement, les conditions potentiellement négociables incluent des limites temporelles, spatiales, émotionnelles, physiques, symboliques, ainsi que des limites de langage, de pratiques et tout simplement de confort.
Lever la tête et inventer un nouveau répertoire érotique Sortir du trou et échapper à notre vision étriquée du sexe Maïa Mazaurette. Éditions Anne Carrière, 2020.
Les limites seront bien sûr renégociées dans le temps : la zone blanche est mouvante. )
Contrairement à ce qu’on pourrait s’imaginer, le consentement est compatible avec l’improvisation, du moins si le partenaire est connu (ou si les termes du rapport sexuel sont clairs.) Il suffit d’improviser lentement, pour que l’autre comprenne ce qu’on s’apprête à faire, et dispose du temps nécessaire pour dire non ou interrompre l’interaction. À cet effet, il faudra bien entendu s’abstraire des représentations héritées du cinéma où la passion s’exprime par la précipitation (rassurez-vous: prendre quelques secondes de plus pour entamer, continuer ou terminer un geste ne vous mettra pas en retard pour attraper le dernier métro)…
Maïa Mazaurette est autrice, chroniqueuse et illustratrice. La majeure partie de son travail tant éditorial que fictionnel porte sur les questions de sexualité et de la place du corps dans les sociétés. Elle tient notamment des chroniques régulières dans Le Monde, GQ Magazine, Usbek & Rica et Le Temps, où elle décrypte les normes, les injonctions et les représentations stéréotypées liées à la sexualité et au genre. Expatriée depuis douze ans et nomade acharnée, elle réside actuellement à Brooklyn.
© Éditions Anne Carrière
Jours 46, 47 … À cheval sur les principes sinon … Confinement et virose. Journal #20
Ce dimanche a la morosité des jours sans. Entre les 250 000 morts du virus dans le monde, sans compter Les milliers de morts invisibles du journal Le Monde; les doutes infantilisants de gestion de crise d’un ministre; la prolongation de l’état d’urgence sanitaire; le poids des mots d’un professeur marseillais qui estime que les vaccins ne sont pas toujours la bonne solution pour une maladie qui n’est pas immunisante; on est plus proche du rouge et du noir que du vert … Alors, place aux arbres, aux livres et aux séries !
– Oui, lire au creux des arbres …. © Ph. L
– Ou tomber sur Earl Thompson pages 50 et 51 d’Un jardin de sable (Traduction de Jean-Charles Khalifa)
Un Jardin de sable est une œuvre puissante et sombre, traversée de violences et de transgressions. Une histoire peuplée d’êtres acariâtres, de gamins aux mentons croûtés, de truands, de vagabonds, de prostituées, de macs et de brutes – les ongles y sont sales, la peau, couverte de bleus, et les draps comme les âmes sont souillés au-delà de toute rédemption. Pourtant c’en est beau de douleur et de foi en l’avenir. C’est Steinbeck et Fante. C’est Bukowski et Zola. C’est de la dynamite et de la poésie. C’est la vie. Brutale, nauséabonde, fragile et magnifique.
Earl Thompson est né en 1931 au Kansas. Il sert dans la marine durant la Seconde Guerre mondiale et dans l’armée pendant le conflit coréen. Son premier roman, Un Jardin de sable (1970)… Entre la Californie et l’Europe, il écrit trois autres livres avant de décéder à 47 ans d’un anévrisme.
© Monsieur Toussaint Louverture 2019.
– Et rester sensibles aux clins d’œil équins, ovins et canins …
– Quitte à suivre les séries Des mots de minuit
▶︎ Voir Une bergère contre vents et marées, une série Des mots de minuit
Elle habitait Paris. Elle vit et travaille désormais en Normandie. Par passion pour la terre et l’élevage, elle a quitté le tertiaire de la capitale pour devenir bergère de moutons de prés salés… Et Madame la maire, aujourd’hui.
Jours 44, 45 … Avoir la mue gaie ! Confinement et virose Journal #19
Avoir une mue gaie… qui serait dure à fer pousser. Tout est là : dans ce que sera notre capacité à réinventer l’après ou pas …. à bousculer les dogmes, à ne pas se précipiter ni chez Ronald Mac Donald, à ne pas chercher une compagnie sur un nanar essoré des années 70. Écartelé-e-s entre « le risque d’écroulement » de l’économie et celui de l’effondrement psychique du confinement, ce serait cool un grand monde capable de penser contre lui qui ne chercherait pas l’ornière des habitudes, du réconfort ou de la rente. Un monde qui a commencé à se réinventer dans les hôpitaux et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes … Nonobstant, j’ajoute dystopie à mon carnet de vocabulaire .
– Relire Lászlo Krasznahorkai pages 25, 26 et 27 de Guerre&Guerre (Traduction de Joëlle Dufeuilly) (Éditions Cambourakis, 2013).
« Je ne suis pas devenu fou […] mais je vois aussi clairement que si j’étais fou. »
Petit historien local travaillant dans un centre d’archives poussiéreux situé à deux cent vingt kilomètres de Budapest, Korim, qu’une tristesse sans âge tenaille au point de lui faire perdre la tête, découvre un jour un mystérieux manuscrit que nul n’avait dérangé depuis des décennies.
Ce texte, d’une force poétique bouleversante, relate l’éternelle errance de quatre figures angéliques poursuivies sur terre et à travers l’Histoire par l’extension inexorable du règne de la violence. Pénétré par l’absolue vulnérabilité de ces personnages, Korim se donne pour but de délivrer au monde l’obsédant message porté par le manuscrit.
C’est à New York, au « centre du monde », qu’il décide d’accomplir cette tâche, avant d’entrevoir, au terme de sa course folle, la possibilité d’un refuge pour ses compagnons…
– En attendant que tout passe au rouge ou au vert, se vivre en orange et en département limite…
Jours 41,42, 43 … « DRASTIQUE » qu’ils disent tout le temps! Journal #18
Sachant que, « déconfi », j’ai besoin de changer trois fois de masque par jour pour aller travailler; sachant que j’ai toujours des difficultés à en trouver; sachant que celui que j’ai fini par me procurer est lavable 20 fois mais coûte plus cher; sachant que j’ai trois enfants dont deux au collège, en 6ème et en troisième, et que ce dernier a peut-être besoin d’un masque; sachant que je suis au chômage partiel, sachant que je veux aller visiter mes parents qui habitent à 101 kilomètres de la maison; sachant que j’ai besoin d’un panier-repas quand je suis en télétravail un jour sur deux; sachant que ma facture d’électricité augmente…
En fait, il n’y a pas de problème. Je n’arrive pas au bout de l’énoncé !
– Instantané.
J’ai failli titrer « la fin des gilets jaunes » ou « le grand remplacement ». Horreur-malheur ! Les premiers et leur légitimité sont loin d’avoir disparu alors que la virose révèle et annonce un peu plus de fracture sociale. L’autre est un fantasme malsain et idéologique (on meurt beaucoup quand on veut venir « chez nous »).
Pourtant, alors qu’un président a fixé une échéance et que son fusible vient de détailler le préfixe qui va avec confinement, les médias de masse ont basculé de la santé à l’économie et à l’info-service …
Plus besoin d’inventer des exercices insolites dans son jardin dès le onze mai. En revanche, pas question de replonger dans le grand bain ou de s’entraîner en salle…
… annonce le 20 heures de l’une des encore grand-messes. La machine à « informer » a retrouvé sa facilité à décrire les quotidiens à venir (les coiffeurs, les départements verts ou rouges) et à faire du micro trottoir (la cabine d’essayage, les couloirs de circulations ou le sens unique du libraire, le compas et les 100 kilomètres, les prochaines vacances que comme « on est vieux, on fera quand même attention ») un ersatz (un remplacement !) de sociologie.
Comment font les voisins avec un siège sur deux ou trois ? Toujours cette manière de « benchmarking ».
Mais plus (plus du tout) ou (beaucoup) moins d’éboueurs, plus (du tout) ou (beaucoup) moins d’aides-soignants, plus (du tout) ou (beaucoup) moins de médecins de quartier, plus (du tout) ou (beaucoup) moins de professeurs sauf si une maladie infantile au nom japonais complique une symptomatologie, plus (du tout) ou (beaucoup) moins d’ambulanciers, plus (du tout) ou (beaucoup) moins d’infirmières. Plus (du tout) d’images d’hôpital et d’intubés retournés sur le ventre, les mollets à l’air… Et les chiffres évacués à la vitesse d’un effet visuel. Pas eu le temps de lire, plus de 420 morts mais le commentaire ajoute
d’autres chiffres sont encourageants …
Entendu dans un journal télévisé …
Et Boeing qui licencie et Airbus qui craint. Et plus de 11 millions de Françaises et Français en chômage partiel …
Et Dans mon carnet de vocabulaire j’écris :
DRASTIQUE
que j’entends à longueur de reportages et de commentaires …
– Sinon, on n’a jamais autant médité …
– Ou bricolé … socialement distantes et distants s’entend dans des temporalités qui s’inventent ici docilement.
– Ou oublié que la Méditerranée est aussi un cimetière quand il y a urgence vitale à fuir …
– Et j’ajoute que la mutation de l’information (le tout info en est, à de rares exceptions près, son expression la plus inaboutie) a fait une victime : cet autre colloque singulier qui pouvait unir un citoyen et son journal. Maintenant que les tuyaux déversent autant de contenus que d’indigestions, les centaines de chaînes ou de canaux de diffusion, les dizaines de réseaux sociaux ne garantissent plus une citoyenneté éclairée mais inscrivent d’abord dans une consommation massifiée. La rupture civilisationnelle qui s’essentialise dans la connexion ininterrompue fait souvent fi du choix et de l’exigence de ce qui est donner à voir, à lire, à entendre ; du professionnalisme de terrain, de la temporalité de la réflexion et de l’investigation, de ces gages de métissage et de connaissance.
Les journalistes (et leurs clones) sont devenus des « immédiateurs » dans un paysage qui a parfois des allures de café du commerce dans l’imbécillité paresseuse d’un questionnement de petit matin et de coq-à-l’âne.
Autres temps, autres mœurs.
« O tempora, o mores »
– Petites musiques … (La plupart des noms ont été changés mais les sources sont sûres). Quand l’exception confirme les contraintes par ailleurs apparemment largement respectées par le civisme français. Quand les médecins continuent de craindre.
Michèle :
« Le confinement n’a rien changé à A. … Le terrain de foot à côté de la résidence est plein de monde toute la journée, tous les jours, du matin au soir jusqu’à plus de 22 heures. Ce sont des cris, des hurlements assourdissants dans tout le quartier. Ce terrain est fermé mais les jeunes passent par dessus les barrières … La police passe pour leur demander d’évacuer mais reçoit des doigts d’honneur comme réponse.«
Olivier :
« Ici tout va bien, un peu inquiet pour la suite car faire appel au civisme des français ne me rassure pas du tout… Devant chez moi la circulation a déjà bien repris, mais bon ce sont les Catalans ! Comme nous ne sommes pas trop touchés, les gens ne prennent pas la chose au sérieux et ils vivent ça comme une contrainte. »
Sophie :
« J’avais tous les symptômes : fièvre, plus d’odorat ni de de goût, fatigue. Mon médecin traitant me prescrit un test. Au laboratoire, on me répond : Inutile de vous tester, vous l’avez ! Je vais mieux mais je ne sais pas si je l’ai eu ! »
Madeleine :
« Le gouvernement se mange Kafka mais j’ai un doute. Je ne sais pas pour l’école. S’agit-il de fracture numérique et sociale à compenser ou de volant de main d’œuvre à retrouver? »
Jamil :
Jamil Rahmani est chef du service d’anesthésie-réanimation, à Institut Hospitalier Franco-Britannique et romancier. Sur facebook, son journal de non-confinement :
« Journal de non confinement 30 …
Demain nous n’aurons plus que deux lits occupés en réanimation, le grand nettoyage a commencé pour accueillir des patients non COVID en début de semaine prochaine. En attendant nous avons créé deux places de soins continus non COVID en salle de réveil. L’activité opératoire a repris hier, le nombre de patients est restreint car nous les considérons tous COVID+, nous prenons donc des mesures drastiques pour ne pas être contaminés et protéger les opérés. Il faut quasiment 30 minutes entre chaque patient pour nettoyer la salle d’opération. Nous ne récupérerons pas notre activité antérieure avant plusieurs mois. Toute personne franchissant le seuil de l’hôpital doit se masquer. Un agent à l’entrée distribue masques et gel hydro-alcoolique. Le premier ministre a déclaré à l’Assemblée Nationale que les masques seraient obligatoires dans les transports en commun. Ils ne le seront donc pas dans tous les espaces publics. Cela signifie que la France ne disposera pas le 11 mai d’assez de masques pour les imposer à tous et partout. En effet, on ne peut rendre obligatoire ce qui est indisponible. Je le répète, le masque pour tous est indispensable si l’on veut réussir le déconfinement. Se masquer si tout le monde ne l’est pas ne protège pas. Il faut rendre le masque obligatoire partout et demander à ceux qui n’en disposent pas de rester chez eux en attendant que la production soit suffisante. La position des pouvoirs publics sur le masque a évolué en quelques semaines et il n’est pas exclu qu’elle change encore d’ici le 11 mai. Monsieur Philippe, l’a bien dit, en l’absence de traitement reconnu, les mesures barrières sont les seules qui peuvent nous protéger. Les experts prévoient un nouveau pic en juin 2020. Il sera moins élevé que le précédent si les mesures barrières sont respectées…
– Ou chercher un refuge ou une distance dans les pages cornées … et tomber sur BW.
J’ai une idée pour sauver l’édition de littérature, s’exclame BW en levant un doigt éclairé (car BW a ce qu’on appelle de la suite dans les idées) : organiser des line-up télévisés en faisant défiler les écrivains en tenue érotique, comme dans les bordels du Nevada.
BW. Lydie Salvayre, 2009 (Seuil).
Si tu te crois drôle ! dis-je.
« Le 15 mai 2008, celui que dans le livre j’appelle BW perd brutalement l’usage de ses yeux.
Dans l’urgence de parler pour tenir tête au désarroi, BW me livre alors tout ce qu’il a gardé secret durant nos années de vie commune : ses fugues, ses frasques, ses trekkings dans l’Himalaya, sa fulgurante carrière de coureur à pied, les souvenirs obsédants d’un Liban déchiré par la guerre, autant d’expériences, autant de détours qui l’ont conduit, il y a trente ans, à travailler dans l’édition.
Car BW est éditeur, et la littérature, sa vie.
Avec une ironie désenchantée, il me parle, le jour, de ses quinze existences passées, de son métier déraisonnablement aimé et de sa décision, mûrie dans le noir, de tirer sa révérence devant des mœurs éditoriales qui lui sont peu à peu devenues étrangères.
Je compose, la nuit, le texte dont il est le centre avec le sentiment que son geste de quitter ce que d’autres s’acharnent à rejoindre revêt aujourd’hui un sens qu’il faut, à tout prix, soutenir.
Tous deux nous nous sentons poussés comme jamais par une nécessité impérieuse. Pour lui, celle de dire ou de sombrer. Pour moi, celle d’écrire ces mots-là, et aucun autre.
Ce livre, écrit à vif, est le roman de cette traversée. »
© Seuil
▶︎ Voir Des mots de minuit #355 avec Lydie Salvayre (et François Morel, Ousmane Sow et Anouk Grinberg, Pascal Rabaté)
▶︎ Quand Des mots de minuit font documentaire à Madrid avec notamment Lydie Salvayre…
Jours 38, 39, 40 … La quarantaine et un petit côté badass. 😷 Confinement et virose. Journal #17
Nous en sommes toutes et tous à 40 jours de confinement et notre quarantaine nous donne ce petit côté badass. Faut dire qu’avec nos masques, les vrais, les faux, les en tissu, les comme à l’hôpital, les à bec de canard; avec nos gants pour avoir l’air de ne pas y toucher et nos découpes de cheveux à l’as de pique ou au pétard, nous faisons tout pour nous faire remarquer. À l’intérieur c’est cul par dessus tête, l’hubris en capilotade et en dérapage contrôlé…
– Putain, ça fait quarante jours ! Passez-moi cette démesure de langage, mais ça commence à faire long la virose, d’autant qu’elle est loin d’avoir dit « son dernier maux », quel que soit ce que nous attendons du dé-confinement (mot que j’ajoute avec son préfixe à mon carnet de vocabulaire puisqu’il n’existe pas encore dans le dictionnaire Larousse ni dans celui de l’Académie française) et de son possible « stop and go ». Ça s’en va et ça revient même s’il ne s’agit pas d’un tout petit rien (On n’hésite ici entre le clin d’œil musical à Stacey Kent ou à Claude François)
– Côté folie douce, je voulais vous signaler la colère du grondin de chez Colline, vexé que son pote le Saint-pierre lui ait volé la Une l’autre jour. Colline, sa marchande dit : « quand il a cette taille on l’appelle « la tombe » parce que son poids l’entraîne au fond… »
- Tout au conditionnel pour nous calmer cette hubris d’humain sûr de lui et dénominateur un vrac non exhaustif de quarante raisons & questions :
1 Les âneries de Trump (Ne buvez pas d’eau de javel !)
2 Comment supporte-je celles de Bolsonaro ?
3 Pourquoi éternue-je ?
4 Où achète-je les masques en tissu,
5 Où les porte-je ? Dans la rue ? À l’école ? À l’usine ? Dans le bus ?
6 Crois-je au virage social d’Emmanuel Macron?
7 À celui de son ministre de l’économie ?
8 Que sais-je de l’immunité relative ou définitive des infectés désinfectés?
9 De la quantité et la fiabilité des écouvillons, de celles des prélèvements sanguins ?
10 Regrette-je l’absence actuelle de médicament efficace à part le doliprane ?
11 Les avis du conseil scientifique en délicatesse avec les décisions du gouvernement
12 Le vaccin, c’est du long terme
13 Devine-je à quand la deuxième vague ?
14 Continue-je de craindre le nosocomial à l’hôpital ?
15 Continue-je à télétravailler ou pas ?
16 Déplore-je la fiabilité des respirateurs fabriqués dans l’urgence ?
17 Veux-je l’obtention d’un passeport d’immunité ?
18 Crois-je à l’augmentation des légumes ?
19 Sais-je si les enfants sont contaminants ou pas ?
20 Reprendrais-je l’avion ?!?
21 Repasserais-je une frontière ?!?
22 Repartirais-je en vacances ?!?
23 Me baignerais-je une heure sur 6 ?!?
24 Que feront-ils du déficit budgétaire ?
25 Souhaite-je le rétablissement de l’impôt sur les plus fortunés ?
26 La limitation de la rente et des dividendes ?
27 Continue-je de déplorer le réchauffement climatique ?
28 Retournerais-je dîner au restaurant ?
29 Boire un café en terrasse ?!?
30 Referais-je des bises ?!?
31 Serrerais-je à nouveau la main ?!?
33 Pour qui la prime dans les hôpitaux ?
34 Que fais-je avec les avis de l’Académie de médecine différents des décisions du gouvernements ?
35 Avec les recommandations de l’OMS divergentes des décisions du gouvernement ?
36 Que pense-je de l’avenir de notre hystérie de consommation ?
37 De la survie de la solidarité ?
38 Du prix de l’essence ?
39 Retournerais-je chez le coiffeur sans crainte ?!?
40 Quand vais-je l’avoir ?
Quand quelqu’un dit : je me tue à vous le dire ! laissez-le mourir …
Jacques Prévert. 1951.
– Des nouvelles de la rente. Elle continue à chercher à se porter comme un charme …
Bruno Le Maire a annoncé, ce jeudi que les entreprises basées dans les paradis fiscaux ne percevront pas des aides de l’état d’urgence sanitaire. La veille, pourtant, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative, un amendement en ce sens a été voté contre l’avis du gouvernement. En commission mixte paritaire, ledit amendement n’a finalement pas été retenu.
Le 23 avril 2020. Par Simon Barbarit. Public Sénat.
… / … À l’image du Danemark et de la Pologne, la France est le troisième État de l’Union européenne à soumettre les aides d’État à cette condition. Mais par cette annonce, Bruno Le Maire dédit la position prise par le gouvernement quelques heures plus tôt au Sénat, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative
En pleine crise, la rémunération du PDG du parapétrolier TechnipFMC fait polémique
Par Nabil Wakim Publié hier à 18h55, mis à jour hier à 20h09 Le Monde.
Les syndicats français du groupe demandent la démission de Doug Pferdehirt, le PDG américain, et demandent l’intervention de l’Etat français, actionnaire du groupe.
… / …
Le groupe franco-américain TechnipFMC n’échappe pas à cette vague rouge sur l’industrie pétrolière. Il a publié, jeudi 23 avril, des comptes qui laissent peu de doutes sur les difficultés à venir dans les prochains mois. Sa perte nette a atteint 3,256 milliards de dollars contre un bénéfice de 20,9 millions au premier trimestre de 2019. Les prises de commandes sur la période ont également chuté de 66 %, à 2,099 milliards de dollars.
« Au cours des deux derniers mois, beaucoup de choses ont changé dans le monde, et nous prenons rapidement des mesures décisives pour répondre à cet environnement de marché », a assuré dans un communiqué Doug Pferdehirt, le PDG américain du groupe, qui a souhaité envoyer des signaux de réduction des coûts. Il a ainsi annoncé que TechnipFMC augmente son objectif d’économies à plus de 350 millions de dollars et réduit cette année le salaire fixe de ses dirigeants – de 30 % pour le PDG et le conseil d’administration. Le groupe va tout de même distribuer des dividendes, mais ils seront réduits de 75 %.
Selon l’intersyndicale CFDT-CGT-CGC, la rémunération totale de Doug Pferdehirt pourrait se porter à 15 millions d’euros pour l’année 2019, en cumulant son salaire et ses actions.
– Quand la redistribution se dit autrement …
▶︎ Voir Argument sur Des mots de minuit avec Raphaël Liogier, sociologue et philosophe.
Argument explore dans ce deuxième numéro la “religion” du travail et une contre bien-pensance structurée autour de la notion de revenu universel ou de revenu d’existence dans une économie postindustrielle où les technosciences facilitent l’abondance en réduisant les coûts de production et surtout de main d’oeuvre (cf notamment la destruction des emplois industriels ou la réduction annoncée des agences bancaires).
– Alors se consoler avec le street-art
– Avec quelques compositions françaises
– Ou urgemment chercher un refuge ou une distance dans les pages cornées … et tomber sur Aragon.
Voici donc quarante ans, pas moins, que je suis rivé au milieu des passions et qu’elles me mordent sans détruire la digue qui me sépare de l’univers. Une grande commisération indifférente entoure le fauteuil des impotents. Imbéciles spectateurs, vous ne comprendrez jamais rien. Je ne donnerai pas ma place pour tout l’or du monde. Soustrait à toutes les considérations puériles des hommes, je consacre ici tout mon temps à la volupté. Mes sens réduits se sont affinés à l’extrême, et c’est dans sa pureté que je connais enfin le plaisir. La vieillesse a peu touché mon corps. Si mes cheveux ont blanchi, je n’ai point usé mes jours dans le lit d’une femme que chaque nuit fait agoniser dans sa peau ridée. Dans mon esclavage apparent, quelle liberté véritable. Du temps que j’avais le pouvoir de marcher, de parler, il fallait tenir compte des autres. Je n’osais pas penser, tout me semblait criminel. Je me limitais. Je redoutais les questions qui se posaient à moi. Une grande injustice met à l’aise. Il n’y a aujourd’hui plus un malheur qui puisse m’atteindre, plus un événement qui puisse me déconcerter. Ainsi j’ai appris à jouir de moi-même, à jouir d’autrui. Je ne pense pas à mourir. Je ne m’ennuie pas. Il n’est pas plus difficile de ne pas s’ennuyer que de ne pas parler, et je ne peux plus parler. De temps en temps l’envie violente me ressaisit d’être vivant comme tout le monde. Ce sont des crises brèves, qui me font mieux sentir mon bonheur…
Louis Aragon, La Défense de l’infini, « Le Con d’Irène » © Gallimard.
Récit érotique publié sous le manteau en 1928 sans nom d’auteur ni d’éditeur, Le Con d’Irène célèbre le bonheur de la volupté éprouvée par une jeune femme. Il fut immédiatement censuré et mis à l’index : impossible de reconnaître comme littérature une ode passionnée au sexe de la femme, «ce lieu de délice et d’ombre, ce patio d’ardeur, dans ses limites nacrées, la belle image du pessimisme. Ô fente, fente humide et douce, cher abîme vertigineux».
C’est le début de l’histoire mouvementée de ce livre sulfureux. Après une réédition clandestine en 1952 par Jean-Jacques Pauvert, le livre est réédité en 1962, toujours confidentiellement, aux éditions du Cercle du livre précieux, avec une préface d’André Pieyre de Mandiargues. Puis Régine Deforges le republie en 1968, édition à nouveau saisie…
Aujourd’hui, revenu de la provocation, le Con d’Irène est devenu un classique de la littérature érotique où demeure une fascination pour le sexe féminin.
Jours 36, 37 … Une tête de Zeus faber. Bienvenue au festival maintenu des incertitudes 😷
Dans déconfinement il y a « déconfi » et la possibilité du faux espoir. De quoi faire une tête de Zeus faber, de Saint-pierre dont le raffinement de la chair est si bien vantée par Colline la poissonnière. Aller à l’école, changer de région, préparer ses vacances, prendre un transport en commun ou un petit noir au zinc vont exiger des souffles de marathonien. Mais le sport … pas plus que l’immunité … ne seront collectif-ve après le 11 mai. L’attente est une douce tristesse. Bienvenue au festival maintenu des incertitudes !
On peut aimer les bêtes et se réveiller avec une sale gueule de vertébré aquatique mais avoir un bon fond. Certains appellent ça la résilience. L’adversité est là quand la ressource permettra de s’en sortir. Mais …
entre le pétrole qui ne vaut plus un dollar, un kopek ou un ryal et le médicament et le vaccin dont un euphémisme veut qu’ils soient encore lointains …
entre la contamination générale des populations qui va prendre son temps à cause que le confinement a cet effet paradoxal d’empêcher une propagation du virus, salutaire à terme – 70% de la population infectée disent les experts – et un possible monde d’après …
les repères, comme les vacances d’été sont incertain-e-s quoique …
– Les valeurs sûres et l’élan vital …
Cette épidémie nous apporte un festival d’incertitudes. Nous ne sommes pas sûrs de l’origine du virus : marché insalubre de Wuhan ou laboratoire voisin, nous ne savons pas encore les mutations que subit ou pourra subir le virus au cours de sa propagation. Nous ne savons pas quand l’épidémie régressera et si le virus demeurera endémique. Nous ne savons pas jusqu’à quand et jusqu’à quel point le confinement nous fera subir empêchements, restrictions, rationnement. Nous ne savons pas quelles seront les suites politiques, économiques, nationales et planétaires de restrictions apportées par les confinements. Nous ne savons pas si nous devons en attendre du pire, du meilleur, un mélange des deux : nous allons vers de nouvelles incertitudes…
Edgar Morin. Le Monde, Propos recueillis par Nicolas Truong à 05h47, 19 avril 2020.
Les connaissances se multiplient de façon exponentielle, du coup, elles débordent notre capacité de nous les approprier, et surtout elles lancent le défi de la complexité : comment confronter, sélectionner, organiser ces connaissances de façon adéquate en les reliant et en intégrant l’incertitude…
La grippe espagnole a donné à ma mère une lésion au cœur et la consigne médicale de ne pas faire d’enfants. Elle a tenté deux avortements, le second a échoué, mais l’enfant est né quasi mort asphyxié, étranglé par le cordon ombilical. J’ai peut-être acquis in utero des forces de résistance qui me sont restées toute ma vie, mais je n’ai pu survivre qu’avec l’aide d’autrui, le gynéco qui m’a giflé une demi-heure avant que je pousse mon premier cri, ensuite la chance pendant la Résistance, l’hôpital (hépatite, tuberculose), Sabah, ma compagne et épouse. Il est vrai que « l’élan vital » ne m’a pas quitté ; il s’est même accru pendant la crise mondiale. Toute crise me stimule, et celle-là, énorme, me stimule énormément.
▶︎ Voir Des mots de minuit #57 avec Edgar Morin et Richard Desjardins. (Mars 2001)
Le sociologue est un déconstructeur, qu’il s’agisse de pointer l’ambivalence de la mondialisation ou l’illusoire promesse contemporaine du mot progrès… quand la veine du Québécois à qui il faut un tour de cadran pour refaire le monde a été comparée par la critique à celle de Ferré qui disait en 1990 : « Quand je vois un couple, je change de trottoir ».
Le sale air de la peur (I) …
– Le sale air de la peur et la saveur de l’amor …
Je voudrais pas crever
de Boris Vian par Pierre Brasseur
Je voudrais pas crever
Avant d’avoir connu
Les chiens noirs du Mexique
Qui dorment sans rêver
Les singes à cul nu
Dévoreurs de tropiques
Les araignées d’argent
Au nid truffé de bulles
Je voudrais pas crever
Sans savoir si la lune
Sous son faux air de thune
A un coté pointu …
Le sale air du salaire … O tempora, o mores
– Se protéger du sale air … 😷
– Et qu’en est-il des masques ? Certains mettent en doute l’efficacité des masques « simples »…
Philippe Sansonetti est professeur émérite à l’Institut Pasteur et titulaire de la chaire microbiologie et maladies infectieuses au Collège de France.
– Si on veut véritablement réussir notre sortie de confinement, il faut que tous les paramètres et tous les moyens soient utilisés. Le masque n’a de sens que s’il est utilisé sur un mode altruiste : «Tu me protèges, je te protège.» Il faut que tout le monde joue le jeu, sinon la chaîne de protection se rompt et le virus continuera à se disséminer. Ce que j’essaie d’expliquer souvent dans mon entourage ou à mes collègues, c’est qu’en multipliant les barrières face au virus, même si elles ne sont pas individuellement totalement étanches, la somme des obstacles diminue sa circulation. Le gouvernement a changé d’avis sur le sujet : jusqu’alors, il discréditait l’utilisation des masques pour la population générale afin de pallier le manque et les réserver aux personnels médicaux. Je pense que c’était une faute. Il est évident qu’il fallait à tout prix ménager cette priorité, mais pourquoi ne pas avoir dit : «Nous n’avons pas assez de masques, mais vous pouvez en fabriquer des artisanaux en attendant, cela permettra de réduire la circulation virale.» C’eût été un message plus mobilisateur de nos concitoyens et cela aurait évité la contradiction qui maintenant se fait jour.
Par Anaïs Moran — 16 avril 2020 à 20:06 Libération.
– Assurer son salaire …
– Et urgemment chercher les pages cornées … et tomber sur la 23 de Un homme aborde une femme de Fabienne Jacob.
Je repense souvent à la scène de l’intifada. J’aurais dû détester ce garçon pour avoir failli me blesser et et pire avoir fichu en l’air mon premier jour d’Indépendance. Étrangement, je ne l’ai pas détesté. Aujourd’hui, je le sais le garçon aux cailloux m’a offert ni plus ni moins que ma première expérience érotique. le garçon au nom qui roulait des i n’a pas lancé de cailloux pour me faire tomber, mais pour que je le regarde. Peut-être étais-je déjà passé devant lui sans un regard comme dans la chanson. il a trouvé un moyen pour que je le voie enfin. un moyen radical, risqué, mais un moyen tout de même.
Un homme aborde une femme. Fabienne Jacob. Buchet.Chastel, 2018.
Je ne peux en vouloir à quelqu’un de chercher à se faire remarquer, ça m’est arrivé aussi.
Une femme se souvient de tout ce que les hommes lui ont dit ou fait dans la rue tout au long de sa vie de petite fille, jeune fille et femme ; des cailloux jetés dans les roues de son vélo de petite fille à des mots beaucoup plus crus qu’un inconnu surgi de l’ombre a lancés contre elle et sa robe d’été. Certains de ces hommes l’ont suivie, d’autres n’ont fait que la frôler. Leurs mots étaient tantôt offensants, tantôt romanesques ou drôles, voire incongrus. Comme ceux de ce « « harceleur » attachant, P’tit Pau, un simple d’es- prit de son village natal… Confrontant son expérience à celles des autres, voisines, amies – personnages de femmes souvent très libres dans leurs paroles et leur corps -, elle mène une sorte d’enquête sur ce qu’est devenu l’espace public aujourd’hui, où écouteurs, casques et oreillettes entravent la rencontre fortuite et furtive. Renouant avec l’écriture du corps et des sensations, Fabienne Jacob tisse en creux, dans le cadre d’un débat d’actualité qui fait rage, un éloge de la rue joyeuse, vivier foisonnant et insondable, terrain de prédilection du jeu et du hasard.
Jours 34, 35 … L’en pire des sens… Confinement et virose. Journal #15
Une virose ferait tout basculer. Rienneserapluscommeavant! Rienne serapluscommeavant! Rienneserapluscommeavant! On a le mantra facile. Mais, comme pour le réchauffement climatique, il ne reste qu’à y croire pour agir. En attendant, face à ce déroutement, en matière de symptomatologie (anosmie, dysgueusie, diarrhée, confusion) comme de confinement, nous sommes bien entrés dans l’en pire des sens*.
* L’empire des sens (1976) est un film de Nagisa Ōshima.
– « Ma crainte, c’est que le monde d’après ressemble au monde d’avant, mais en pire »
Jean-Yves Le Drian, ministre des affaires étrangères. Le Monde, 20 avril 2020, 06:23.
– Je n’imaginais pas, après ce coup d’œil matutinal sur l’écran pour l’info et l’addiction aux séries que le pire était encore à venir. Partant pour quelques « achats de première nécessité » dont, pour ce qui concerne la carte de presse que je suis, un journal papier, je salue à bonne distance ma gentille voisine de 87 ans. Sur sa radio – elle entend mal – nous écoutons fort Daniel Guichard chanter Mon vieux
« Nous, on connaissait la chanson
Tout y passait, bourgeois, patrons
La gauche, la droite, même le bon Dieu
Avec mon vieux«
Ce qu’on appelle dans ce dérèglement généralisé des sens, le hasardeux ou le prémonitoire. Trois notes qui annonçaient le péril : une Une, là, sur le présentoir :
« EHPAD LES DESSOUS D’UN DESASTRE ».
Libération, lundi 20 avril 2020.
Les chiffres sont glaçants : sur les 19 718 personnes ayant succombé du Covid-19 en France, près de la moitié vivaient en maison de retraite. Selon le dernier bilan communiqué dimanche soir (1), 10 064 décès sont survenus parmi les pensionnaires d’établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS), principalement les Ehpad.
L’impossible groupe sans gains (I).
Au jeu de mots, fort pratiqué par l’inconscient, nous arrivent par exemple, groupe, dividendes ou rente (sur le partage desquels le ministre de l’économie Bruno Lemaire demande un peu de mesure, à tout le moins aux sociétés qui bénéficient sans contreparties de quelques largesses de l’état). Et, quant « besos » en espagnol se prononce Bezos et se traduit par bisous (cf infra).
Comme d’ici à 2030 le nombre de seniors en Europe va passer de 1 pour 3 actifs à 1 pour 2, il y a là « à faire à faire »…
Redistribution est aussi un joli mot.
Le leader du marché des maisons de retraite, coté en Bourse, a-t-il failli dans sa gestion de la crise ? Les premières données montrent une forte surmortalité dans ses établissements et les témoignages pointent des négligences. Des familles veulent aller en justice…
© Chloé Pilorget-Rezzouk et Ismaël Halissat. Libération, lundi 30 avril 2020.
En France, depuis le 1er mars, 511 décès sont attribués au Covid-19 dans les établissements de l’entreprise, selon les derniers chiffres communiqués par la direction à Libération …/…
En 2019, les résultats financiers de Korian – aussi numéro 1 en Belgique et en Allemagne – s’élevaient à 3,61 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 136 millions d’euros de bénéfices. Une société cotée en Bourse à la «performance opérationnelle solide», selon les mots de sa directrice générale …/…
Soumis à la loi des marchés financiers, le groupe anticipait en tout cas, dans ses rapports annuels, les éventuelles répercussions d’une épidémie. Ainsi, le document de référence de l’année 2018 annonçait que «le développement d’une épidémie à grande échelle pourrait avoir un effet négatif sur l’activité, la réputation, la situation financière et les résultats du groupe, notamment en raison de la perte d’activité éventuelle qui pourrait en résulter ainsi que des coûts supplémentaires susceptibles d’être engendrés par la mise en place de mesures sanitaires exceptionnelles». Mais assurait cependant aux investisseurs avoir «développé une politique d’hygiène et de qualité des soins permettant de circonscrire la diffusion des épisodes épidémiques et de minimiser au maximum les conséquences d’une épidémie sur ses résidants».
Pour un flirt avec toi … Ah, la vieille dame …
▶︎ Voir Des mots de minuit #94 avec Renée Saint-Cyr (1904-2004) et Arno.
La “vieille dame” et le gouailleur. Souvenir attendri que celui de cette émission de 2002 parce que la “vieille dame” en question va “estomaquer” son voisin de plateau. Deux époques, deux manières de faire l’artiste ou l’arsouille se rencontrent ici. L’une a lu Anatole France et travaillé avec Raimu. L’autre articule Gainsbourg et Birkin et s’inquiète de l’histoire palestinienne. Deux cultures, deux visions du monde, deux époques. Pour un flirt avec toi!
Vieux marché ou silver génération …
▶︎ Voir Des mots de minuit #522 avec Serge Guérin et Mina Kavani.
Depuis qu’il est jeune, le sociologue serge Guerin s’intéresse aux vieux. Pardon, à la “Silver génération”! Il s’attaque aujourd’hui à quelques idées reçues qui mettraient cette population hors d’âge. Incarner la révolte de 2009 en Iran dans un film ou rentrer chez soi, il faut choisir. C’est le destin de Mina Kavani qui a demandé asile à la France faute de s’aventurer au retour.
L’impossible groupe sans gains (II)
Le groupe Publicis est l’un de ceux, parmi les plus importants, selon les informations de Mediapart qui ont recours au dispositif de l’activité partielle financée par l’état. Il a réduit de moitié le versement des dividendes à la hauteur toujours élevée de 276 millions d’euros. Le site ajoute, perfide, que la philosophe Élisabeth Badinter, fille de son fondateur Marcel Bleustein-Blanchet (1906-1996), en contrôle 7 % du capital et qu’à ce niveau de propriété, elle devrait percevoir 19,2 millions d’euros.
▶︎ Voir Des mots de minuit #19 avec Elisabeth Badinter et Brigitte Fontaine.
L’une est intellectuelle et riche. L’autre, virtuose et facétieuse. Quel dialogue! Elles prennent le temps de se jauger ou de s’apprécier. L’une cache derrière un bel art de la grimace et de la dérision une sensibilité à fleur de peau. L’autre dispose d’une belle ingénierie cérébrale qui lui donne des clefs de compréhension d’une société qui l’a faite héritière mais dont elle dit ne pas être dupe …
Elle évoque également sa présidence du conseil de surveillance de Publicis –un héritage familial- et admet qu’un cours de bourse totalement virtuel surmultiplie la possession de quelques-uns alors que d’autres survivent à peine. “On est hors de la dimension humaine, cela pourrait finir très mal!” (sic!)
L’impossible groupe sans gains (III). Retraite en rase campagne…
Les inégalités explosent aujourd’hui. C’est pourquoi j’espère que cet événement sans pareil aura de grandes conséquences… Il fait exploser notre consentement à l’inégalité… Nous sommes tous, d’une manière ou d’une autre les victimes ou les complices d’un système…
Danièle Sallenave, écrivaine (La teuf et le virus; Jojo, le gilet jaune) et académicienne. France Inter, dimanche 19 avril 2020.
Quand les cheminots manifestent, on dit qu’ils défendent leurs avantages acquis, comme si les gens du CAC 40 ne défendaient pas leurs avantages acquis…
Sur les gilets jaunes, dieu sait ce qu’on a dit… Qu’est-ce qu’on voit aujourd’hui ? … Les aide-soignants, les infirmiers, les ambulanciers, sans parler des livreurs qui traversent tout Paris à vélo ou en camion pour nous apporter l’essentiel. Qui fait tourner la machine ? Les gilets jaunes !
– Et urgemment chercher les pages cornées … et tomber sur la 63 de Certaines n’avaient jamais vu la mer de Julie Otsuka.
Un jour, nous étions-nous promis à nous -mêmes, nous partirions. nous travaillerions dur afin d’économiser assez d’argent pour aller ailleurs. En Argentine, peut-être. ou au Mexique. À São Paulo, au Brésil. À Harbin en Mandchourie, où d’après nos maris un Japonais pouvait vivre comme un prince.Mon frère s’est installé là-bas l’année dernière et il a fait un tabac. Nous pourrions tout recommencer. Ouvrir notre propre étal de fruit. Notre compagnie commerciale. Notre hôtel de première classe. Nous planterions une cerisaie. un bosquet de plaque-miniers. Achèterions des centaines d’hectares de riches champs blonds. Nous apprendrions des choses. Nous construirions un orphelinat. Un temple. Nous prendrions le train pour la première fois. Et une fois par an, le jour de notre anniversaire de mariage, nous mettrions du rouge à lèvres et irions au restaurant….
Julie Otsuka. Certaines n’avaient jamais vu la mer (traduit par Carine Chichereau). Phébus, 2011.
« L’écriture de Julie Otsuka est puissante, poétique, incantatoire. Les voix sont nombreuses et passionnées. La musique sublime, entêtante et douloureuse. Les visages, les voix, les images, les vies que l’auteur décrit sont ceux de ces Japonaises qui ont quitté leur pays au début du XXe siècle pour épouser aux États-Unis un homme qu’elles n’ont pas choisi. C’est après une éprouvante traversée de l’océan Pacifique qu’elles rencontrent pour la première fois à San Francisco leur futur mari. Celui pour lequel elles ont tout abandonné. Celui dont elles ont tant rêvé. Celui qui va tant les décevoir. À la façon d’un chœur antique, leurs voix s’élèvent et racontent leurs misérables vies d’exilées… leur nuit de noces, souvent brutale, leurs rudes journées de travail dans les champs, leurs combats pour apprivoiser une langue inconnue, la naissance de leurs enfants, l’humiliation des Blancs, le rejet par leur progéniture de leur patrimoine et de leur histoire… Une véritable clameur jusqu’au silence de la guerre. Et l’oubli. »
Prix Femina étranger 2012.
Jours 31, 32, 33 … « Je me souviens » et « La disparition » 📚d’une tortue. Journal #14
« Je me souviens » a écrit Georges Perec dont l’immensité littéraire avait aussi fait un livre de « La disparition » des « e » (eux ?). Pour ma part, je me souviens donc d’un instituteur dont un poncif veut qu’il soit « vieil » qui nous gourmandait quand nous disions « ré-ouvrir ». L’Académie s’accroche à la bonne forme rouvrir même si le substantif dérivé est pourtant réouverture. « Faites-moi du Perec, écrivez français! » disait, sourcilleux, notre instit. … Las, aujourd’hui, dans tous les médias, à l’approche de la quarantaine, on « ré-ouvre » (en veux-tu en voilà) après le 11 mai …
– Dans cette soif de dictionnaire, je découvre le qualificatif aucisymptomatiques [qui présentent très peu de symptômes]; le substantif acrosyndromes (aspect de pseudo-engelures des extrémités et apparition subite de rougeurs persistantes parfois douloureuses) sur lesquels les dermatologues appellent à la vigilance et qui pourraient être aussi embarqués par le covid-19; le mot zoonose (maladies et infections dont les agents se transmettent naturellement des animaux vertébrés à l’être humain, et vice-versa). Et je remplis mon carnet de vocabulaire, comme nous disait de le faire Maurice Deleforge, autre grand pédagogue qui fut mon ancien directeur d’études à l’école de journalisme. J’y avais déjà noté L’anosmie (perte totale de l’odorat) et la dysgueusie (altération du goût).
La mort de Maurice Deleforge, ancien directeur des études de l’ESJ Lille
Richard Herlin. Le Monde, 18/10/2018.
« Momo », comme on le surnommait, était un personnage truculent dont les conseils ont marqué plusieurs générations d’étudiants passés par l’Ecole supérieure de journalisme de Lille. Il est décédé le 15 octobre 2018 à Lille. Il avait 84 ans…
… Il se faisait le chantre d’un style journalistique des plus dépouillés, celui des agences de presse, des « cinq W » (who, what, where, when, why) du journalisme anglo-saxon. Pourtant, son inspiration venait davantage de la culture classique : de saint Augustin, des rhéteurs grecs ou latins, tel Quintilien. Car Maurice Deleforge n’était pas journaliste mais professeur de français, formé au grec et au latin, à la littérature. Et amoureux de la langue française.
– Un brin nostalgique certes mais on se défend du confinement comme on peut. Certaines heures recluses peuvent peser le plomb …
Des parents s’essayent à l’enseignement, tout le monde cherche son cadre ritualisé ou promène son chien,
◀︎ sa tortue (si, si !)
ou flirte avec les limites quand certains transgressent évidemment. Je n’habite pas dans une tour…
Toujours « l’isolement afflige et libère le refoulé » comme disent les psys qui ajoutent que le confinement exacerbe angoisses et tendances dépressives.
– Alors on ne cesse et il est nécessaire d’inventer de chez soi. Preuve musicale et épatante à l’appui :
– Retour au dico avec l’expression « effet paradoxal« . La quatrième occurrence du Larousse en ligne indique : « Se dit d’un phénomène pathologique semblant en contradiction avec les autres signes observés chez le malade. »
– En gros, ça donne ceci :
« Face au Covid, la bonne fortune de Jeff Bezos »
… Le fondateur d’Amazon a vu sa fortune personnelle progresser en flèche depuis un mois et la généralisation de la pandémie. Estimée par Bloomberg à 105 milliards de dollars (96,5 milliards d’euros) le 16 mars, elle s’élevait à 140 milliards de dollars mercredi, selon le média américain, qui suit au quotidien l’évolution des plus grands patrimoines de la planète. Un bond fantastique de 33 %, au moment même où l’économie se crashe partout. Sauf donc pour l’homme le plus riche du monde. La firme de commerce électronique qu’il a fondé en 1994 près de Seattle a réalisé 280 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2019 et elle traverse sans encombres la crise la plus grave depuis les années 30. Mieux, elle en profite.
Jérôme Lefilliâtre — 16 avril 2020 à 20:11. © Libération
Le cours de Bourse d’Amazon, dont Bezos détient environ 11 % du capital, n’a jamais été aussi haut depuis la création du géant de la distribution en ligne. Mercredi, il a clôturé au niveau délirant de 2 307 euros. Le géant mondial du e-commerce pèse aujourd’hui… 1 150 milliards de dollars de capitalisation à Wall Street ! L’action d’Amazon est devenue un véritable trésor : quiconque en détient 500 est automatiquement millionnaire…
– Et en petit
« Amazon ferme ses entrepôts pour cinq jours en France »
Au lendemain d’une décision de justice contraignant l’entreprise à s’en tenir strictement aux envois de produits essentiels, l’entreprise a décidé de fermer ses portes jusqu’au lundi 20 avril inclus.
Olivia Détroyat. 15 avril 2020 à 12:54, mis à jour le 15 avril 2020 à 21:23. © Le Figaro
Sommé mardi par la justice de limiter son activité aux produits essentiels (alimentaire, hygiène, matériel médical…) le temps d’évaluer les risques professionnels de ses salariés français en entrepôts, Amazon riposte. L’e-commerçant avait indiqué mardi son intention de faire appel ; mercredi, il a décidé de fermer ses six centres de distribution de l’Hexagone. Et ce, au moins jusqu’au lundi 20 avril inclus, le temps de procéder à l’évaluation, d’y répondre par d’éventuelles nouvelles mesures et de comprendre ce qu’il a le droit de vendre.
– Et urgemment chercher les pages cornées … et tomber sur la 45 d’ Éloge du peu alors même que l’on sort de ce tsunami de sonnant et trébuchant.
Lorsque nous renonçons à nos possessions, notre esprit est libéré de leur mémoire, son fardeau soulagé d’autant. Jeter ce qui est inutile nous allège, nous permet d’aborder notre quotidien avec sérénité et, par conséquent, de nous comporter de façon apaisée avec notre entourage de travailler plus activement.
Éloge du peu. Koike Ryûnosuke. Trad. du japonais : Myriam Dartois-Ako. Éditions Philippe Picquier, 2017.
Expérimenter le plaisir de jeter
En règle générale, l’homme moderne voit ses possessions augmenter. Il est rarement confronté à leur diminution. Nous possédons parfois moins, mais fondamentalement nous possédons toujours, une évidence telle que qu’elle nous empêche de reconnaître l’encombrement, le poids que ça représente pour notre esprit.
Tentez de réduire vos possessions, et vous sentirez sûrement votre pensée gagner en clarté. Vous constaterez que vous êtes plus efficace et que vous vous sentez mieux ainsi.
« À quel moment les objets auxquels nous tenons deviennent-ils des obstacles à notre bonheur ? Qui suis-je avec ces choses qui font partie de ma vie ? Qui suis-je sans ces possessions ? L’argent peut-il quand même faire le bonheur ?Le moine zen Koike Ryunosûke nous invite à adopter les bonnes stratégies face au désir pour retrouver le pouvoir de choisir et le courage d’être soi. Car il s’est vu confronté aux mêmes difficultés, aux mêmes incertitudes, et il partage ici, avec amitié, les leçons tirées de ses expériences. On découvrira ainsi que le choix de la frugalité peut se révéler le plus raffiné des plaisirs.
Que le lecteur se rassure : vivre sobrement, ce n’est pas renoncer à tout. C’est, au contraire, ne renoncer à rien de ce qui nous est essentiel pour faire de la place à qui l’on est vraiment. »
Jours 28, 29, 30 … « Sachons sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer – et moi le premier… » 🚑 Journal #14
Finalement ce qui est passé semble philosophiquement plus court que ce qui est à venir. Déjà, encore, quatre semaines. « Un mois ferme ou à mi-peine, c’est selon! » dit le démographe des prisons françaises encore surpeuplées. Julio Iglesias fédérait, lui, les foules il y a quarante ans avec sa pérennité. Il n’avait pas changé. Un demi-siècle et une virose plus tard, nous en sommes tous au même point : survivre ou nous réinventer… intimement, socialement, écologiquement. La bourse, elle, irait son cours ?
– Le confinement devrait donc avoir un début de fin progressive. Dixit le grand chef des confinés. On en est à la définition d’une ou plusieurs stratégies de sortie de… de quoi d’ailleurs ? pour éviter une nouvelle vague épidémique.
Le 11 mai, oui mais … Au delà du risque des classes tous risques, le temps de la bise tient désormais de l’utopie animalière ou du noir et blanc…
– La vie des bêtes nous apprend aussi que la chauve-souris, ce mammifère à ailes, est une championne de la guerre antivirale. Grâce à un système immunitaire exceptionnel capable de résister à d’innombrables agressions virales sa résilience épate tous les chercheurs.
🦇🦇🦇L’anagramme de chauve-souris est d’ailleurs souche à virus 🦇🦇🦇
– Et toujours le journal qui éditionnespeciale depuis des semaines nous ramène à l’essentiel. Ici, en Amérique latine.
– Ce matin du 15 avril, sur la porte de cette pharmacie, dans le périmètre autorisé :
PAS DE GANTS
PAS DE MASQUES
PAS DE GEL
– Dans ce drôle d’air du temps, on écoute la petite musique patronale du travailler plus à laquelle un collectif de sept universitaires dont Thomas Piketty, Anne-Laure Delatte et Antoine Vauchez préfèrent un temps venu de « rebâtir un contrat social et fiscal plus juste »
… Construire le monde d’après
Il s’agit donc de trouver des ressources là où il y en a. Or, on le sait, le capitalisme financier a depuis quatre décennies entraîné une forte concentration des richesses au sommet de la pyramide sociale, et créé un petit nombre d’individus immensément riches par leur patrimoine et leurs revenus. Il a aussi favorisé l’émergence d’entreprises multinationales. Ces entreprises et leur actionnaires ont profité de la concurrence fiscale pour échapper à l’impôt, contribuant à détériorer les services publics, notamment ceux mobilisés dans cette crise sanitaire…
Le Monde, 8 avril 2020.
▶︎ Voir Des Mots De Minuit, l’Émission #501 avec Ghislaine Tormos et Anne-Laure Delatte :
Quand l’économie dit la corde aux coûts !
Quand l’ouvrière subit le capital et ses formes néo-libérales; quand l’économiste essaie de penser un système qui fracture le social. Ghislaine Tormos est ouvrière chez PSA et raconte le salaire de la vie. Anne-Laure Delatte est chercheuse en économie. Leur discours illustre les grands écarts qui s’écrivent aujourd’hui dans les sociétés contemporaines au profit des “premiers de cordées” …
– Et s’il nous fallait trouver un peu de sagesse de temps incertains, allons réécouter le psychiatre et écrivain américain Irvin Yalom
▶︎ Voir Des Mots De Minuit avec Irvin Yalom :
Lire Yalom, c’est penser à la possibilité de l’ici et maintenant. Créatures d’un jour est constitué de récits de transferts et de thérapies d’un psychiatre-écrivain né en 1931. D’autant mieux qu’une documentariste suisse le filme dans sa sagesse de thérapeute empathique, de père de famille, de solitaire face à la mort, donc vivant bien. En 2012, il était sur Des mots de minuit.
– Ce sont les Editions Galaade qui ont fait connaître en France l’oeuvre du psychiatre américain (Et Nietzsche a pleuré, Le problème Spinoza). Dans Le jardin d’Epicure, il convoquait Kurosawa, Heidegger, Nietzsche, Schopenhauer, Bergman ou Gilgamesh. Dans la plupart de ses textes, il met ainsi en place une dialectique singulière et probante entre la psychothérapie individuelle ou de groupe, la philosophie et la spiritualité. Dans Mensonges sur le divan et Apprendre à mourir, le romancier fait rire et sourire du bouillonnement psychique du bipède humain. On peut en sortir soulagé, sinon apaisé. « Combien de fois ai-je eu l’agréable surprise de voir un patient se transformer de façon positive à un âge avancé, même aux abords de la mort. Il n’est jamais trop tard.” Justement…
– Et chercher les pages cornées … et tomber sur la page 79 de dressing alors même que l’on vient de penser au confinement comme à une mise à nu psychique.
Une chorégraphe brésilienne présente un spectacle où les danseurs sont absolument nus, tandis que les spectateurs, bien sûr habillés, assistent debout à la représentation, placés sur le plateau. Dans les premiers moments, l’œil est sans arrêt attiré par les parties sexuelles, chacun lutte comme il peut avec ses pulsions scopiques autant qu’il s’y livre. Se crée, au fur et à mesure de la représentation, un étrange rapport aux danseurs, fait de tendresse, de prévenance, de sollicitude. Nous les rhabillons sentimentalement pour, probablement, sortir de la déception de la place de voyeurs (il n’y a rien à voir) et maintenir les danseurs dans un rapport d’égalité, annulant ainsi la position dominante qui nous était assignée.
dressing. Jane Sautière. Verticales, avril 2013.
«De notre naissance à notre mort, ce n’est pas un bref compagnonnage que celui du vêtement. Tous les jours, à toutes occasions, solennelles ou ordinaires, sans qu’on en garde le plus souvent la moindre conscience, nous vivons dans cette coque ou ce pelage. Le vêtement couvre et aussi souligne genre, condition sociale, usages et, bien sûr, mortalité.
Au travers de l’exposition d’une penderie, il ne s’agit pas tant de théoriser, mais de joindre, de laisser voir endroit et envers, le vêtement comme récit de son porteur. Je me souviens avoir particulièrement aimé le travail d’un artiste exposant l’envers de broderies, qui recouvraient un secret dissimulé dans la toile du canevas. J’aimerais qu’il en soit ainsi dans ce livre, un aller-retour du visible et du caché, de la matière au commentaire.»
Jane Sautière.
Jours 25, 26, 27 … La nature à l’ouvrage 🍀Journal #13
Cherchant un chant religieux et pascal je tombe sur ceci : « Vienne… vienne la colombe et son rameau d’olivier dans nos cœurs et dans ce monde où la paix reste à gagner … » Le baron noir du bout de jardin se marre, ignorant notre guerre, cet art de la mort prétendument appliqué à la santé publique. Quant à la nature, elle se fait une permanente qui n’a rien de confinée.
– Cela dit, l’actualité a tôt fait de nous rattraper. Le petit écran joue les retours de bambous et à Notre-Dame de Paris toujours en travaux, ils sont quelques-uns à craindre la chute des rameaux… À Rome, le Pape François s’est livré à une messe solitaire !
– Le confinement est une privation de libertés. Il est inégalitaire (Europe-Afrique, blancs-afro-américains, villes-campagnes, cités- quartiers résidentiels, Paris-province, jardin-pas jardin, appartement-maison, solitude-groupe, internet ou pas) et autrement pesant dans certains lieux (Ephad, hôpitaux psychiatriques, prisons, établissements pour personnes handicapées).
En France, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté Adeline Hazan « s’indigne ».
– Au 16 mars, il y avait environ 72 000 détenus pour 61 000 places opérationnelles en France. Depuis, plus de 6 000 personnes ont été libérées, selon les derniers chiffres de la chancellerie. A combien fixez-vous le seuil de désengorgement pour que le risque sanitaire soit contenu ?
Adeline Hazan. Interview de Julie Brafman. © Libération 3 avril 2020.
A. H. : Il faut au minimum – mais alors vraiment au minimum – libérer 11 000 détenus. Dans ce cas, on aboutirait à un encellulement individuel. Cela veut dire que, si quelqu’un est contaminé, il peut être confiné, seul, dans sa cellule. Aujourd’hui, toute la population française a des consignes de confinement les plus strictes possible – et c’est tout à fait normal – mais les détenus, on les laisse à deux ou trois dans des cellules souvent très vétustes. C’est aberrant et ça me met en colère.
– Au 8 avril 2020 le nombre de détenus a diminué de près de 8000 personnes selon Nicole Beloubet, la ministre de le justice auditionnée à L’Assemblée nationale Le taux de surpopulation dans les prisons française est passé de 119 à 107% avec 64 439.
– Rien à voir… Quoique, alors qu’est posée avec le confinement la question de l’enfermement et de l’attention portée aux personnes actuellement en hôpital psychiatrique.
“Offrir au patient la possibilité de composer sa guérison…” (Argument du 12 janvier 2017)
“Constellation transférentielle”. S’il ne fallait retenir qu’une expression de Pierre Delion, ce serait celle-là. Elle dit l’exacte mesure de l’enjeu d’un soin qui implique le psychiatre comme la cantinière ou le jardinier pour aider l’enfant muré dans son mutisme. Mais plus largement, c’est l’allégorie d’un collectif, d’une diversité d’approches pour réintégrer l’autre dans la communauté.
Le psychiatre a ici la simplicité et la tranquillité du passeur. Il dit les effrois ou les surprises acceptés, la curiosité infinie qu’il a mise avec ses équipes au service de chacun de ses patients. Sa désormais longue route clinique sert une transmission qui dépasse les cercles initiés ou intéressés. Il nous offre un peu d’une possibilité de l’homme.
– Et chercher les pages cornées … et tomber page 39 sur : « Cependant, comme d’un revers de main, la mort avait tout balayé. »
Danaé est un tableau de Rembrandt conservé au musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg. Composé entre 1636 et 1643, il est entré avec la majeure partie de la collection Crozat en 1772 à l’Ermitage. C’est l’une des toiles les plus grandes de l’auteur, puisqu’elle dépeint deux personnages en grandeur nature. Rembrandt a commencé ce tableau en 1636 deux ans après son mariage.Cette scène représente Danaé nue alanguie sur son lit. Sans doute s’apprête-t-elle à recevoir Zeus dont elle aura Persée. Rembrandt prend sa femme Saskia comme modèle. Celle-ci meurt en 1642. Il change ensuite le visage de Danaé avec celui de sa maîtresse Geertje Dircx, comme le révèle une étude aux rayons X. Celle-ci révèle également que l’artiste avait auparavant peint une pluie de pièces d’or (forme qu’avait prise Zeus pour visiter Danaé) qu’il supprime à cette époque.
Des années plus tôt, avant l’irruption de la mort et de la folie, quand la belle Saskia régnait sur son cœur et sur ses sens, Rembrandt avait réalisé, avec son épouse pour modèle, la plus accomplie de ses toiles d’inspiration érotique. Dans un élan de son imagination toute nourrie de son désir, il avait choisi de représenter Saskia en Danaé: allongée sur son lit grand ouvert, couchée sur le côté, et d’un geste d’accueil et de bienvenue, elle faisait, au dieu invisible mais bien présent, l’offrande de sa nudité. Le mythe rapporte que, du haut de l’Olympe où il la contemplait, le divin amant s’était précipité sur la femme, tenue prisonnière, sous l’apparence d’une averse de pluie toute de gouttelettes dorées. Rembrandt avait voulu peindre l’instant d’attente finale, quand Danaé, ardente et ouverte jusqu’au fond de son désir, a senti venir le dieu et se tient prête, sans réserve, pour la possession. Il avait voulu offrir à Saskia le spectacle de son amoureuse transfiguration sous le couvert d’une scène empruntée à la fable. Et il l’avait représentée dans toute la générosité sensuelle de son corps, non comme une figure idéalisée, mais dans sa réelle beauté de jeune Flamande comblée d’amour. Cela se passait six ans avant sa mort, dans l’apothéose mondaine et érotique d’une vie à deux, alliant superbement création, succès, fortune et jouissance. Somptueuse de chair, en son attente, Danaé, comme Saskia se tenait prête à recevoir l’amant, maître du ciel, de la terre et du temps. cependant, comme d’un revers de main, la mort avait tout balayé.
Bethsabée, au clair comme à l’obscur. Claude Louis-Combet. Éditions Corti.
« L’histoire nous apprend que Hendrickje Stoffels (1626-1663), entrée au service de Rembrandt après la mort de Saskia et l’internement de Geertjhe, devint la maîtresse du peintre. Elle fut sa dernière compagne, son modèle de prédilection et la nourrice de son fils, Titus. Tous les biographes la présentent comme une femme entièrement dévouée à son maître dont elle fut le principal soutien dans les années noires qui suivirent sa faillite et la liquidation de ses biens.Dans ce livre, le narrateur, qui est tout sauf un historien, s’applique à composer l’image mythique du couple d’amants impliqués ensemble dans la création de l’œuvre comme dans celle de leur vie. Le lien qui les unit s’enracine, d’essentielle façon, dans la part la plus obscure de leur être, dans cette ombre dont Rembrandt déploie la matière en ses toiles, et qui sans cesse enfante la seule lumière nécessaire – expansive, chaleureuse, mystérieuse, pure révélation de l’intériorité. »
Claude Louis-Combet.
▶︎ Voir l’émission #388 avec notamment Claude Louis-Combet.
“La femme est première et absolue…” Claude Louis-Combet avec Martin Hirsch, Jeanne Cherhal, Karine Tuil.
Jours 22, 23, 24 … Amitié confinée #12
Le confinement renvoie aux murs et aux lieux qui nous protégent, en principe, de la virose. Y sont accrochés ou, à l’entour, nous parlent ces objets qui font un univers personnel ou un amer. Quel est celui de celles et ceux qui, pour l’instant seulement, ne peuvent pas revenir sur le plateau Des mots de minuit? Voici la première occurrence de Murmure dont le danseur et chorégraphe Thierry Thieû Niang est le parrain.
Murmure est une carte blanche vidéo proposée aux invité-e-s aujourd’hui confiné-e-s- Des mots de minuit… En voici la première occurrence. Le danseur et chorégraphe Thierry Thieû Niang en est le parrain. Merci à l’ami.
Drôle d’exercice mais cela m’a mis en joie ! Comme si j’inventais une danse , une valse avec des compagnons complices comme Jenny Holzer; ses phrases totem le long des murs … des pyramides… la nuit… Guibert et l’enfance… l’éléphant et le garçon et Cohen, qui « save the dance »… moi sur un plancher qui craque, le soleil au dehors et la vie qui va…
Thierry Thieû Niang. Murmure. 8 avril 2020
« Cet homme a toujours eu la douceur de son écoute, quels que soient l’âge, l’origine, le corps ou l’esprit de celles et ceux à qui il offre une expression du corps. Aujourd’hui, complice de la chanteuse Camille, de l’auteure Linda Lê et du plasticien Claude Lévêque, ce sont des enfants et des adolescents avignonnais de toute origine à qui il offre une scène. De l’enfant à terre à l’enfant debout! »
▶︎ Voir le Mot à mot Thierry Thieû Niang. Avignon
Le chorégraphe et l’écrivaine Marie Desplechin ont monté un spectacle né de leurs rencontres communes avec de jeunes autistes, “Au bois dormant”, au Théâtre de la Cité Internationale. Marie Desplechin tente de dire l’endroit où deux mondes se rejoignent, se demandant parfois qui du danseur ou des jeunes autistes est le plus décalé. Thierry Thieû-Niang danse les gestes saccadés et chaotiques qu’il a pu comprendre, les tremblements et les sauts, reflets d’une agitation intérieure. Il cherche un langage du corps fait d’élans et d’écoute, malgré un sens profond qui reste mystérieux.
▶︎ Voir Des mots de minuit #348
Je suis allée à l’hôpital et j’ai vu danser Thierry avec une jeune personne autiste et c’était extraordinairement impressionnant. C’est l’une des choses les plus incroyables que vous pouvez voir: une grande salle, deux personnes en tête à tête pendant 45 minutes avec deux mots, bonjour au début et merci à la fin. Dans cet échange se passait quelque chose, sans les mots, par le seul geste. Ça pouvait être très fragile et l’émotion ressentie dans ces moments était indicible. Il me fallait écrire à partir de là et j’ai donc essayer de chercher la source de cette émotion, de la séparation à la réunion… Juste cet instant. Ce moment de la rencontre est miraculeux.
Marie Desplechin. Des mots de minuit, 20 mai 2009.
Confinement : l’heure des pollens …
Confinement : l’heure des rencontres …
Confinement : l’heure du vocabulaire …
L’anosmie (perte totale de l’odorat) et la dysgueusie (altération du goût) seraient des marqueurs initiaux de la virose actuelle.
Confinement : l’heure des petits hommes …
Ceux qui sont aujourd’hui hospitalisés, ceux qu’on trouve dans les réanimations, ce sont ceux qui, au début du confinement, ne l’ont pas respecté, c’est très simple, il y a une corrélation très simple….
Je regrette d’avoir tenu ces propos, je comprends les réactions qu’ils suscitent et je présente mes excuses.
Didier Lallemant, préfet de police. Vendredi 3 avril 2020. 09:00
Didier Lallemant, préfet de police. Vendredi 3 avril 2020. 16:00.
Et donc forcément, maintenant que nous savons ce que fait la police, chercher les pages cornées … la 65 Chez Nesbø.
Harry avait été heureux; mais le bonheur, c’était comme l’héroïne , une fois qu’on y avait goûté, une fois qu’on en connaissait l’existence, on ne pouvait jamais totalement accepter la vie sans. Car le bonheur est autre chose que la stisfaction. Le bonheur n’est pas naturel. C’est un état d’urgence trépidant, ce sont des secondes, des minuites, des jours qu’on sait ne pas pouvoir faire durer; et le manque ne survient pas après, mais pendant. Avec le bonheur vient en effet la dououreuse notion que rien en sera plus jamis pareil, et ce qu’on a nous manque déjà, on redoute la privation, la douleur de la perte, on se maudit de savoir ce qu’on est capable de ressentir.
Jo Nesbø. Le couteau. Traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier. 2019
Harry Hole a réintégré la police criminelle d’Oslo, mais il doit se contenter des cold cases alors qu’il rêve de remettre sous les verrous Svein Finne, ce violeur en série qu’il avait arrêté il y a une dizaine d’années et qui vient d’être libéré.
Outrepassant les ordres de sa supérieure hiérarchique, Harry traque cet homme qui l’obsède. Mais un matin, après une soirée bien trop arrosée, Harry se réveille sans le moindre souvenir de la veille, les mains couvertes du sang d’un autre.
C’est le début d’une interminable descente aux enfers : il reste toujours quelque chose à perdre, même quand on croit avoir tout perdu.
Jours 20 et 21 … Haut les masques ! 😷 #11
Le masque est une prise de tête. Les oreilles, le nez, la bouche, la peau, éventuellement la barbe. Il donne chaud, renvoie les miasmes à soi, est aussi et autrement indispensable au carnaval de Dunkerque, de Venise ou de Rio. Toujours, il travestit une autre réalité. Il peut tomber. On peut ainsi garder secrète la réalité des stocks ou signifier le contraire d’une bonne figure quand on l’a. Il est tragiquement mortuaire en ce moment. Quand il devient indispensable après avoir été inutile, il est ce qu’il a toujours également été : une protection …
– Les prises de tête à venir …
Elles seront innombrables. Les intellectuels n’ont jamais autant produit, écrit, pensé, supputé, souhaité, évalué, calculé, examiné, élaboré, apprécié, réfléchi, imaginé, présumé, prospecté, conçu, inventé, posé une nécessité qu’en ce moment…
La première leçon du coronavirus est aussi la plus stupéfiante : la preuve est faite, en effet, qu’il est possible, en quelques semaines, de suspendre partout dans le monde et au même moment, un système économique dont on nous disait jusqu’ici qu’il était impossible à ralentir ou à rediriger. À tous les arguments des écologiques sur l’infléchissement de nos modes de vie, on opposait toujours l’argument de la force irréversible du « train du progrès » que rien ne pouvait faire sortir de ses rails, « à cause », disait-on, « de la globalisation ». Or, c’est justement son caractère globalisé qui rend si fragile ce fameux développement, susceptible au contraire de freiner puis de s’arrêter d’un coup…
Bruno Latour
Philosophe et sociologue. AOC, 30 mars 2020.
– Ce qui a déjà et depuis longtemps été dit …
Finalement, l’incroyable augmentation de la vitesse de production a changé fondamentalement le relation entre les humains et leur environnement matériel : en fait, nous renouvelons les structures matérielles de nos mondes vécus (les meubles et la cuisine, les voitures et les ordinateurs, les façons de s’habiller et de se nourrir, l’apparence de nos villes, de nos écoles et de nos bureaux, les outils et les instruments avec lesquels nous travaillons, etc.) à des rythmes si élevés que nous pourrions presque parler de « structures jetables ». Cela est très différent d’un monde prémoderne dans lequel les choses n’étaient essentiellement remplacées que lorsqu’elles étaient cassées ou défectueuses, et dans lequel elles étaient très souvent remplacées par leur reproduction plus ou moins à l’identique.
Hartmut Rosa, philosophe et sociologue. Aliénation et accélération Vers une théorie critique de la modernité tardive. 2010. La Découverte, 2012.
« La vie moderne est une constante accélération. Jamais auparavant les moyens permettant de gagner du temps n’avaient atteint pareil niveau de développement, grâce aux technologies de production et de communication ; pourtant, jamais l’impression de manquer de temps n’a été si répandue. Dans toutes les sociétés occidentales, les individus souffrent toujours plus du manque de temps et ont le sentiment de devoir courir toujours plus vite, non pas pour atteindre un objectif mais simplement pour rester sur place. Ce livre examine les causes et les effets des processus d’accélération propres à la modernité, tout en élaborant une théorie critique de la temporalité dans la modernité tardive. »
© La Découverte (Traduit de l’anglais par Thomas Chaumont)
– Dans la presse …
Je reprends volontiers la formule de Jean-Pierre Dupuy : «Savoir n’est pas croire ».. Il l’affirme à propos de la catastrophe écologique dont le spectre plane depuis des décennies. Nous sentons confusément sa venue, à la fois inévitable et impossible. En un sens, nous la savons et les signaux d’alerte ne manquent pas ; mais en un autre sens, nous n’y croyons pas assez pour agir en conséquence. Contre une certaine idée reçue, héritée des Grecs, il n’est dès lors pas sûr qu’il y ait plus dans l’acte de savoir que dans celui de croire. Au contraire, il y a peut-être moins. Il y a bien des choses que nous pensons croire et que nous ne faisons que savoir, je veux dire de façon abstraite et détachée, sans que nos émotions soient mobilisées et que notre volonté soit impliquée.
Camille Riquier, philosophe. « Le monde s’est invité chez nous et notre intimité s’en trouve compromise ». Libération, 4 et 5 avril 2020.
C’est cette «schizophrénie universelle» de l’homme contemporain dont parlait déjà Deleuze que j’ai cherché à mieux circonscrire
– Les incontournables … Morin chez Des mots de minuit et …
« À l’intelligence de la complexité (conçue comme un maillage et non comme une difficulté) de l’un -une jeunesse vigilante de 93 ans- fait écho, chez l’autre, quadragénaire, un militantisme exigeant, inventif et embarqué. Métis, radical, réjouissant: Des mots de minuit«
▶︎ Voir Des mots de minuit, L’Émission #505 avec Edgar Morin et l’altermondialiste Éric Sapin
▶︎ Voir Des mots de minuit, L’Émission #57 avec Edgar Morin et le musicien Richard Dejardins
– … Le remarquable boulot iconographique du journal Le Monde …
– Débilité …
Penser que le printemps est actuellement un allié …
Et donc forcément chercher les pages cornées … la 58. Le Bosquet de Esther Kinsky (Traduction de Olivier Le Lay):
Le cimetière était désert et calme, midi sonnait à peine, ce n’était pas l’heure des visites. Du côté de la route, parmi les colombariums, deux voies féminines retentirent pourtant à mon oreille. Leur timbre était si monotone que j’ai d’abord cru à une prière, mais, tournant le coin d’une des parois de tombes, je vis deux femmes agenouillées sur le sol de pierre, affairées à nettoyer le stèle de deux « fornetti » voisins, tout en devisant de ce ton qui m’évoquait une psalmodie. Elles avaient apporté des produits d’entretien, quelques fleurs en plastique flambant neuves et un vase qui semblait faire corps avec elles. Je ne comprenais presque rien de ce qu’elles disaient, leur dialecte rabotant les mots à la racine. Sitôt qu’elles m’aperçurent, elle firent silence, comme d’un commun accord.
Esther Kinsky. Le bosquet.
En trois tableaux et trois voyages, ce roman dessine des itinéraires italiens, loin des sentiers battus. Le premier trajet qu’emprunte la narratrice, seule, avait été planifié à deux. Mais M., l’être aimé, est décédé deux mois plus tôt. Nous sommes en janvier, et les brumes enveloppent les collines autour d’Olevano, près de Rome, où une maison avait été louée par le couple…
Un autre souvenir d’Italie lui revient. Elle est adolescente, son père est amoureux de la langue italienne et du pays. Une effrayante dispute entre ses parents précède alors un incident sur la plage, quand le père nage si longtemps et si loin de la côte que tout le monde le croit noyé. La petite fille pense qu’elle devra rester en Italie et se débrouiller avec les quelques mots que le père lui a appris…
Puis la narratrice adulte entreprend un autre voyage en explorant la région du delta du Pô. Elle cherche le jardin des Finzi-Contini à Ferrare, longe des canaux déserts et découvre des stations balnéaires abandonnées. Elle visite une nécropole étrusque, et devant les mosaïques de Ravenne, repense à son père et à ses explications.Les choses rapportées, les anecdotes et péripéties se déploient sous nos yeux dans des nuances infinies pour dire les couleurs, les odeurs d’un bosquet, d’une colline, d’une plage, d’un canal, d’un olivier, du ciel. En creux, ce texte d’une infinie richesse, sublimant les paysages et les lieux traversés par une langue inouïe de précision, raconte le deuil, l’absence et l’amour.
▶︎ Voir Des mots de minuit, L’Émission #594 avec Olivier Le Lay et la styliste Agnès B
– Quitte à s’en moquer …
Jours 18, 19, … « De toutes ces belles passantes qu’on a pas su retenir » chantait Brassens. #10
Insigne comme peut l’être l’impréparation devant une pandémie; un signe comme l’amer que repère enfin le marin découragé; un cygne comme l’animal dont la couleur inhabituelle de plume donne au statisticien et à l’essayiste l’occasion de symboliser l’imprévisible auquel nous sommes confrontés depuis la nuit des temps …
– Chercher la petite bête …
Le terme «cygne noir» désigne un événement qui possède trois caractéristiques: il n’avait pas été anticipé, ses conséquences sont majeures et on peut expliquer a posteriori pourquoi il est apparu. Comme la pandémie que nous connaissons en ce moment. Nombreux sont les commentateurs qui aujourd’hui parlent de «cygne noir» afin de décrire le rôle joué par la pandémie du Covid-19 dans le déclenchement de la crise économique et financière qui secoue actuellement la planète. Mais que vient donc faire ce pauvre palmipède dans cette histoire, vous demandez-vous peut-être? Ce terme trouve son origine dans les travaux de Nassim Nicholas Thaleb pour désigner un événement qui possède trois caractéristiques: il n’avait pas été anticipé, ses conséquences sont majeures et on peut expliquer a posteriori pourquoi il est apparu.
Covid-19 : le «cygne noir» et les aveugles
Par Isabelle This Saint-Jean, professeur d’économie à l’université Paris-XIII, secrétaire nationale du PS — 21 mars 2020 à 13:23. © Libération
« Quel est le point commun entre l’invention de la roue, Pompéi, le krach boursier de 1987, Harry Potter et Internet ?
Pourquoi ne devrait-on jamais lire un journal ni courir pour attraper un train?
Que peuvent nous apprendre les amants de Catherine de Russie sur les probabilités?Pourquoi les prévisionnistes sont-ils pratiquement tous des arnaqueurs?
Ce livre révèle tout des Cygnes Noirs, ces événements aléatoires, hautement improbables, qui jalonnent notre vie: ils ont un impact énorme, sont presque impossibles à prévoir, et pourtant, a posteriori, nous essayons toujours de leur trouver une explication rationnelle.
Dans cet ouvrage éclairant, plein d’esprit d’impertinence et bien souvent prophétique, Taleb nous exhorte à ne pas tenir compte des propos de certains « experts », et nous montre comment cesser de tout prévoir ou comment tirer parti de l’incertitude. » © Les belles Lettres
– À quoi bon les sondages ?
L’autre jour, Vivavoice indiquait que les Français, pour l’après, plébiscitaient « la souveraineté collective », « le dépassement de la société de marché », et la protection des « biens communs ».
– Protéger les parquets …
Pauvre parquet…
À la « guerre » comme à la « guerre »! Quelle « guerre »?
– (Et ça ne sert à rien !) (la didascalie ne figure pas au scénario)
Je dois désormais concéder une addiction à la série The Walking Dead et dans l’épisode 14 de la saison 5 je trouve deux fois le mot « mur ». Deux fois, inutilement.
La virose est américaine et mexicaine, israélienne et gazaouie etc… Et, comme cité plus haut, le philosophe Paul Nizan considère bien la France comme un « pays de procès pour les murs mitoyens ».
– Et Georges …
La tellement bonne idée épistolaire « d’intérieur » du cousin Trapenard sur France Inter. L’autre jour, la lettre de Sorj Chalandon qui part d’une chanson de Henri Pol et Georges Brassens… dont je retiens ces deux derniers couplets .
« Mais si l’on a manqué sa vie
On songe avec un peu d’envie
A tous ces bonheurs entrevus
Aux baisers qu’on n’osa pas prendre
Aux cœurs qui doivent vous attendre
Aux yeux qu’on n’a jamais revus
Alors, aux soirs de lassitude
Tout en peuplant sa solitude
Des fantômes du souvenir
On pleure les lèvres absentes
De toutes ces belles passantes
Que l’on n’a pas su retenir«
▶︎ Voir Des mots de minuit, L’Émission #353 avec Sorj Chalandon, Mano Solo, Luc Petton, Erik Orsenna et Xavier de Maistre
▶︎ Voir Des mots de minuit, L’Émission #524 avec Sorj Chalandon et le psychologue Tobie Nathan
Et donc forcément chercher les pages cornées pour dire la marge… la 12 de ce polar: Ça ne coûte rien de demander de Sara Lövestam :
« Au début, il étudiait les poubelles du coin de l’œil et ne prenait que les canettes du dessus. Après quelques semaines, il s’est aperçu de deux choses. Premièrement: il est plus rentable et plus discret de fouiller cinq poubelles en profondeur que d’en parcourir vingt en superficie. Deuxièmement: quand vous avez les mains plongées dans les ordures, les gens évitent de vous regarder. S’ils le peuvent, ils vous ignorent même complètement, alors autant y enfoncer le bras tout entier. Kouplan n’est pas encore parvenu à surmonter le dégoût que lui inspirent les vieux chewing-gums et les restes mâchouillés. Quant au risque de tomber sur des seringues, il ne veut même pas y penser. «
Jours 15, 16, 17 …
J comme le Jour d’après et M comme Mercredi, mon jour de Mélancolie. « Le Canard enchaîné » est au citoyen ce que la vérité révélée est au décillement : un adjuvant. S’y trouve ce qui congèle les naïvetés politiques de l’électeur de base. À moins qu’il s’agisse d’un nécessaire et hebdomadaire rappel, depuis 1915, de ce qui fait tenir ensemble …
– Si la poésie était un médicament, elle pourrait dire ceci :
De tout, il restera trois choses:
La certitude que tout était en train
de commencer,
la certitude qu’il fallait continuer,
la certitude que cela serait interrompu
avant que d’être terminé.
Faire de l’interruption, un nouveau chemin,
faire de la chute, un pas de danse,
faire de la peur, un escalier,
du rêve, un pont
de la recherche…
une rencontre.
Fernando Sabino (1923-2004)
Extrait de O encontro marcado (Le rendez-vous convenu)
– Si nous reprenions les titres de Une du Canard enchaîné, notre revue de presse serait cela :
« Ces hostos qui font la manche … »
« Trisha, infirmière: «J’ai payé de ma poche sur Amazon des masques, des blouses, des gants»
Infirmière depuis seize ans dans une unité de soins intensifs d’un hôpital non-lucratif de Brooklyn, le Brookdale University Hospital Medical Center, situé dans le quartier défavorisé de Brownsville, Trisha (1) voit aujourd’hui son hôpital, d’une capacité de 300 patients, traiter une centaine de personnes testées positives au coronavirus, mais également près de 80 qui attendent leurs résultats. Jusqu’ici, au moins 20 personnes sont décédées du Covid-19 dans l’hôpital.
«On a 18 cas rien que dans mon unité de soins intensifs. Ce sont les cas les plus sérieux de l’hôpital: insuffisance rénale, insuffisance respiratoire, défaillances de plusieurs organes… Le premier décès était un homme de 49 ans, mais on a aussi des patients de 30 ou 40 ans, avec ou sans pathologie préexistante. Cette maladie ne discrimine ni sur l’âge, ni sur le statut social, ni sur la couleur de peau.
«L’unité est pleine. On a dû augmenter notre capacité, en rajoutant des lits là où on pouvait, dans les espaces ouverts, ce qui est problématique pour les patients qui devraient être isolés. Au début, les patients testés positifs au Covid-19 étaient mis dans des box fermés par des vitres, mais on ne peut plus faire ça parce qu’ils sont trop nombreux. La seule chose qu’on peut faire, c’est tirer les rideaux entre les lits.
«Le personnel soignant subit de plein fouet le manque d’équipement de protection, qui est un problème dans tout le pays. Dans mon hôpital, l’approvisionnement est très limité : vous ne pouvez pas avoir de masque N95 si vous ne vous occupez pas directement d’un patient atteint du Covid. Comme d’autres infirmières, j’ai commandé, et payé de ma poche, du matériel sur Amazon : des masques, des blouses, des gants. Mon masque, une fois que je le mets, je ne l’enlève plus de la journée.«
© Libération, 1er avril 2020.
« Macron prend un coronavirage à gauche... »
Emmanuel Macron en visite mardi 31 mars 2020 à la société de production de masques Kolmi-Hopen, à Saint-Barthélémy-d’Anjou, près d’Angers (Maine-et-Loire). ( © Photo Loïc Venance. AFP)
« La course folle aux masques …«
« Nous sommes en janvier. Dans l’entourage du professeur Jérôme Salomon, le directeur général de la santé, on s’inquiète déjà, selon les informations recoupées de Mediapart : les responsables politiques n’osent pas avouer à la population que les masques risquaient de manquer, et préfèrent dire dans un premier temps que les masques sont inutiles, jusqu’à ce que les commandes arrivent.
Le 24 janvier, quelques heures avant la confirmation de trois cas européens (et français) de coronavirus, la ministre de la santé Agnès Buzyn se veut rassurante à la sortie du Conseil des ministres : « Les risques de propagation du virus dans la population [française – ndlr] sont très faibles. »
Mais le résultat le plus décevant vient des achats à l’étranger. Selon une estimation de Mediapart, que le ministère de la santé nous a confirmé, la « cellule masques » a réussi à importer moins de 20 millions d’unités entre début mars et le 21 mars. Le ministre de la santé a indiqué publiquement que ces « difficultés » viennent de la « course mondiale aux masques » provoquée par la pandémie, qui fait qu’« aucun pays au monde ne fait face à sa demande » ».
© Mediapart, 2 avril 2020 (Masques: les preuves d’un mensonge d’Etat).
« Par mesure de précaution le 1er avril 2020 est reporté au 1er avril 2021… »
Les entreprises qui renoncent à verser des dividendes dévissent à la bourse.
© France Inter, 2 avril 2020.
– On commence à parler déconfinement par étapes. Un autre tour de France.
– Drôle d’histoire que la nôtre et celle du monde coronaviré quand-même. Didier Daeninckx est un as en matière de vigilance politique et de ce qui fait tenir ensemble ou pas :
▶︎ Voir le Mot à mot de Didier Daeninckx
Et donc forcément chercher les pages cornées … la 516. Les mots pour le dire et autres romans de Marie Cardinal :
« J’avais trente ans. J’étais en très bonne santé, je pouvais en avoir pour cinquante ans à être enfermée et peut-être que je me serais laissée aller complètement sans mes enfants. Peut-être que sans eux j’aurais cessé de me battre. Car la lutte contre la chose était épuisante et, de plus en plus, j’étais tentée par les remèdes qui me livraient à un néant pâteux et doux. Mes enfants étaient des êtres humains que j’avais désirés énormément. Ils n’étaient pas nés par hasard. Depuis que j’étais toute petite je me disais : « Un jour j’aurai des enfants et je fabriquerai avec eux et pour eux une vie de chaleur, d’affection, d’attention, de gaieté. » Tout ce dont j’avais rêvé quand j’étais enfant moi-même. Ils étaient venus au monde chargés de leur vie toute neuve, robustes, très différents les uns des autres. Ils poussaient bien. Nous nous adorions. J’aimais qu’ils rient, j’aimais leur chanter des chansons.
Et puis cela avait été le gâchis : la chose était venue, revenue et ne me quittait plus… »
« Il y a quelques années, j’ai lu Les mots pour le dire de Marie Cardinal. Plus que l’enthousiasme de la personne qui m’a conseillé ce livre, c’est son titre qui m’a persuadée : cinq mots pris à Boileau qui décrivent clairement tout le programme et l’ambition d’un romancier. Pourtant Cardinal n’avait pas projeté une fiction :; il s’agissait de documenter sa folie, sa thérapie et le processus complexe de sa guérison dans une langue aussi exacte et évocatrice que possible, afin de rendre accessible à autrui son expérience et ce qu’elle en avait elle-même compris. Un genre de récit où la vie semble venir se mouler de façon saisissante dans certaines sortes de psychanalyse. Et Cardinal a réussi de manière idéale à restituer l' »histoire profonde » de sa vie. » Toni Morrison © Grasset
Les mots pour le dire de Marie Cardinal (1928-2001) dont l’exergue est le suivant : Au docteur qui m’a aidée à naître.
Jours 13 et 14 …
Tourner Bourrique. Sachant que vous ne pouvez jamais vous éloigner de plus d’un kilomètre de votre point de départ, combien allez-vous parcourir sur le cercle (tracé avec un compas à partir dudit point) que vous allez rejoindre. Sachant que vous courrez à 10,34 km/h de moyenne et qu’une sortie quotidienne ne peut excéder une heure, quelle est la longueur de votre footing quand vous serez revenu et à quelles conditions?
– Quand les temps incertains que nous vivons nous font rejouer à l’école primaire … et au non sens.
– « Pour le moment, il voulait faire comme tous ceux qui avaient l’air de croire, autour de lui, que la peste peut venir et repartir sans que le cœur des hommes en soit changé » écrit Albert Camus dans La peste (1947). Grande question que celle des jours d’après. Même si le ministre de l’économie appelle à la modération, la rente sera-t’elle moins obèse ? Le service public réhabilité ? l’hôpital ressourcé ? Et le libéralisme …. ? Et là me manque le qualificatif.
– Magnifique Annie Ernaux dans la lettre lue ce matin de quatorzième jour de confinement par Augustin Trapenard sur France Inter :
« Depuis que vous dirigez la France, vous êtes resté sourd aux cris d’alarme du monde de la santé et ce qu’on pouvait lire sur la banderole d’une manif en novembre dernier -L’Etat compte ses sous, on comptera les morts – résonne tragiquement aujourd’hui. » Et l’écrivaine d’ajouter : « Prenez garde, Monsieur le Président, aux effets de ce temps de confinement, de bouleversement du cours des choses. C’est un temps propice aux remises en cause. Un temps pour désirer un nouveau monde. Pas le vôtre ! »
▶︎ Voir Des mots de minuit, L’Émission #200 : Annie Ernaux et Marc Marie, Pierre Pachet.
▶︎ Voir Des mots de minuit, L’Émission #20 avec Annie Ernaux et Franck Ribault.
– Paradoxe : rester confinés, donc ne rien faire pendant cette prétendue guerre si mal préparée faute d’avoir cherché une paix sociale, c’est aider celles et ceux qui font tout.
– Noter dans la litanie des chiffres qu’en France, plus de 7 000 établissements accueillent 700000 personnes âgées.
«Les fédérations du secteur m’ont fait part de leur besoin de 500 000 masques chirurgicaux par jour, a dit le ministre de la santé …
Donc forcément chercher les pages cornées … la 31 d’un livre de Kaoutar Harchi
Gorge nouée. Suffocation. Vertiges. Nausées. Envie brutale de fuir cette maison singulière, aux frontières de l’irréel, cette maison dont les femmes disent qu’elle est le vestige d’un temps ancien, archaïque, une maison de pierres aux chambres carrées, à peine meublées – un lit, une chaise, une tablette -, une maison sans la moindre trace de couleur où règne le silence des cimetières, l’obscurité des forêts, une maison entourée d’un terrain vague, construite à l’écart de la ville par des hommes aidés de femmes dans le but d’isoler d’autres femmes, la maison des délits du corps où l’on ne châtie ni ne violente, où on rééduque, jour après jour, au risque d’y passer des années, par la seule force de l’enfermement.
À l’origine notre père obscur.
Il faudrait dire : de l’emmurement.
« Enfermée depuis toujours dans la “maison des femmes” – où maris, frères et pères mettent à l’isolement épouses, sœurs et filles coupables, ou soupçonnées, d’avoir failli à la loi patriarcale –, une enfant a grandi en témoin impuissant de l’aliénation de sa mère et en victime de son désamour. Le jour où elle parvient à s’échapper, la jeune fille aspire à rejoindre enfin son père dont elle a rêvé en secret sa vie durant. Mais dans la pénombre de la demeure paternelle la guette un nouveau cauchemar d’oppression et de folie. Entre cris et chuchotements, de portes closes en périlleux silences, Kaoutar Harchi écrit à l’encre de la tragédie et de la compassion la fable cruelle de qui tente de s’inventer, loin des clôtures disciplinaires érigées par le groupe, un ailleurs de lumière. » © Actes Sud
▶︎ Voir Des mots de minuit, L’Émission #509 avec Kaoutar Harchi et Stéphane Ragot.
Jours 10, 11, 12 …
Ce confinement a des allures de film étirable. Il s’enroule autour des doigts quand on s’apprête à protéger l’aliment. Mais avec ses délicatesses de peau ridée, il dit la saloperie virale actuelle. Quand, enfin, le capitaine Haddock s’est dépêtré et triomphe de son gluant plastifié, la fine et parfaite pellicule est en place. Son lissé retrouvé et transparent met à l’abri le rosbif ou le reste de carottes…
… Reste à séparer la partie utilisée de son rouleau car on n’a pas gardé l’emballage cartonné . Et le film s’étire, s’étire (deux semaines déjà et deux autres)… et finit par rompre, nous laissant quelques filaments de notre misère. À l’heure des bilans : l’évidence d’une bonne protection mais la difficulté de sa mise en œuvre.
Se promener au fil de quelques citations attestées ou apocryphes des invités des matinales radio qui se raccrochent à quelques plumes.
John Steinbeck (1902-1968) : « Une âme triste peut tuer plus vite qu’un microbe … »
Jean-Paul Sartre (1905-1980) : « Jamais nous n’avons été aussi libres que sous l’occupation allemande… »
Rudyard Kipling (1865-1936) : « La première victime de la guerre c’est toujours la vérité... »
Chez les Anglais, entendre « any rocket science for this… » (c’est pas compliqué!) pour qualifier la simplicité des mesures de précaution en période de virose (les mains, la manche, le mètre, le salut)
Nouvelle routine : lire le journal numérique. Une habitude qui évite les déplacements aux vieux accros de la presse papier (Le Monde du 27 mars 2020) mais qui n’empêche rien …
Donc forcément chercher les pages cornées … Quand on entend parler de l’augmentation
(+ 30% selon le journal de France 2) des violences conjugales ou de la difficulté de l’intersubjectivité confinée qui détruit et abîme…
Pages 50 et 51 de Heureuse fin (Feliz Final) de Isaac Rosa :
… tout ce magnifique effondrement que je désirais partager et constater et noter, surprendre la beauté de chaque âge, le désir qui s’actualise, ce qu’il y a d’inespéré au fait de trouver excitant un corps vieilli qui quelques années plus tôt aurait fait naître chez moi du rejet dans sa nudité, sa rugosité et son odeur, mais qu’alors, une fois venu ce jour, je voudrais caresser, sentir, mordre. Parce que nous aurions vieilli ensemble. « Je ne te toucherai plus. Je ne te verrai pas mourir. »
heureuse fin
Attendrissant. Que veux-tu que je te dise ? Dois-je te remercier d’avoir vénéré sans rien dire mon ramollissement et mon fascinant duvet doré pendant que tu récitais tes petits poèmes sentimentaux, au lieu de me parler et de me dire que tu n’allais pas bien, que tu étais tombé amoureux d’une autre femme et voir si nous pouvions encore tout arranger ? Comme c’est joli. Notaire de mon, comment disais-tu, notaire de mon obsolescence ? Non, je n’ai même pas trouvé ça drôle. Les mots d’amour qui à un moment précis peuvent émouvoir, hors contexte, hors du nécessaire contexte émotionnel, sont toujours ridicules. Voilà ce qu’est ta description de mes « marques de vie » : ridicule… »
« Comme beaucoup de couples, Antonio et Ángela ont connu un amour hors du commun. Et comme beaucoup de couples, après treize ans de passion, ils ont fini par divorcer. Quand commence Heureuse fin, Antonio erre dans l’appartement conjugal vidé par les déménageurs. Les souvenirs affluent. C’est le point de départ d’un roman d’un genre particulier où tout, de la première rencontre à la séparation, est raconté à rebours.
Tour à tour, Antonio et Ángela prennent la parole, et se livrent à une autopsie de leur vie commune : le mariage, les enfants, les problèmes d’argent, l’usure du temps… Seulement chacun a son point de vue sur les raisons de leur échec : leurs récits se complètent, se disjoignent, et parfois se contredisent. Les illusions de l’un se retrouvent ruinées par les attaques de l’autre, et vice-versa. L’amour est quelquefois une bataille où les coups les plus durs sont portés dans les mots. » © Christian Bourgois Éditeur. Traduit par Jean-Marie Saint-Lu.
Jours 7,8,9 ...
« À la claire fontaine, m’en allant promener, j’ai trouvé l’eau si belle que je m’y suis baigné… » chante Manu Dibango dans la nuit du 22 avril 1999 sur le plateau du millième Cercle de minuit. L’innocence de la comptine en hommage à l’une des milliers de victimes du virus…
Étrange d’avoir tout ce temps de nostalgie pour regarder d’anciennes émissions. Manu Dibango (1933-2020) est mort du coronavirus hier à Melun.
Il y a 21 ans, avec lui, nous fêtions le millième numéro d’un Cercle singulier, un magazine culturel exigeant imaginée du temps présidentiel d’Hervé Bourges (un ami, mort lui aussi, de Manu Dibango) à France 2. Laure Adler, Michel Field, Bernard Rapp, Olivier Mine, Frédéric Mitterrand en furent les timoniers, Thérèse Lombard la productrice. Au générique de cette émission, exceptionnelle de ses cinq heures, on trouve notamment et dans un joyeux désordre :
Martial Solal, Björk, Papa Wemba, Johnny Clegg, Daniel Buren, Yves Coppens, Stanislas Nordey, Brigitte Rouan, Virginie Despentes, Michel Wieviorka, Alain Touraine, Jacques Bonnaffé, Pierre Miquel, Olivier Py, Malek Chebel, Denis Podalydes, Geoffrey Oryema, Dominique Blanc, Jeanne Moreau, Jane Birkin, Juliette Gréco, Reinette l’Oranaise, La fanfare La Vaginale, Sabor a Son, Ettore Scola, Nanni Moretti, Calvin Russel, Anouk Grinberg, Michel Piccoli, Patrice Chéreau, I Muvrini.
Certain-e-s sont mort-e-s. Toutes et toutes, elles et ils incarnent une magnifique conversation offerte par le service public. Elle est toujours, métisse, radicale, réjouissante ! Elle se poursuit sur desmotsdeminuit.fr à toute heure confinée du jour et de la nuit.
Nomad’s Land … Une des séries sur Des mots de minuit. Marco et Paula sont deux nomades pour lesquels le métier ou l’activité est un passeport pour le monde. L’un est consultant. L’autre s’implique dans l’humanitaire … Aujourd’hui, ils sont confinés en Virginie 🇺🇸… Et Marco note ceci :
C’est en voyant ces jours derniers des images des rues désertées de New York City placé en quarantaine que je me suis souvenu de cette conversation post 11 septembre, et des images de la télévision qui montraient la ville dans les jours qui avaient suivi l’attaque. Brutalement, il semblait qu’un monde avait disparu.
Nomad’s land. Les jours d’après.
L’attaque de Covid 19 aura été plus lente et plus sournoise, une lente déflagration qui, elle aussi, vide les rues et sidère les têtes, la peur de l’abîme qui s’ouvre, le désemparement face aux multiples incertitudes – Quand les écoles rouvriront-elles? Vais-je être payé pendant que j’attends à la maison la fin de la crise? Mon plan de retraite va-t-il s’évanouir dans les tourmentes des marchés financiers et des bourses? Que faire, si je me mets à tousser et avoir une légère fièvre? Qu’est-ce que le Président raconte? Qui croire? Et où trouver des rouleaux de papier toilette?
Les carnets d’ailleurs de Marco et Paula #243
Quant à la mort, sur une page cornée, la 217, je retrouve ceci dans Forever valley de
Marie Redonnet :
« J’ai porté Bob jusqu’à la troisième fosse. Je l’ai fait presque machinalement. Je l’ai plus traîné que porté. Qu’est ce que ça peut faire maintenant qu’il est mort ? C’est la même fosse devant laquelle on a dormi la première nuit où Bob est venu au presbytère. C’était juste samedi dernier. C’est la seule fosse qui regarde vers le col. C’est celle-là que Bob aurait choisie. J’ai fait exactement comme j’ai fait pour le père. J’ai mis Bob à même le roc. C’est le même roc que dans la tombe du père. Cette fois, je l’ai fait de nuit, et pas en plein soleil. Il y a la pleine lune aussi et les étoiles, comme l’autre nuit où Bob et moi on a dormi au bord de la fosse. J’ai passé ma nuit à enterrer Bob, à combler la fosse avec la terre. J’ai pris la terre avec mes mains. Je ne veux plus jamais me servir de la pelle. Quand la fosse a été comblée, je ne l’ai pas entourée de pierres comme celle du père, même si elles sont symétriques, l’une au nord et l’autre au sud. Bientôt la tombe de Bob ne se distinguera plus du jardin. Les herbes vont la recouvrir. La tombe du père, il restera les pierres de l’église pour la délimiter. C’est comme ça que j’ai voulu que ce soit. »
▶︎ Voir Des mots de minuit, L’émission #556 avec Marie Redonnet et Denis Lavant.
Jours 5 et 6 ...
Se penser chat d’appartement, c’est nuire au statut de confiné et oublier une météo virale. Comme les annales recensent finalement assez peu de chats morts d’ennui, il semble que le rapport du félin au temps soit somptueux ou forcément sublime…
Jours 5 et 6.
En fonction des heures du jour, on pourra retenir les étirements matutinaux (pauvre moquette!); le fauteuil de 10 heures; le « tu veux une boîte? » qui fait jaillir l’animal du diable vauvert et miauler le midi pour la pitance. Puis le canapé du temps de la sieste; le coin de bureau frappé de soleil du début d’après-midi à guetter les pigeons des bords de fenêtre; au choix, le lit de la petite maîtresse ou la chaise à coussin du début de soirée. Et… réglée comme une pendule, l’attente du soir : le retour du maître qui ne sera plus quitté (bas de pantalon couverts de poils) avant qu’il ne prenne l’animal aussi amical que domestique pour qu’il s’enroule sur son giron, toujours dans le sens des aiguilles d’une montre. Voilà bien un temps de chat, plus analphabète que celui du rabbin. Il ne sait pas écrire confinement. Mais, en grand as du ici et maintenant, il l’a métabolisé…
Je raconte tout ça parce que l’écrivain mozambicain Mia Couto, Emilio Leite Couto de son patronyme de naissance disait ici récemment que ce prénom lui venait de l’enfance quand il était entouré de chats et qu’il voulait en être un.
▶︎ Voir le Mot à mot de Mia Couto
Deux de mes amis. L’un est contraint par des médicaments qui font de lui un immunodéprimé. Son interdiction médicale de sortie est absolue. Il réfléchit depuis à son statut de personne à risques. Il me dit avoir écrit et laissé une lettre destinée au personnel médical au cas où il serait rattrapé par le virus. Pas moi, si vous avez à choisir !
L’autre est psychologue et requise, dans l’hôpital où elle travaille, pour désormais aider les personnels soignants.
Plus loin, je lis ceci de la diariste Leïla Slimani dans le journal Le Monde (Le 22 mars) :
« Depuis un peu plus d’un an, je suis marraine de l’association Lire pour en sortir, qui s’est donné pour mission de fournir des livres et propose un accompagnement personnalisé pour les détenus de France…
Depuis lundi 15 mars, les détenus sont privés de toutes les visites au parloir et de toutes les activités comme l’école ou la bibliothèque, avec des conditions de promenade extrêmement restreintes. Ils passent leurs journées en cellule à trois, quatre et parfois plus dans neuf mètres carrés … »
Il y a toujours surpopulation dans les prisons françaises.
Coronavirus. Le jour d’avant…
– Samedi dernier, extérieur jour, fin de mat, veille d’un premier tour délections municipales surréaliste. Sortant de sa permanence, le probable maire, non encore élu, vient vers moi me tend la main. Je tends la mienne instinctivement, la rétracte aussi vite, ne laissant qu’un doigt dans cette énergique poigne amicale.
Vous serrez encore la main et vous serez encore-là demain ?
Ah, j’ai oublié ! (Grand sourire de double circonstance)…
Jamais, je n’aurais pensé à :
– vérifier l’efficacité de mon nez ou l’ampleur de mes capacités pulmonaires (deux des symptômes du prédateur). Le voisin d’en face revient d’exercice : « Ouf, j’ai couru sans détresse respiratoire et je conserve l’odorat! »
– Attendre ou chercher le nombre de personnes guéries ou sorties de l’hôpital.
« La Chine a recensé au total plus de 81 000 personnes contaminées, dont seules 6 013 sont encore malades, selon les autorités sanitaires. » (Dans une gazette du matin)
– Remarquer des policières et des policiers sans gants ni masque.
Celui d’après…
Question : une semaine après où en est-on de l’état d’inconscience ?
Promenade quotidienne. Consigne du « petit tour près de chez soi » respectée. La nationale est sans âme qui vive. Sans chat, sans chien non plus d’ailleurs. Seul, un casque sur un scooter repère le barrage bleu et prend la tangente par le bois…
Peut-être pas une bonne idée pour le rédacteur en chef de ce magazine d’avoir commencé à visionner la série Chernobyl qu’il estime « remarquablement filmée » avant de dire que « ça a bien été pire ailleurs ».
Pour ma part j’attaque la saison 1 de The Walking dead (TWD). La philosophe et exégète de séries, Sandra Laugier (reçue par Des mots de minuit) estime que « TWD n’est pas une histoire de morts-vivants ou de «zombies», terme totalement proscrit de la série, mais, comme The Affair, une méditation sur notre forme de vie, et l’exploration des moyens par la fiction de rendre compréhensible, sensible ou de raviver cette sensation difficile à définir pour les humains, d’être vivant. »
Joli ce mot « désorienté » du shérif Rick Grimes qui, après être sorti du coma à la suite d’une blessure, découvre que le monde est envahi de morts-vivants à cause d’un virus ? D’un champignon ? D’une bactérie ? De l’œuvre de Dieu ?
Donc forcément chercher les pages cornées … Dans Nouvelle du jeu d’échecs de Stephan Zweig page 1459.
« En nous enfermant chacun séparément dans un vide total, dans une pièce hermétiquement coupée du monde extérieur, on voulait causer, non de l’extérieur par les coups et le froid, mais de l’intérieur, cette pression qui finirait par forcer les lèvres à s’ouvrir. À première vue la chambre qui m’avait été attribuée n’avait rien de déplaisant. Elle avait une porte, un lit, une chaise, une cuvette pour se laver, une fenêtre grillagée… /… tout autour de moi et même de mon propre corps, on avait construit un néant parfait. » (Traduction de Bernard Lorthlary)
Jour 4 ...
Il est parfois utile de dire au patient que l’effondrement dont la crainte mine la vie a déjà eu lieu a écrit un jour en substance le pédiatre Donald Winnicott (1896-1971). Comme la mathématique, la psychanalyse (il en fut aussi) peut être un art de la consolation par mauvais temps de virose…
Jour 4.
Même si nous savons depuis Stig Dagerman (1923-1954) que notre besoin de consolation est impossible à rassasier, il n’est pas inutile pour nos générations de réfléchir à quelques effondrements. Générations qui n’ont pas connu la guerre mais l’Europe et ses soubresauts; le mur de Berlin qui est tombé; Reagan et Thatcher qui leur ont fait croire que le marché des premiers de cordée était l’alternative. Pas de quoi les faire réfléchir aux gestions contemporaines du concert des nations et à une petite planète qu’elles épuisent sans vergogne.
Sauf qu’aujourd’hui, tout humain va pouvoir se sentir concernée. À la porte, une bonne vieille angoisse de mort.
Les brisures intimes ont d’autres lieux où se panser.
Ne retenons donc que deux ou trois de ces « effondrements ». Ils me sont citoyens ou professionnels.
1994 : Au Rwanda, un génocide va durer trois mois et faire entre 800 000 et un million de morts. Le 11 septembre 2001, des avions percutent en boucle à la télévision qui ne connaît pas encore le feu continu du tout info deux tours jumelles qui n’en demandaient pas tant.
En juillet 1995, à deux heures de vol de Paris (ah, les poncifs !), 8000 musulmans bosniaques sont massacrés à Srebrenica. Mladić a pris perpète. Crime contre l’humanité.
Et la Syrie et La Méditerranée comme cimetière. Et l’Ebola avec sa létalité de 39,5% qui rendait un continent moins égal et plus mortel que d’autres, il y a, à peine, deux, trois, ans.
Une litanie qui ne donne aucune immunité mémoire. Nous avons rapporté, filmé, écrit encore et encore. Essayé de dire … encore et encore. Et aujourd’hui, dans un continuum qui fatigue ou sidère avant d’informer.
Yolande Mukagasana est l’une des survivantes tutsies du génocide Rwandais de 1994 pendant lequel son mari et son enfant dont elle a voulu rencontrer le bourreau ont été massacrés. Elle a témoigné dans deux livres (“La mort ne veut pas de moi” et “N’aie pas peur de savoir” ).
▶︎ Voir Des mots de minuit #12
… Milité, manifesté, regretté, pleuré, « conseildesécuritéiser » encore et encore. Rien n’y a fait. Tout le monde, rassasié, à l’abri de ses frontières ou de ses récits, a fini par tourner la tête. Par consommer, comme tout le reste, ce désordre du monde. Comme si le supermarché était devenu habitude et tropisme. Un gamin … mort sur une plage … est une tête … enfouie dans le sable … de gondole.
Aujourd’hui, même si nous sommes loin d’être toutes et tous logé-e-s-confiné-e-s à la même enseigne, nous sommes toutes et tous égales et égaux face aux effets pathogènes de cette virose mondialisée. Voilà bien la différence. Nous avons autrement et collectivement peur. C’est une première dans l’histoire de ces générations pour partie, pour partie seulement, repues. La carte virale est à la rougeole généralisée et à l’aporie. Tous directement concernés. Une première donc et un ennemi invisible.
Libre association.
Sardou a chanté les villes de grande solitude. Elles ne le sont pas encore tout à fait. Ça court encore à tour de bras sur les bords de Seine ou de Garonne. Et difficile de prendre l’air quand les grands ensembles rassemblent leur monde dans d’improbables squares.
Paul Nizan, dans Eden Arabie parlait aussi (pas que des vingtenaires) de la France comme d’un « pays de procès pour les murs mitoyens ». Et si les clôtures finissaient donc par devenir utiles dans notre guerre aux postillons.
Rappel pour les vingtenaires:
« J’avais vingt ans et je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie.
Tout menace de ruine un jeune homme : l’amour, les idées, la perte de sa famille, l’entrée parmi les grandes personnes. Il est dur à apprendre sa partie dans le monde. » © Paul Nizan
Promenade quotidienne. Consigne respectée. La nationale est sans âme qui vive …
Et forcément chercher les pages cornées … La 123
« (C’est de cette manière qu’ayant pris claire conscience de ses maladresses et de leurs conséquences, l’homme se trouva contraint de conclure:)
» Certes, mes chances se sont faites fort lointaines. Au point où j’en suis, essayer de me cramponner à telle ou telle vague possibilité d’un secours venu de l’extérieur serait chose vaine : le faux espoir, l’expectative ne me seraient que poison que je me servirais à moi-même. En l’état où sont les choses, je n’ai plus à attendre qu’on vienne m’ouvrir la porte : à moi d’agir de l’intérieur, de me frayer de force le chemin, de réaliser mon évasion. Je n’ai pas d’autre parti; et désormais, aucune hésitation de ma part ne saurait excusable ». (Traduction de Georges Bonneau)
Jour 3 ...
La mathématique est un art de la consolation temporaire. Le crabe a mangé 157400 françaises et Français en 2019 alors que la camarde en a rayé au total 612000. Et nous avons fait un plein de Vie à 753000 naissances.
Jour 3
Un petit-fils nous est même né confiné.
Citer ces chiffres de L’INSEE ou de L’Institut National du Cancer ne sert qu’à prendre la mesure des cycles de la vie. On meurt, en France, 1676 fois, 365 jours par an. Je dois avouer que je n’avais aucune conscience de ce grand remplacement-là. Bien sûr aucune idée de là où nous mènera notre virose ni de la puissance de sa calculette actuellement exponentielle. Et si j’ai bien compris, ce qui est dit à la télé, il faut impérativement éviter que les combattantes et les combattants de l’hôpital soient confrontés au Choix de Sophie quand l’éthique rejoindra la littérature.
Mais, comme le twitte ce matin Edgar Morin qui twitte beaucoup : « … il faut supporter toniquement l’incertitude. L’incertitude contient en elle le danger et aussi l’espoir.«
Au fil de mon déplacement dérogatoire, promenade ritualisée, journalière et estampillée « activité physique individuelle des personnes », je croise à bonne distance P. qui prend le soleil dans son jardin; L., octogénaire qui tond une herbe déjà trop haute; R. qui peint un volet attaqué par l’embrun; Ph., septuagénaire. Il a accueilli ses petits-enfants l’autre mardi midi. Ils avaient quitté la banlieue parisienne au premier matin du confinement et portent un masque en sa présence dans la maison. Leur mère est infirmière. Un avion de chasse, pour on ne sait quelle mission, survole cette compagnie de voisins déboussolés que nous sommes devenus dans un paysage essentiellement désert. Le printemps, lui, va bien. Il pousse…
Plus loin, sur la route, une automobiliste conduit masquée quand un autre lave, en face du supermarché à grands coups de gouttelettes à haute pression, sa bagnole. Vos papiers !
Plus loin, un carré de quatre mètres de côté. Chaque coin est occupé par une anecdote à deux jambes et une bouche, et une évidente difficulté à trouver la bonne posture dans une conversation écartelée…
Trop drôle, cet Italien qui trinque dans les quatre miroirs de sa salle de bain. Solitude diffractée…
Jour 3…
Vous n’avez pas vu, ce chien sur Facebook, les pattes en croix et la langue pendante, qui affirme n’en plus pouvoir que les voisines et les voisins veuillent toutes et tous le promener…
En fait, c’est un coup des GAFAM pour virtualiser complètement le monde dans lequel nous vivons…
C’est ne plus pour trouver du travail qu’on change de trottoir, mais c’est pour garder la santé…
ou ceci, montré de loin et deviné sur un smartphone :
Fin d’un minuscule tour d’une France de quartier et de réseaux confinés et numérisés…
Et, un ou deux morts dont l’on vous parle aussi chez des connaissances de connaissances… Sans vraiment être sûrs!
Reste la magnifique opportunité d’une temporalité différente. Il y a peu, avant la Chine, mes conseils de lectures de « gros » livres commençaient par « Pour lutter contre l’immédiateté contemporaine, lisez… » Nous y sommes. Au réapprentissage de temps longs, de la langueur de l’intime, de l’ennui. Plus rien, du tout, tout de suite, au détriment des autres. Enfin, on espère même s’il y a longtemps que Platon parlait de pléonexie…
Et les diaristes écrivaines et écrivains se bousculent de Leïla Slimani à Frédérique Deghelt pour écrire sur ces temps incertains. L’autre jour, à l’un des tweets de cette dernière, il était répondu: « Personne n’a encore écrit L’amour au temps du coronavirus ». De fait, Marquez « préférait » le Choléra.
Quant à l’amour, sur l’étagère, sur une page cornée, la 261, je retrouve ceci :
« Jouait-elle avec lui ? Il s’était demandé si ce signe des paupières n’était pas parodique, lui. Il se doutait bien qu’il y avait forcément quelque chose d’un peu ridicule dans l’amour, mais ce n’était pas l’amour lui-même qui était ridicule , c’étaient les phrases et les manières si empruntées pour l’exprimer. Toutes ces paroles communes, instituées, usées, tout ce bruit de paroles. Un jour, il y a longtemps, il avait lu Yeats, le poète, dans un recueil de poche traduit de l’anglais, et avait été frappé de découvrir combien un aussi noble poète pouvait écrire des vers comme : « Elle me dit de prendre l’amour simplement, ainsi que poussent les feuilles », ou: « tout menace l’être que j’aime »… Il y avait d’abord vu une sensiblerie excessive. »
Jour 1 …
Travailler à la télé et télétravailler. Une boucle professionnelle est bouclée. La vie numérisable est facétieuse comme une claustration sans fin annoncée. Si, journaliste, à 20 ans, on s’imagine refaire le monde, à 40 on se contente d’essayer de limiter les dégâts, avant l’automne venue, de passer à autre chose. Tenter par exemple un journal de temps incertains… Du lire, de l’écouter et du voir.
Jour 1 et moitié d’un autre. Au matin du deuxième jour de la guerre à la virose :
“Il y a même des endroits où l’on dort à tour de rôle” dit le romancier Régis Jauffret qui parle à la radio d’une maltraitance sociétale de fait pour des familles quand“on les confine comme dans une cellule” dans certains quartiers où l’on ne dispose pas de cent mètres carrés.
Penser Piaf et Armstrong …
Virose : entendre aussi dans les mots le contraire possible de ce qu’ils disent et de ce qui reviendra de la vie à réenchanter en couleur (et même chez Luis).
Confinés depuis moins de 24 heures hors de Paris. L’idée était il y a longtemps, six jours seulement à dire vrai, d’emmener ma fille voter pour la première fois dans le village de notre maison. L’idée a fait long feu devant des injonctions aussi gouvernementales que contradictoires. Ne sortez pas ! Sortez ! Mécontents, nous nous sommes abstenus. Le jour du vote fut celui de la horde sauvage. Le temps était beau. Ça défilait, inconscient et joyeux, sur la route des premières douceurs aguichantes de printemps, comme un dimanche d’août de bonne grasse pollution asphaltée. Dans un sens. Puis dans l’autre, retour de prise d’air.
Puis le grand chef, en figure de bon père de famille soucieux de faire nation, nous a foutu radicalement les jetons, ravivant les angoisses de mort collective, de film catastrophe et annonçant jours d’ennuis et de vacuités. Ensemble mais isolés. Le monde et le social à réinventer. Des promesses mais on ne pouvait pas moins libéral à toutes sauces.
Page 102 …
Téléphone…
Hier nos amis sont allés sans rencontrer souci chercher leur fille étudiante à Bruxelles où rien n’était encore fermé. La frontière. Quelle frontière ? “Nous sommes contents d’être de retour et en famille. Nous allons lire, méditer, chanter.”
Ou chercher une piste en poésie. En 1975, en Argentine, juste après la mort de Leonor Acevedo Suárez, sa mère, aidante de l’aveugle qu’il fut comme son père, Jorge Luis Borges (1899-1986) titre l’un de ses poèmes les plus connus : Le remords. Il n’en pensa pas longtemps du bien, allant même jusqu’à vouloir le denier.
C’est à la page 102 qui est cornée dans ce livre de l’étagère.
“J’ai commis le plus grand des péchés que l’on puisse
Commettre : le péché de n’avoir pas été
Heureux. Que les glaciers de l’oubli me saisissent,
Qu’ils m’entraînent, qu’ils me dispersent sans pitié.
J’ai trompé mes parents. Je sais qu’ils m’engendrèrent
Pour la vie, pour le risque et la beauté du jeu,
Pour la terre et pour l’air, pour l’eau et pour le feu.
Je n’eus pas de bonheur, faillis à satisfaire
Leur jeune volonté. Mon esprit s’appliqua
À l’art, à ses défis symétriques, à la
Vacuité de ses quêtes de consonances.
On me créait vaillant. Je n’eus pas de vaillance.
une ombre est toujours là, ma compagne, ma sœur,
Et si je dis son nom je l’appelle malheur”
Pas autrement réjouissant le père Borges par mauvais temps humain mais, entre les lignes, de quoi, nonobstant, redessiner le monde à revenir.
“Les labyrinthes et les épées, les miroirs, les jeux avec le temps qui passe et l’identité qui demeure, le culte des aînés et celui des anciennes littératures germaniques trouvent ici des variantes de plus en plus subtiles, que l’écrivain semble proposer comme la version épurée, définitive des thèmes qui lui sont chers depuis toujours.
Si chacun des livres de Borges résume toutes ses préoccupations, aucun n’est aussi personnel que celui-ci. Il rappelle la fable que le poète écrivit jadis, et dont le héros entend dessiner le monde. Au fil des ans, il peuple ainsi une vaste surface d’images, de provinces, de royaumes, de montagnes, de golfes, de navires, d’îles, de poissons, de maisons, d’instruments, d’astres, de chevaux et de gens. Pour s’apercevoir, en fin de compte, que ce patient labyrinthe de formes n’est rien d’autre que son portrait…”
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