Raphaël Liogier : le droit au travail est devenu obsolescent! #02
ARGUMENT est une nouvelle proposition Des mots de minuit. Il s’agit de donner la parole à des intellectuels, « savants » de toute discipline pour essayer de faire face à un absurde du monde contemporain englué dans une rupture civilisationnelle. Bref, pour ne pas mourir idiot ou sans repères dans une société aux slogans réducteurs.
Argument du 17/11/2016
Après Roland Gori, qui s’inquiétait de la numérisation du monde colonisé et calculé par l’algorithme et un libéralisme débridés, Argument explore dans ce deuxième numéro la « religion » du travail et une contre bien-pensance structurée autour de la notion de revenu universel ou de revenu d’existence dans une économie postindustrielle où les technosciences facilitent l’abondance en réduisant les coûts de production et surtout de main d’oeuvre (cf notamment la destruction des emplois industriels ou la réduction annoncée des agences bancaires).
« … L’idéal d’un monde sans travail obligatoire peuplé de vrais citoyens. »
(Raphaël Liogier, 2016)
« SANS EMPLOI condition de l’homme postindustriel ». Éditions LLL, 2016.
« Revenu universel » : le concept et son expression ne sont pas nouveaux. Ils sont d’utilisation récente dans le discours économique et politique mais celui-ci reste pesamment axé sur « la croissance » et « le plein emploi ». Elle est désormais de tout bord partisan même si sa justification évidemment différe en fonction des sensibilités culturelles ou politiques. Des expérimentations sont menées (Danemark, Canada, Finlande, La Gironde en France) et des votations ont eu lieu.
Les Suisses rejettent l’instauration d’un « revenu de base inconditionnel »
AFP. 5 juin 2016.
Selon les résultats définitifs, 76,9 % des électeurs ont dit « non » à ce projet controversé de création d’un revenu universel pour tous, salariés comme sans emploi.
Ainsi donc il serait possible de penser que parce qu’un individu naît, il aurait de par ce seul fait une valeur et recevrait une somme (on ne dira pas salaire) sans qu’il ait à vendre sa force de travail pour vivre. Et pas survivre! Il ne s’agit pas dans l’Argument que développe Raphaël Liogier d’une refonte de minimas sociaux mais bien d’un viatique permettant de vivre décemment. L’affaire, l’utopie (disent certains), ce changement radical de système d’organisation économique et sociétale pour l’essayiste Liogier sont possibles dans cette partie du monde (États-Unis, Europe) qui n’a jamais été aussi algorithmée et robotisée (« Les machines ne reçoivent pas de salaire! ») connectée (interactivité/partage), aussi riche (abondance) ni jamais aussi inégalitaire (non redistribution).
Le risque de « la génération de paresseux » que ferait advenir cette manne versée dès la naissance est balayé par Liogier qui avance nos besoins primaire et pulsionnel d’action ou de distinction. L’homo faber et désirant! Et son financement passe par une sortie progressive du capitalisme; une autre acception de la propriété, un libéralisme pris au premier sens du terme; une refonte totale de la fiscalité (Impôt sur un « capital » redéfini et une TVA orientée vers le social).
La pensée de Liogier est bien une pensée du contre emploi… et de la réalisation de soi autrement que dans le travail pensé dans l’histoire comme la matrice du capitalisme.
Il la développe dans cet Argument en quatre chapitres :
1) Le travail, fétiche obsolète
2) Un temps de robots et d’intelligence artificielle
3) L’abondance et le revenu d’existence
4) Les grands outils du partage
Le travail chez Thomas Mann, il y a 100 ans …
Revenons aux idées abordées plus haut, visant à énoncer l’hypothèse que les atteintes de l’époque à la vie individuelle sont parfaitement à même d’influencer sur l’organisme physique de l’être humain. Hans pouvait-il ne pas estimer le travail? C’eût été contre nature. Dans cette conjoncture, il ne pouvait le trouver qu’émiminemment responsable, car, au fond, rien ne valait d’être respecté en dehors du travail. C’était le principe auquel on satisfaisait ou non, et l’absolu de l’époque; en quelque sorte, le travail était à lui-même sa propre réponse. Le respect qu’il inspirait à Hans était de nature religieuse et, à sa connaissance, indubitable. Quant à savoir s’il aimait le travail, c’était une autre affaire; même s’il le tenait en grande stime, il n’arrivait pas à l’aimer, et ce pour la simple raison qu’il ne lui réussissait guère. Un travail acharné le mettait à bout de nerfs, ne tardait pas à l’épuiser, et Hans avouait en toute franchise préférer le temps libre, sans souci, délesté des poids en plomb du labeur, ce temps s’étandant à découvert devant nous, et non bloqué par des obstacles qu’il fallait surmonter en renâclant. Cette contadiction inhérente à son rapport au travail demandait somme toute à être résolue. Son corps tout comme son esprit – son corps d’abord, entraînant l’esprit à sa suite – auraient-ils pu avoir plus de cœur à l’ouvrage et d’acharnement si Hans, ne sachant à quoi s’en tenir en son for intérieur, avait été capable de croire à la valeur absolue du travail, principe trouvant en lui-même sa propre réponse, et de se rassurer ainsi? Voilà qui relance la question de savoir s’il est médiocre ou mieux que cela, mais n’entendons pas y apporter de réponse succincte. Loin de nous prendre pour le laudateur de Hans Castorp nous avançerons l’hypothèse que dans sa vie, tout simplement, le travail l’empêchait quelque peu de savourer des Marie Mancini avec un bonheur sans mélange…
La Montagne magique, Thomas Mann, 1924. Traduction de Claire de Oliveira (Fayard, 2016).
ARGUMENT est une « leçon » au pupitre d‘une quarantaine de minutes séquencée par de l’image (extraits de films, de documentaires, de reportages, photos, musiques, lectures enregistrées) choisie en accord avec l’invité et qui lui permet d’illustrer et de développer les principaux aspects de ses thèses.
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