🏝 En manque d’isolement? Deux dans l’üle #19

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R&Z

Quand au bout de quelques mois Ă  proximitĂ© de l’eau, ZoĂ© ne sait toujours pas faire un noeud marin, ça fait rire les inconnus et ça Ă©nerve Robin.

Les choses se tassent


On s’habitue aux montagnes russes des rĂ©ussites suivies d’échecs, et inversement. On comprend, lentement mais sĂ»rement, ce que signifie rĂ©ellement l’emploi de gardien. On se familiarise avec les objets qui marchent une fois sur deux et avec la façon dont il faut les cajoler pour que cette fois sur deux se transforme en presque Ă  chaque fois.

MĂȘme point de vue que plus haut, et pourtant tout autre point de vue. Â©R&Z

J’ai l’impression que nous avons traversĂ© toutes les conditions climatiques possibles : aprĂšs fĂ©vrier et le vent permanent, mars clĂ©ment. Le soleil radieux s’est installĂ© d’avril Ă  mai et pendant plusieurs semaines, chaque jour, il Ă©tait au rendez-vous, chaud et odorant, si chaud que dĂ©jĂ  les pelouses pĂątissaient, jaunes et sĂšches. Ce soleil pourtant a fini par ĂȘtre remisĂ© par la tempĂȘte Miguel dont nous n’avons subi que le bout, je crois, mais qui a amenĂ© avec elle la pluie. Des trombes d’eau se dĂ©versent sur l’üle depuis une semaine, tout est dĂ©trempĂ©, les pelouses sont de nouveau vertes mais bientĂŽt boue
 Les maisons sont humides et c’est le grand retour du feu dans notre poĂȘle Ă  bois. Nous en profitons pour faire ce qui nous avait jusqu’alors Ă©tĂ© Ă©pargnĂ© : le mĂ©nage de printemps dans cette foutue grande maison et la trop grande proximitĂ© avec ses occupantes, une belle panoplie d’araignĂ©es.
Nous sommes donc moins dans l’absolue nouveautĂ© et le dĂ©paysement. Pourtant, je n’ai pas encore l’impression d’ĂȘtre arrivĂ©e, ni installĂ©e. Je ne me vis pas sĂ©dentaire. D’abord parce qu’une fois par semaine environ, il nous faut partir en expĂ©dition, car c’est toujours une expĂ©dition, souvent agrĂ©able mais aussi source de tensions. En expĂ©dition sur le continent, proche et lointain Ă  la fois. Proche en distance, lointain par les efforts qu’il exige de ma carcasse, de ma caboche. 


mais tanguent

Il y a encore deux jours, revenant de quelques jours Ă  Paris (lĂ  encore, loin loin la sĂ©dentarisation), j’attends Robin parti garer la voiture (je n’ai pas le permis) et chercher le bateau (oui c’est encore lui qui s’y colle, ma peur est tenace mais ça va aller, bientĂŽt je crois). 
J’attends sur le quai qui parfois ne sent rien mais lĂ , l’odeur de la mer me frappe le nez, il y a un peu de vent mais pas trop, quelques nuages mais la lumiĂšre est belle. Je regarde les Ăźles qui me font face et je me demande pourquoi j’ai eu envie d’aller Ă  Paris, pourquoi j’ai voulu quitter un instant cet endroit. Je me sens heureuse d’ĂȘtre lĂ , de retour. Et puis Robin arrive, avec le bateau, et surtout avec son gros bout d’amarrage
 Ce bout est raide, rĂȘche, je m’entrave les mains dans sa longueur, je ne parviens pas Ă  l’enrouler efficacement autour de l’anneau auquel il faut pourtant bien l’attacher le temps de charger Ă  bord les courses de la semaine. Pendant que je m’escrime Ă  apprivoiser ce premier bout, le cul du bateau s’éloigne du quai et menace d’aller s’encastrer dans le cul de l’autre bateau qui ne manque jamais d’ĂȘtre Ă  quai pile quand on y accoste: l’autre bateau, c’est celui de la navette qui relie l’üle voisine de la nĂŽtre au continent. Une navette dont les frĂ©quences de dĂ©part augmentent avec l’arrivĂ©e des beaux jours et qui a la prioritĂ© sur les autres bateaux, de plaisance. Une navette sur laquelle navigue un Ă©quipage qui semble toujours goguenard lorsqu’il nous voit approcher
 
Moi, je me fous qu’on se moque ainsi de nous, je sais notre incompĂ©tence en matiĂšre maritime (entre autres), et puis ce n’est pas vraiment de moi qu’on se moque : je suis une femme, c’est normal que je sois un peu empotĂ©e, pas trop dĂ©gourdie, si je fais sourire, on me propose aussi de l’aide, on fait preuve Ă  mon Ă©gard d’une « gĂ©nĂ©rosité » Ă  laquelle Robin n’a pas droit. Quel rĂŽle, du sien ou du mien, est le plus supportable, je ne sais pas. Toujours est-il que j’ai une certaine habitude d’ĂȘtre traitĂ©e en femme tandis que Robin, lui, n’a pas l’habitude qu’on se moque de lui. Et de ces sourires narquois, sans doute comprĂ©hensibles mais peu charitables, naĂźt l’orage qui va nous diviser, Robin et moi, le temps de la traversĂ©e. Parce qu’outre ma bagarre contre le bout d’amarrage, la mer a dĂ©cidĂ© d’entrer dans la danse et les courses que j’avais pourtant remontĂ©es de leur place initiale sur le quai, craignant que la marĂ©e montante ne vienne lĂ©cher nos provisions avant l’arrivĂ©e de Robin, se sont retrouvĂ©es dans l’eau: j’avais mal calculĂ© la rapiditĂ© de l’envahissement du quai par la mer
 Evidemment c’est Ă©nervant, et drĂŽle sans doute pour ceux qui nous observent du haut de leur gros bateau.

Retour de courses poids plume, un jour de beau temps et Ă  marĂ©e basse
 © R&Z

Et alors je sais pourquoi l’üle ne m’apparaĂźt pas que comme idyllique. L’üle, c’est une putain d’aventure, pratique et humaine, qui met nos nerfs Ă  rude Ă©preuve, qui nous met Robin et moi face Ă  nos diffĂ©rences et me fait douter, parfois, quelques petites fois oĂč je suis fatiguĂ©e et oĂč je n’ai pas envie de lutter, du bien-fondĂ© de notre choix de vie. (Le lendemain, je ramasse 5 fraises et 3 framboises dans le jardin et tout est oubliĂ©. Jusqu’à la prochaine fois.)

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