Quand au bout de quelques mois Ă proximitĂ© de lâeau, ZoĂ© ne sait toujours pas faire un noeud marin, ça fait rire les inconnus et ça Ă©nerve Robin.
Les choses se tassentâŠ
On sâhabitue aux montagnes russes des rĂ©ussites suivies dâĂ©checs, et inversement. On comprend, lentement mais sĂ»rement, ce que signifie rĂ©ellement lâemploi de gardien. On se familiarise avec les objets qui marchent une fois sur deux et avec la façon dont il faut les cajoler pour que cette fois sur deux se transforme en presque Ă chaque fois.
Jâai lâimpression que nous avons traversĂ© toutes les conditions climatiques possibles : aprĂšs fĂ©vrier et le vent permanent, mars clĂ©ment. Le soleil radieux sâest installĂ© dâavril Ă mai et pendant plusieurs semaines, chaque jour, il Ă©tait au rendez-vous, chaud et odorant, si chaud que dĂ©jĂ les pelouses pĂątissaient, jaunes et sĂšches. Ce soleil pourtant a fini par ĂȘtre remisĂ© par la tempĂȘte Miguel dont nous nâavons subi que le bout, je crois, mais qui a amenĂ© avec elle la pluie. Des trombes dâeau se dĂ©versent sur lâĂźle depuis une semaine, tout est dĂ©trempĂ©, les pelouses sont de nouveau vertes mais bientĂŽt boue⊠Les maisons sont humides et câest le grand retour du feu dans notre poĂȘle Ă bois. Nous en profitons pour faire ce qui nous avait jusquâalors Ă©tĂ© Ă©pargnĂ© : le mĂ©nage de printemps dans cette foutue grande maison et la trop grande proximitĂ© avec ses occupantes, une belle panoplie dâaraignĂ©es.
Nous sommes donc moins dans lâabsolue nouveautĂ© et le dĂ©paysement. Pourtant, je nâai pas encore lâimpression dâĂȘtre arrivĂ©e, ni installĂ©e. Je ne me vis pas sĂ©dentaire. Dâabord parce quâune fois par semaine environ, il nous faut partir en expĂ©dition, car câest toujours une expĂ©dition, souvent agrĂ©able mais aussi source de tensions. En expĂ©dition sur le continent, proche et lointain Ă la fois. Proche en distance, lointain par les efforts quâil exige de ma carcasse, de ma caboche.
âŠmais tanguent
Il y a encore deux jours, revenant de quelques jours Ă Paris (lĂ encore, loin loin la sĂ©dentarisation), jâattends Robin parti garer la voiture (je nâai pas le permis) et chercher le bateau (oui câest encore lui qui sây colle, ma peur est tenace mais ça va aller, bientĂŽt je crois).
Jâattends sur le quai qui parfois ne sent rien mais lĂ , lâodeur de la mer me frappe le nez, il y a un peu de vent mais pas trop, quelques nuages mais la lumiĂšre est belle. Je regarde les Ăźles qui me font face et je me demande pourquoi jâai eu envie dâaller Ă Paris, pourquoi jâai voulu quitter un instant cet endroit. Je me sens heureuse dâĂȘtre lĂ , de retour. Et puis Robin arrive, avec le bateau, et surtout avec son gros bout dâamarrage⊠Ce bout est raide, rĂȘche, je mâentrave les mains dans sa longueur, je ne parviens pas Ă lâenrouler efficacement autour de lâanneau auquel il faut pourtant bien lâattacher le temps de charger Ă bord les courses de la semaine. Pendant que je mâescrime Ă apprivoiser ce premier bout, le cul du bateau sâĂ©loigne du quai et menace dâaller sâencastrer dans le cul de lâautre bateau qui ne manque jamais dâĂȘtre Ă quai pile quand on y accoste: lâautre bateau, câest celui de la navette qui relie lâĂźle voisine de la nĂŽtre au continent. Une navette dont les frĂ©quences de dĂ©part augmentent avec lâarrivĂ©e des beaux jours et qui a la prioritĂ© sur les autres bateaux, de plaisance. Une navette sur laquelle navigue un Ă©quipage qui semble toujours goguenard lorsquâil nous voit approcherâŠ
Moi, je me fous quâon se moque ainsi de nous, je sais notre incompĂ©tence en matiĂšre maritime (entre autres), et puis ce nâest pas vraiment de moi quâon se moque : je suis une femme, câest normal que je sois un peu empotĂ©e, pas trop dĂ©gourdie, si je fais sourire, on me propose aussi de lâaide, on fait preuve Ă mon Ă©gard dâune « gĂ©nĂ©rosité » Ă laquelle Robin nâa pas droit. Quel rĂŽle, du sien ou du mien, est le plus supportable, je ne sais pas. Toujours est-il que jâai une certaine habitude dâĂȘtre traitĂ©e en femme tandis que Robin, lui, nâa pas lâhabitude quâon se moque de lui. Et de ces sourires narquois, sans doute comprĂ©hensibles mais peu charitables, naĂźt lâorage qui va nous diviser, Robin et moi, le temps de la traversĂ©e. Parce quâoutre ma bagarre contre le bout dâamarrage, la mer a dĂ©cidĂ© dâentrer dans la danse et les courses que jâavais pourtant remontĂ©es de leur place initiale sur le quai, craignant que la marĂ©e montante ne vienne lĂ©cher nos provisions avant lâarrivĂ©e de Robin, se sont retrouvĂ©es dans lâeau: jâavais mal calculĂ© la rapiditĂ© de lâenvahissement du quai par la mer⊠Evidemment câest Ă©nervant, et drĂŽle sans doute pour ceux qui nous observent du haut de leur gros bateau.
Et alors je sais pourquoi lâĂźle ne mâapparaĂźt pas que comme idyllique. LâĂźle, câest une putain dâaventure, pratique et humaine, qui met nos nerfs Ă rude Ă©preuve, qui nous met Robin et moi face Ă nos diffĂ©rences et me fait douter, parfois, quelques petites fois oĂč je suis fatiguĂ©e et oĂč je nâai pas envie de lutter, du bien-fondĂ© de notre choix de vie. (Le lendemain, je ramasse 5 fraises et 3 framboises dans le jardin et tout est oubliĂ©. JusquâĂ la prochaine fois.)
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