« Le Paquebot », ainsi que je nomme l’immeuble où j’habite, n’est pas près d’appareiller, trop ancré dans le quartier de Wazemmes, à Lille. Les moussaillons ne sont pas du genre à squatter chez les uns ou les autres, mais comme dans les temps difficiles, il y a une ligne de vie qui nous accroche et nous relie, fine et aussi solide que le fil d’une toile d’araignée.
50°37’5,6’’N – 3°03’20,1’’E: Ça, c’est la position géographique du Paquebot, notre immeuble. Par curiosité, je suis allé voir ce qu’il y avait aux antipodes grâce à un site qui calcule et affiche une carte. Rien. On est à 600 km de la Nouvelle-Zélande, en plein océan Pacifique. J’ai eu beau zoomer, pas la moindre île, pas le plus petit atoll à lagon. De toute façon, je ne sais pas nager. Peu importe. Mes fenêtres donnent au sud. On a le soleil toute la journée. Quand il y a du soleil. D’ailleurs, on a dû se battre un peu pour que les arbres soient élagués. Je vous raconterai. Et puis il y a les chiens qui se libèrent sur la pelouse. Je vous raconterai aussi. On est 39. Je viens de croiser Charlotte, l’infirmière de Madeleine, la 25. Elle se relève lentement d’un cancer du poumon. Ça faisait quarante ans qu’elle fumait et dix qu’elle crachait. Robert, pareil, mais apparemment, le crabe ne l’a pas encore repéré. La broncho-pneumopathie obstructive chronique, oui. Marc est plus jeune, mais il est bien parti ; la bière d’un côté et les cigarettes maison de l’autre ; mauvais tabac, mauvais papier. Fume, c’est du belge ! La frontière n’est pas loin et le cancer y est moins coûteux. Après tout, chacun fait comme il veut. « À s’mode », comme on dit par ici. Je les aime bien. Sauf quand il y en a un qui écoute Georgette Plana à fond les enceintes à 3 h du matin. Et puis il y a François, Georges, Christophe et Jean, Angèle, Liliane, Gilbert…