Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #97: Tromperies et mutineries

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Un pied en Côte d’Ivoire, un œil et une oreille sur les États-Unis, Marco perd le nord du réel dans un monde qui s’alternative.

Il y a quinze jours, la mutinerie semblait avoir fait long feu: le samedi soir, deux jours après que les mutins eurent fait leur petit tour en ville en tirant en l’air, le Président avait accordé aux huit mille et quelques ex-rebelles incorporés dans l’armée 12 millions de francs CFA (18 300 euros) par tête, non sans les avoir tancés vertement à la télévision: « Vraiment, leur lança-t-il, ce n’est pas la bonne manière de protester. Vous feriez mieux de passer par le canal traditionnel de la hiérarchie militaire ». Et pour faire bonne mesure, quelques jours plus tard, les têtes de l’armée, de la gendarmerie et de la police roulaient vers une retraite peinarde.
 
Les fonctionnaires, qui avaient lancé depuis quelques semaines déjà un mot d’ordre de grève pour protester contre la manière dont le gouvernement voulait essorer leur plan de retraite, en tirèrent la conclusion qui s’imposait: on ne négocie pas, on exige tout. Et ce mardi, pour la troisième semaine, les bureaux des administrations sont vides, et les écoles publiques sont devenues buissonnières. Bien évidemment, le reste de l’armée, de la gendarmerie, une partie de la police et même les pompiers ont emboîté le pas de leurs petits camarades mutins et pleins aux as. Et depuis deux jours la rumeur court que les étudiants vont se joindre à la fête – après tout, il y a sûrement des choses qui ne vont pas à l’université qui pourront faire un excellent prétexte à manif.

 

Hier, traumatisé peut-être par ces évènements, « Commandant », un saurien de quatre mètres de long et d’une tonne et demie qui coulait des jours tranquilles dans le lac aux caïmans de Yamoussoukro, a été retrouvé mort. C’est un mauvais présage. Le journal « L’Inter » note qu’un de ses congénère est mort le 15 janvier, veille du match nul Côte d’Ivoire-Togo. Selon la rumeur, quatre caïmans seraient morts au cours des deux derniers mois, et le journaliste rapporte que « selon certaines indiscrétions, ce phénomène est lié à la situation socio-politique ». Car, soutiennent-elles, « la vie des animaux est associée à la puissance de Félix Houphouët-Boigny ». Houphouët, qui avait installé ces caïmans du Nil dans le lac bordant son palais et qui doit se retourner dans sa sépulture devant toute cette chienlit.
 
« Commandant » était réputé ne s’être jamais plus montré après la mort de son heureux maître en 1993, mais ce n’est qu’un « fait alternatif » comme disent les Trompeurs, puisque « Commandant » a été vu en 2012 en train de dévorer son gardien nourricier.
 
Notre quotidien est ainsi devenu un peu moins tranquille ces deux dernières semaines. Un matin, des jeunes des écoles publiques sont passés devant notre immeuble, poursuivis par la police avec des gaz lacrymogènes. Au ministère, les non-fonctionnaires qui sont à leur bureau sont trop nerveux pour travailler, ils ont entendu des coups de feu du côté du port et regardent la circulation dans les rues alentour comme des entrailles divinatoires. La secrétaire du DG me demande si l’ambassade de France m’a appelé avec des consignes particulières, puis explique que si un hélicoptère vient me chercher, elle s’accrochera à mes jambes. Au coin des rues, on revoit des camions de la police ou de la Garde Présidentielle, des images qui me replongent dans la Côte d’Ivoire d’avant 2011, du temps de la crise.
 
L’intranquilité et l’incertitude se sont installées à nouveau dans le pays, et, phénomène troublant, quand je lis le New York Times après avoir feuilleté la presse locale, je sens s’exprimer dans ses colonnes une inquiétude similaire. L’avènement de la « Trompitude » paraît tout aussi insidieuse que le dérèglement progressif de l’appareil d’État ivoirien. Personne ne sait vraiment ce qui se passe, les spéculations s’enflamment sous les crânes. Là-bas, les « Trompeurs » construisent leur univers parallèle – je me souviens qu’on appelait ça de la schizophrénie, et ici les conspirations fleurissent dans les conversations, laissant un parfum de paranoïa.
 
Nous entrons dans une ère troublante, celle de la « Factitude Alternative ». Des foules immenses se sont pressées à l’inauguration présidentielle,  « les foules les plus grandes de toutes les inaugurations », dixit le « Trompeteur du Tromp » lui-même. Et aussi, on ne vous l’a pas dit, la terre est plate.
 
Je ne sais pas pourquoi je pense à Orwell, ces temps-ci.
 
 Fait : Le Porte-Parole de la Maison Blanche, Sean Spicer (alias le « Trompeteur »), a affirmé au cours de sa première conférence de presse samedi dernier : “This was the largest audience to ever witness an inauguration, period — both in person and around the globe”. Le lendemain Kellyanne Conway, une conseillère du Tromp, expliqua sur CNN que le Porte-Parole avait simplement offert des « faits alternatifs » à la réalité. On vit une époque formidable…. 

 

Des foules immenses, les plus grandes jamais vues à une inauguration… (à gauche, Obama  en 2009, à droite « Tromp » en 2017)

 

 Tout Nomad’s land.

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