Lettres ou ne pas être #75: Direction de publication
Diriger les actes d’une journée d’études, c’est un chemin de croix parallèle à la thèse. Ou comment la Charité se transforme en harpie.
L’été dernier, une chercheuse nous a chargées, une autre doctorante et moi, de diriger la publication des actes d’une journée d’études qu’elle a organisée et à laquelle on a toutes les deux participé. Évidemment, impossible de refuser ce qui constitue une belle preuve de confiance, et qui nous permettra d’ajouter une ligne sur notre CV.
Mais en-dehors de ces infimes satisfactions, le cadeau est vraiment empoisonné: parce que diriger une publication, ça demande un abîme de temps et d’énergie qu’on rêverait de pouvoir consacrer à sa thèse, des trésors de diplomatie avec les intervenants dont on corrige les textes, une curiosité et une patience infinies, dignes de La Charité que Giotto représente à Padoue.
Premier calvaire, les doctorants étrangers, et ils sont majoritaires pour cette publication. Pendant la journée d’études, je les avais tous trouvés plutôt sympas, mais les relire est une autre affaire: ils ont beau avoir, dans l’ensemble, un excellent niveau de français, il y a presque à chaque ligne des idiotismes, des expressions obscures, voire des phrases incompréhensibles, sans parler des citations de Proust qu’il faut presque toutes vérifier et corriger. Et comme on ne peut rien corriger sans demander leurs avis aux auteurs, il faut faire « suivi des modifications » ou « insérer nouveau commentaire » dès qu’on change une virgule. Et c’est là que le deuxième calvaire commence.
Parce qu’entre la mise en forme et les remarques sur le contenu, on renvoie aux auteurs des textes dont les marges sont saturées de commentaires. Et là, en général, ils ont deux types de réaction. Soit ils acceptent d’un coup toutes les modifications (en mode « Pas se faire chier« ), sans même les lire, et nous renvoient un document incohérent où les propositions de corrections qu’on s’est creusé la tête à formuler se retrouvent telles quelles dans le corps du texte, les unes à côté des autres. Soit ils vérifient tout (en mode « Vous faire chier« ) et pinaillent sur nos corrections dont ils nous demandent raison comme s’il s’agissait d’insultes personnelles.
Le pire de tous étant un doctorant d’Harvard tellement sûr de sa supériorité qu’il a remis en doute presque toutes les corrections de grammaire que j’avais proposées aux anglicismes que son génie avait laissé passer. Et là, quand il s’agit de lui retourner une deuxième fois son document avec des explications qui justifient toutes mes corrections, y compris quand elles concernent ses fautes d’orthographe, je commence vraiment à voir rouge. Finalement, c’est pas du yoga que je devrais commencer, c’est de la boxe. Comme dans « Combray », où Françoise et la fille de cuisine sont comparées aux Vices et aux Vertus de Giotto, je me sens successivement une Charité qui donne ses fruits au petit personnage en haut à droite de la fresque, et une harpie qui se retient de leur hurler dessus, comme l’Envie de Giotto qui crache un énorme serpent.
En somme, diriger une publication, c’est encore plus pénible qu’écrire sa thèse, et d’autant plus ingrat qu’on ne se fait pas d’illusion: tout le mérite des articles, qu’on a parfois largement réécrits, reviendra aux auteurs, et pas aux relecteurs. C’est dur le métier d’éditeur.
Mais en-dehors de ces infimes satisfactions, le cadeau est vraiment empoisonné: parce que diriger une publication, ça demande un abîme de temps et d’énergie qu’on rêverait de pouvoir consacrer à sa thèse, des trésors de diplomatie avec les intervenants dont on corrige les textes, une curiosité et une patience infinies, dignes de La Charité que Giotto représente à Padoue.
Premier calvaire, les doctorants étrangers, et ils sont majoritaires pour cette publication. Pendant la journée d’études, je les avais tous trouvés plutôt sympas, mais les relire est une autre affaire: ils ont beau avoir, dans l’ensemble, un excellent niveau de français, il y a presque à chaque ligne des idiotismes, des expressions obscures, voire des phrases incompréhensibles, sans parler des citations de Proust qu’il faut presque toutes vérifier et corriger. Et comme on ne peut rien corriger sans demander leurs avis aux auteurs, il faut faire « suivi des modifications » ou « insérer nouveau commentaire » dès qu’on change une virgule. Et c’est là que le deuxième calvaire commence.
Parce qu’entre la mise en forme et les remarques sur le contenu, on renvoie aux auteurs des textes dont les marges sont saturées de commentaires. Et là, en général, ils ont deux types de réaction. Soit ils acceptent d’un coup toutes les modifications (en mode « Pas se faire chier« ), sans même les lire, et nous renvoient un document incohérent où les propositions de corrections qu’on s’est creusé la tête à formuler se retrouvent telles quelles dans le corps du texte, les unes à côté des autres. Soit ils vérifient tout (en mode « Vous faire chier« ) et pinaillent sur nos corrections dont ils nous demandent raison comme s’il s’agissait d’insultes personnelles.
Le pire de tous étant un doctorant d’Harvard tellement sûr de sa supériorité qu’il a remis en doute presque toutes les corrections de grammaire que j’avais proposées aux anglicismes que son génie avait laissé passer. Et là, quand il s’agit de lui retourner une deuxième fois son document avec des explications qui justifient toutes mes corrections, y compris quand elles concernent ses fautes d’orthographe, je commence vraiment à voir rouge. Finalement, c’est pas du yoga que je devrais commencer, c’est de la boxe. Comme dans « Combray », où Françoise et la fille de cuisine sont comparées aux Vices et aux Vertus de Giotto, je me sens successivement une Charité qui donne ses fruits au petit personnage en haut à droite de la fresque, et une harpie qui se retient de leur hurler dessus, comme l’Envie de Giotto qui crache un énorme serpent.
En somme, diriger une publication, c’est encore plus pénible qu’écrire sa thèse, et d’autant plus ingrat qu’on ne se fait pas d’illusion: tout le mérite des articles, qu’on a parfois largement réécrits, reviendra aux auteurs, et pas aux relecteurs. C’est dur le métier d’éditeur.
A suivre.
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