Si longue est parfois la route que l’on rêve de terre sans forcément avoir envie de la fouler, ou juste un jour ou deux, histoire de dégourdir les jambes. Les sensations évoluent et bientôt, nous ne comparerons plus terre et mer, il y aura inversion de nos mondes. Aux Seychelles depuis deux semaines, nous découvrons avec gourmandise ce qu’elles ont à nous offrir.
La terre serait-elle une mer qui ne bouge pas? Voilà une bien étrange question n’est-il pas? A passer autant de temps sur mer et si peu sur terre, les ressentis s’inversent. La réflexion sur ce que nous sommes également. Ce que nous représentons à la surface de la planète. L’observation du ciel, la sensibilité au vent, un regard neuf et accru envers les nuages, leur forme, leur couleur, les teintes du blanc pur au noir profond, passant par un gris sale. Nous exerçons nos sens très différemment. Le bruit d’une écoute tapant contre le mât, l’intensité des rafales couchant presque le bateau, le courant nous faisant fuser à la surface ou nous freinant malgré les 20 noeuds de vent installé. Nos sensations sur ce qui nous entoure n’est plus le même. A terre, un nuage bien gras et gris impliquera une simple réflexion: « Je dois m’arrêter et me mettre à l’abri« . En mer ça ne marche pas ainsi. En mer, il faut le savoir isolé pour moins le craindre. En mer, on ne s’arrête pas. Même si l’on n’est pas pressé, on ne change pas sa route toutes les heures, deux ou trois degrés de changement de route sont autant de degrés à reprendre afin de la retrouver et le temps passé d’un point à un autre augmente considérablement. Les paramètres à prendre en compte sont nombreux et les erreurs se paient comptant.
Quatre femmes
Et pourtant, nous sommes entrées dans cette phase où nous avons besoin de ces sensations. Rester à quai, se charger de l’avitaillement, aller boire un verre dans un bar et écouter de la musique nous plaît, il ne faut pas non plus exagérer, mais pas trop longtemps. Nous avons quitté Victoria pour une semaine, le temps de découvrir Mahé par la mer, chercher des criques accueillantes, plonger, nager. Mais voilà, le temps est un temps d’hiver, normal, c’est de saison dans l’hémisphère sud, et anormal car les Seychelles devraient être préservées de vents d’alizés trop puissants. Mais cette année est différente des autres, un énorme anticyclone au Sud de la Réunion fait barrage.
Et les rafales à plus de 25 noeuds nous ont cueillies à froid. Oui, cueillies, au féminin. L’équipage est à présent composé de quatre femmes. Pascal nous a quittées pour d’autres aventures, même s’il ne reprend le travail que dans quelques mois, les incertitudes de notre planning font qu’il aurait pu se trouver trop loin d’un aéroport pour rentrer dans les temps.
C’est donc pour nous une deuxième aventure qui commence.
Nous avons quitté Victoria avec certes du vent, mais un soupçon de vents forts et un appétit farouche d’en découdre. Nous n’avons pas été déçues. Malgré notre peu de voiles déployées, les quelques heures avant le premier arrêt ont été musclées. La crique accueillante, mais logiquement les fonds sont brassés par la forte mer. Peu importe. Nous commençons à bien nous connaître et ce quatuor respire au rythme de Shakespeare. Nous n’avons pas forcément envie de descendre à terre et pourtant la montagne sous nos yeux est magnifique. Est-ce dû à la seule roche granitique ou à ces arbres à la cime plate qui lui donne sa majesté? Le sujet peut faire débat. A bord, les débats, nous adorons ça. Beaucoup de rires, de fous rires, des larmes parfois parce que c’est trop. Trop dur, trop fatiguant, trop brutal. « Trop bon » dirait Aline, « Rien n’est trop » répondrait le Captain. Et de fait, nos tics de langage finissent par influer sur la manière de parler des unes et des autres. Rien n’est plus drôle que d’entendre l’autre s’approprier ses mots, ses tournures, ses accents.
L’ambiance à bord est rarement pesante parce qu’il y a du respect mutuel. C’est la source d’une équipe. Sans respect on n’avance pas. Et Shakespeare quoiqu’il advienne avancera et il avancera toujours mieux si une petite musique ne cesse de répéter au fond de nous « Je suis en train de toucher du doigt le bonheur d’être libre ».
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