Des cours, des cours et encore des cours, le meilleur antidote face au découragement des dernières semaines. Ma thèse? Proust? Mais non voyons, Trump et la politique.
Cet été, je m’étais dit que cette année serait décisive dans mon rapport à l’enseignement car je donne trois fois plus de cours que pendant mon contrat doctoral – quoiqu’avec un salaire identique – toujours à des étudiants de première et deuxième années de Licence de Lettres, de Langues et d’Histoire. Trois cents étudiants et six cours dont un nouveau cours magistral sur la rhétorique, devant un amphi de cent psychologues que la captatio benevolentiae et les sophistes ne passionnaient pas forcément début septembre, c’était un défi assez stimulant pour me faire oublier Proust deux à trois jours par semaine.
Mais finalement, l’adage « Qui peut le plus peut le moins » s’est révélé juste. Plus on fait cours, dans une certaine mesure, et plus on prend confiance en soi. Le cours magistral que je donnais depuis trois ans est devenu un vrai plaisir, et les TD d’orthographe m’ont rendue philosophe. Étonnamment, mon exaspération s’est convertie en empathie: c’est trop pénible de voir des étudiants aux frontières de l’illettrisme, qui se résignent à écrire des phrases incompréhensibles parce qu’eux-mêmes ont pris l’habitude de ne pas comprendre ce que disent leurs professeurs, les règles et les enjeux qu’on cherche à leur apprendre, peut-être tout simplement le monde qui les entoure et ce qu’ils y font.
Évidemment, j’ai retrouvé les petits déplaisirs des réveils à l’aube pour aller prendre le TGV avec les collégiens du lundi matin qui roupillent vers leur internat, l’angoisse des retards et des pannes qui se sont multipliés depuis quelques semaines, avec un point culminant quand mon train, qui devait arriver à 22h40 à Paris, nous a libérés à 4h30 du matin. Et évidemment, à cette heure-là, pas d’autre solution pour rentrer chez soi qu’attendre une heure, avec les cinq cents autres passagers, un taxi libre. La semaine suivante, j’ai vu cette inscription gravée dans le TGV qui me ramenait à la Fac : « Je hais la SNCF« . Et en mon for intérieur, tout mon être a souri.
Mais finalement, face à l’élection de Trump et au programme de Fillon, aller parler de littérature, deux jours par semaine, devant des étudiants qui ne sont pas encore irrémédiablement gagnés au populisme le plus décomplexé me paraît un bonheur et un luxe inappréciables, comme une dernière enclave de gratuité avant l’apocalypse.
L’enseignement, pour moi, reste le métier qui exige l’amour le plus inconditionnel de l’humanité, y compris ou malgré ses avatars les plus crispants de paresse, d’arrogance, de bêtise ou d’agressivité dont une salle de cours offre forcément un panel assez représentatif. Mais quand les hommes politiques qui gagnent des élections assument une inculture, une vision simpliste et clivante de la société qui feraient rougir un étudiant de 18 ans et leur vaudraient un zéro pointé, comment ne pas trouver, par contraste, que nos étudiants sont des modèles de bonne volonté, de dignité et d’ouverture d’esprit? Comment ne pas trouver régénérant et salutaire, pour sa santé mentale et pour garder confiance en l’humanité, d’éteindre sa télévision pour aller s’adresser à la génération qui va voter pendant soixante ans?
Bien sûr, beaucoup adhèrent sans doute à des idées ou à des partis que je ne soutiens pas, mais c’est l’éphémère miracle des cours de littérature: quand les étudiants sourient aux satires sociales de Proust, s’émeuvent du discours de panthéonisation de Jean Moulin et se révoltent face au drame du Heysel que décrit Mauvignier, vous avez le fugace espoir qu’il est encore possible de partager quelques valeurs avec des adolescents un peu plus jeunes que vous.
À condition, bien sûr, qu’il y ait encore des profs et des cours de littérature dans dix ans.
Alors trois semaines avant d’avoir 30 ans, je me dis qu’il est grand temps que je finisse ma thèse, d’ici septembre 2017, pour m’engager politiquement et humainement un peu plus activement que deux jours par semaine.
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