đ Pđ€tain de mer. Deux dans l’Ăźle #20

Cette semaine, Robin s’agace d’ĂȘtre en vrac dĂšs que l’eau entre en jeu. ChahutĂ© par une mer qui l’impressionne de plus en plus Ă mesure que le temps passe, il s’inquiĂšte de ne pas progresser.
Quand la mer prend toute la place
La mer, la mer, la mer⊠Quoi de plus Ă©vident que d’ĂȘtre obnubilĂ© par elle lorsqu’on fait le choix de partir vivre sur une Ăźle. En m’installant ici, je savais qu’elle prendrait beaucoup de place dans ma vie. Mais je ne pouvais et ne peux toujours pas prĂ©sumer quelle est ou quelle doit ĂȘtre prĂ©cisĂ©ment cette place. Je ne sais si je dois la craindre ou continuer Ă l’admirer. Ă vrai dire, Ă trop la regarder, elle commence sĂ©rieusement Ă m’inquiĂ©ter. Plus je l’observe, plus elle m’impressionne. Quand, aprĂšs plusieurs semaines de calme, un coup de vent est annoncĂ© au large et que je la vois du haut de mes rochers qui commence Ă se lever, je sens qu’elle m’effraie, que ses mouvements m’Ă©tourdissent. Est-ce parce que je prends de plus en plus la mesure de sa force d’une part et de ma petitesse de l’autre? Est-ce parce que mon imaginaire est nourri des romans de Joseph Conrad et que le simple mouvement d’un bateau chahutĂ© me transporte dans une aventure sans fin? Je ne sais pas. Mais une chose est sĂ»re, si je croyais avoir Ă peu prĂšs le pied marin en arrivant, force est d’admettre que je suis loin d’ĂȘtre au point lorsquâil s’agit de naviguer.
La mer, la mer, la mer… Moins je la frĂ©quente et plus je l’apprĂ©hende. En vĂ©ritĂ©, je ne la frĂ©quente pas autant que je l’aimerais. J’aimerais naviguer plus. J’aimerais, parfois, aller me balader le long des falaises dĂ©chirĂ©es, partir Ă la dĂ©couverte de nouveaux trĂ©sors… Il m’est bien sĂ»r arrivĂ© une fois ou deux de parcourir, hĂ©sitant, les environs. D’esquiver les innombrables Ăźlots affleurants pour me frayer un chemin et faire un tour, juste un p’tit tour. Mais hormis ces brĂšves Ă©chappĂ©es belles, on ne prend la mer avec ZoĂ© que pour rejoindre le continent et nous ravitailler, passer une journĂ©e Ă la ville, aller chercher un ami ou rĂ©cupĂ©rer une livraison. C’est peu, mais cela suffit Ă user les bateaux dĂ©jĂ bien usĂ©s que nous avons ici, et Ă user par lĂ -mĂȘme nos nerfs, tant il devenu courant que traversĂ©e rime avec fiasco. Moi qui pensait progresser Ă mesure que les mois passent, j’ai l’impression qu’il est de plus en plus frĂ©quent que tout dĂ©conne, Ă quai comme Ă bord, et que l’on passe de sales quarts d’heure voire de sales journĂ©es du fait des excĂšs d’Ă©nervements que nos maladresses suscitent chez moi.

L’habitude qui ne vient pas
Hier soir, alors que le vent s’Ă©tait levĂ© depuis une heure ou deux, j’entendis au loin le bruit sourd d’un chalutier qui longeait notre Ăźle avant de filer vers le large. Angleterre, Islande ou plus loin encore, je n’ai aucune idĂ©e de quel Ă©tait son cap mais j’ai couru tant que j’ai pu pour rejoindre une plage et l’observer une minute ou deux combattre le vent et danser au grĂ© de la houle. Une scĂšne a priori banale lorsqu’on vit sur une Ăźle, mais qui m’impressionne plus encore que lors des premiers mois passĂ©s ici. Je sens bien que je la regarde diffĂ©remment Ă mesure que les semaines passent, la mer. Mon oeil est plus acĂ©rĂ©, plus prĂ©cis qu’aux premiers jours, plus prĂ©venu aussi. Et c’est sans doute lĂ que se joue le changement. Car si la simple danse d’un chalutier pris dans une mer qui bouillonne tend Ă m’impressionner, inutile de prĂ©ciser que lorsque c’est moi qui suis aux commandes de notre petit bateau, peu s’en faut pour que mes jambes se mettent Ă trembler.
Moi qui avait peur de trop vite m’habituer Ă ce nouveau dĂ©cor et Ă cette nouvelle vie, je rĂ©alise finalement que la route sera longue avant d’ĂȘtre blasĂ©e. Et c’est tant mieux. Mais si peu m’en faut pour m’impressionner, peu m’en faut Ă©galement pour avoir l’impression de perdre le contrĂŽle, sentir la manĆuvre m’Ă©chapper et le bateau avec. En mer, si le moteur fonctionne correctement et que je pense Ă mettre de l’essence avant de partir, en gĂ©nĂ©ral, tout va bien. Mais Ă l’approche du continent, du port ou de la petite cale de l’Ăźle dont nous sommes les gardiens, je sens souvent la pression monter. Trop de fois j’ai tapĂ© le bateau contre la cale Ă cause d’une vitesse excessive ou d’un mauvais calcul de distance. Trop de fois j’ai vu le bateau partir dans les rochers Ă cause d’une manĆuvre trop approximative. Trop de fois j’ai frĂŽlĂ© le bateau d’un autre Ăźlien faute d’avoir su garder mon calme lorsque je sentais la manĆuvre m’Ă©chapper. Trop de fois encore j’ai vu les pĂȘcheurs ou les gars du coin se moquer de nous tant nos gestes sont maladroits et tant nous sommes mal organisĂ©s. Alors je m’agace, espĂ©rant par-lĂ que l’on retienne ZoĂ© et moi quelques leçons. Bien sĂ»r, ça ne marche pas. ZoĂ© s’en moque, elle ne s’en cache pas. Moi par contre, je ne m’en moque pas. La plupart du temps, j’ai honte de me noyer dans un verre d’eau, honte de ne pas ĂȘtre capable d’accoster correctement ou de garder nos affaires au sec. Mais en rentrant, lorsque je me plonge dans les aventures de Conrad dans ses cĂ©lĂšbres Typhon, Jeunesse ou Au cĆur des TĂ©nĂšbres ou celles de quelques marins portugais du 13Ăšme siĂšcle, je me dis qu’elles sont bien ridicules nos avaries, bien petites ces vagues qui tapent la coque de nos embarcations, bien tranquilles nos traversĂ©es.
Jusqu’au prochain Ă©pisode et la prochaine galĂšre…

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