Symphonie urbaine … Les carnets d’ailleurs de Marco et Paula #211
Paula arpente quelques banlieues françaises, cherche une boulangerie et trouve des coquelicots.
J’ai constaté depuis quelques mois que mes mollets avaient fondu. Au Tchad, une règle de sécurité m’interdit de marcher dans les rues et quand bien même je pourrais le faire, la chaleur et l’inconfort des trottoirs ne m’y engageraient guère. Je suis dans une période de ma vie où le gras s’installe plus facilement que le muscle alors, je m’étais promis de profiter de mon séjour en France pour rendre à mes mollets leur galbe d’antan.
Désert commercial …
Une échappée en Lorraine avec ma sœur m’a permis d’arpenter des chemins forestiers où la verdure et la fraîcheur m’offraient un changement salutaire. Plus prosaïquement comme nous étions sans voiture et logées dans un hôtel de la périphérie de Nancy, il nous fallait aussi marcher pour atteindre la station de bus ou acheter un pain. J’ai ainsi découvert le désert commercial. L’aller-retour pour trouver une boulangerie et une épicerie dans cette banlieue nous a pris pas loin de deux heures; aussi, il est vrai, parce qu’au retour, nous avons erré dans des boucles de lotissements où la Rue des fauvettes croisait celle des mésanges pour finir en cul de sac dans l’Allée des pinsons – c’est l’urbaniste féru de voiture que nous avons rapidement traité de noms d’oiseaux. Nous avons fini par lever le pouce sans trop y croire, comme lorsque nous partions au collège. Une voiture s’est arrêtée, la conductrice visiblement nostalgique d’une époque où l’auto-stop était plus spontanée que le co-voiturage.
Depuis une dizaine de jours je suis dans une autre banlieue à l’occasion d’un séminaire des missions. Les ONG humanitaires organisent régulièrement des rencontres siège-terrain afin de pouvoir mettre les uns et les autres au même niveau d’information et confronter les pratiques et les stratégies d’intervention. Moi, j’en profite pour coller enfin des visages à des personnes que je n’avais pas vues lors de mon départ en mission et avec qui je communique à distance depuis bientôt un an. Cela donne lieu à quelques quiproquos délicieux comme avec ce référent technique que j’imaginais asiatique alors qu’il est complètement africain ou avec mon supérieur hiérarchique à qui je prêtais les traits d’un autre, le saluant de fait assez nonchalamment le premier jour.
Le sens de la passerelle …
Depuis mon hôtel, il me faut marcher une vingtaine de minutes pour me rendre dans les locaux de mon organisation. Lorsque j’avais travaillé avec cette dernière, cinq ans auparavant, je traversais une zone de chantiers. Le plus étendu d’entre eux dont je longeais l’interminable palissade est aujourd’hui devenu le siège d’une compagnie et les immeubles d’habitation et de bureaux ont crû et multiplié. Lorsque j’ai refait le trajet pour la première fois, je me suis perdue.
Pour commencer, j’arpente une longue passerelle qui permet d’enjamber une bonne quinzaine de voies ferrées. Négligemment et quelque peu rétive à l’accord tacite régulant le flot des passagers, je marche à gauche suscitant quelques vagues d’agacement. Un de mes collègues, pakistanais, m’a dit être stupéfait de constater combien les gens « ici » ont une démarche déterminée le matin alors qu’au soir, ils trainent comme si rentrer chez eux ne les motivait guère.
Si les commerces et cafés fleurissent dans le premier cercle autour de la gare, ils sont vite remplacés par des palissades, de nouveaux chantiers et une kyrielle de plantes et fleurs de trottoirs comme des coquelicots. Je les croyais éradiqués. Je repense à un documentaire vu à Tunis, un jour de grand manque culturel, sur les villes qui n’utilisaient plus de désherbant assumant que leurs pavés s’agrémentent de pousses rebelles, à faire frémir les amateurs d’ordre et sourire un Jacques Tati.
Photo de une, © Paula
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