Assoiffée et affamée, Athina arrive à la târgul (foire à la brocante) de Negreni en Roumanie. Le voyage a été long… Après avoir déniché un costume traditionnel, elle pousse la chansonnette avec trois musiciens tsiganes.
Enfin en Roumanie, pays que j’attendais depuis longtemps!
J’ai fait 2 heures de route pour arriver au village de Negreni. Un vrai four ce minibus! Évidemment en grande tête en l’air que je suis, j’avais laissé ma bouteille d’eau et quelques fruits dans ma petite valise… qui se trouve dans le coffre pensant “ce ne sera pas long”. Tu parles! Ça me paraît interminable! Et puis les routes en zigzag, ça n’arrange pas mon état. J’arrive donc complètement en vrac titubant tel un légume ramolli, mais qui je vois en descendant du minibus? ma mère! Cela fait un bail qu’on attendait ce moment toutes les deux! Se retrouver au fin fond de la Roumanie pour son anniversaire. D’ailleurs ma mère est plus organisée que moi: elle a réservé une chambre chez l’habitant depuis plusieurs mois pour toute la durée de la foire, soit quatre jours. Moi je suis plutôt du genre à improviser au jour le jour, trouver une chambre sur le moment… Ça veut dire plus d’aventures mais aussi plus de stress face à cette réalité très récurrente: “Je ne sais pas où je dors ce soir”.
Après avoir repris des forces en chemin, nous voilà au milieu des stands et surtout sur LE stand de Daniela et Stefan. Un couple très attachant que ma mère a rencontré en octobre dernier. C’est eux qui vont m’introduire auprès des musiciens tsiganes et auprès de tout ce petit monde qui gravite autour de la foire. Lorsque je leur explique que mon voyage est porté sur et par la musique, Stefan sort directement d’un carton posé sur le sol, une partition qui a traversé les âges. 66 mélodies hongroises écrites pour chant et piano. Je suis vraiment touchée par ce cadeau et le lendemain je m’empresse de leur offrir mon cd, telle une gosse fière de son dessin “Eh regarde, regarde c’est moi qui l’ai fait!”. C’est mon premier cd et c’est le premier que j’offre depuis le début de mon voyage. Alors oui, je suis émue de pouvoir dire “Tiens, c’est ma musique”. De voir ce regard interrogateur “Oh vraiment?” et de pouvoir répondre “Oui, vraiment!”.
Dormir chez Viorica, le temps de la foire
Daniela nous accompagne chez notre hôte, une maison à deux ou trois kilomètres de la foire, en sortie de village. Il a beaucoup plu ces derniers jours et la foire a manqué de peu d’être complètement inondée.
Nous arrivons en voiture avec tous nos bagages et Viorica nous ouvre. Elle pourrait être ma grand-mère. Elle nous accueille avec son foulard traditionnel sur la tête et son regard un peu méfiant. Elle ne parle pas un mot d’anglais ni de français, et nous, on ne parle pas un mot de roumain. J’ai heureusement mon guide Assimil toujours sur moi et la fameuse application dans mon téléphone pour traduire en trois clics ou juste en laissant parler dans le micro mon interlocuteur. Enfin… quand il y a du réseau. Mais peu importe! Au fil des jours, on apprendra à communiquer malgré tout et naîtra entre nous une forme de tendresse.
De stand en stand : trouver le costume de taille
Le lendemain, c’est le jour J pour fêter l’anniversaire de ma mère. Nous voilà parties avec une bouteille de vin argentin sous le bras, du roquefort qui a eu trop chaud, des gressins pour un apéro en plein cagnard sur le stand de Daniela et Stefan. Moments délicieux en très bonne compagnie. Puis, nous allons sur un autre stand de l’autre côté du pont en bois pour y goûter plusieurs grandes spécialités culinaires roumaines. La mămăligă (polenta), la ciorbă de burtă (soupe de tripes) et les sarmales (rouleaux de choux farcis), un régal dans cette cantine familiale recommandée par Daniela.
Nous attaquons enfin la foire. Je suis complètement fascinée par les costumes traditionnels. Je veux absolument m’en dénicher un! Ici c’est le paradis pour tous les collectionneurs et passionnées en tout genre. Des tapis, des poteries, des bibelots, des fripes, des machines à café, des assiettes, des meubles, des pièces d’auto, du linge de maison et puis des instruments de musique datant pour certains du XIXe siècle. Tout est exposé sur des bâches à même le sol, sur des tables de camping ou les capots des voitures. Un vrai, joyeux, immense bordel! J’ai toujours traîné dans les vide-greniers et brocantes en tout genre mais celle là vaut vraiment le détour ! Mais pour trouver LA perle rare, il faut s’armer de patience… Comme toujours.
Deux femmes vendent juste après le pont des costumes magnifiques flambant neufs (le reste des stands, ce sont des pièces d’occasions avec souvent des retouches à faire). Elles me font essayer la tenue complète qui vient de la région de KalotaSzeg. D’abord la veste, puis la longue jupe plissée qu’elles ajustent à ma taille, puis le tablier par dessus la jupe, et pour finir le veston brodé de paillettes. Je tourne, je danse avec ma nouvelle tenue bariolée et je suis sous le charme… Je me laisse un temps de réflexion pour comparer avec les autres stands. Après les avoir décortiqué tous, je reviens sur le même stand: les deux femmes sont sur le point de partir. Redéballage, réessayages, marchandages, et marché conclu. Chacune repart avec un grand sourire aux lèvres.
Premier contact avec les tsiganes
En fin de journée, je demande à Daniela de me prendre en photo avec ma nouvelle tenue. Sur le pont, devant leur stand, on s’amuse toutes les deux comme deux copines de collège avec mon téléphone. De la musique sort d’un camion et me voilà en train de danser sur le chemin poussiéreux et devant leur stand. Les tsiganes en face commencent à me filmer, puis un jeune vient me lancer des faux billets en euros et me voilà parti pour une bonne heure de délire avec eux.
C’est ce deuxième soir que l’on croisera trois musiciens jouant sur un stand. Accordéon, violon et grosse caisse, cymbale. Je leur donne un billet que le violoniste glisse immédiatement dans son archet. C’est la tradition. Stefan leur explique que je suis chanteuse et que j’aimerai chanter avec eux. Aussitôt dit, aussitôt le rendez vous est fixé! Demain à 19h au même stand.
Le troisième jour tous les chiffonniers de l’allée où j’ai dansé la veille me reconnaissent “c’est la française qui danse” et ils veulent que je remette le couvert. Il y a toujours le même vieux qui vient me parler à chaque fois que je passe devant son stand. Il commence toujours par “original” en roulant le “r” et puis il baragouine son argumentaire sans s’arrêter de me suivre dans l’allée.
La journée passe vite, on commence à avoir notre routine. Prendre notre repas à tel stand, saluer untel, unetelle, aller voir Daniela et Stefan, parler avec Cristina en espagnol et puis revenir à la maison pour me préparer pour le fameux rendez vous. J’ai un peu de retard et quand j’arrive au stand pomponnée de la tête au pieds, les musiciens ne sont pas là. J’ai ma petite valise avec moi, qui en intrigue plus d’un. À l’intérieur, j’ai tout le nécessaire pour chanter de façon nomade. Enfin presque… Quand nous trouvons enfin les musiciens qui sont en train de jouer au milieu des stands, je me rends compte que j’ai oublié les piles de mon ampli! Daniela part vite vite en chercher je ne sais où et revient avec le compte juste.
Commence alors une jam où je propose de chanter les deux seules chansons que je connais en roumain et djelem djelem. On me demande de chanter en français, la première chanson qui me vient à l’esprit est La vie en rose. C’est parti pour une version complètement cacophonique et burlesque. Attention les oreilles. Tu vas rigoler, je pense! La voici.
Après cette session, tout le monde m’appelera Sabrina. C’est le nom de Rona Hartner dans Gadjo Dilo. À chaque coin de “rue”, on me fait ma fête!
Le quatrième jour: on est fatiguées. On fait quelques dernières trouvailles et vers 17h déjà beaucoup de stands sont pliés. C’est déjà la fin. Je recroise les musiciens pendant que je suis attablée. Ils viennent s’asseoir à côté de moi et l’un d’entre eux m’écrit le nom du village où ils habitent. Passe une voiture avec le chef de la bande, ils partent d’un coup et me regardent avec un air triste. On se salue de la main et je comprends déjà beaucoup de choses dans leurs regards…
Parfois, il n’y pas besoin de mots pour se comprendre. Ils vont me manquer.
Nous repartons le lendemain en train à Cluj Napoca, ville étudiante dont on m’a dit que du bien. Je laisse Negreni derrière moi avec nostalgie, écris quelques notes dans mon carnet et regarde le paysage par la fenêtre qui défile.
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