BD. « Pendant que le loup n’y est pas »: contes d’enfants, histoires d’adultes

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Il était une fois Mathilde et Valentine, leurs poupées, leurs Playmobil et leurs crayons de couleur. Leurs souvenirs et leurs histoires inventées. Il était une fois, la Belgique des années 1990, celle de l’affaire Dutroux, celle où les monstres des contes sont un jour devenus réels. Et tout à coup, ce n’est plus un simple album-souvenir que l’on lit…

Valentine se cache dans le jardin pour s’amuser avec ses dinosaures en plastique et observer araignées, fourmis et criquets, Mathilde joue les aventurières chevronnées sur la route qui l’emmène chez sa copine Mahaut… Une enfance « normale« : les princesses, le bracelet de meilleures amies, les disputes avec les petites sœurs… Une enfance où les peurs ne viennent pour l’instant que des livres et des voix qui les racontent.

 

Le danger, c’est pourtant par la voix de la mère de Mathilde qu’il se matérialise et vient mettre fin à l’insouciance: « Il y a des enfants qui disparaissent. » Le récit prend alors un tout autre visage. Au fil des pages, les signes s’accumulent: des grilles qui protègent un jardin, une affiche « disparues » collée à une vitre, des interdictions nouvelles… Sans en prendre toute la mesure au départ, on comprend le danger qui rôde et qui envahit l’espace.

 

La case ne sécurise plus rien, elle enferme, prive de liberté l’enfant piégé qui s’ennuie et tourne en rond. Soudain, on n’interprète plus rien de la même manière. Mathilde et Valentine sont à l’âge où la sexualisation du corps devient sujet de questionnement: les formes qui apparaissent, le rapport aux garçons… Quoi de plus naturel? Mais au milieu des discussions de cours de récré, les mots « viol » et « pédophile » apparaissent. Alors, les enfants, face aux non-dits des parents, ne peuvent que deviner, s’inventer eux-mêmes des réponses. Car grandir c’est aussi essayer d’assembler les pièces de son propre puzzle, pour rendre l’ensemble cohérent. Valentine se dit qu’elle ne risque rien avec ses cheveux courts: elle ressemble à un garçon et ce sont les filles qui disparaissent. Mathilde, elle, pose des questions, on la sent mal à l’aise quand Mahaut lui propose de jouer à « striptease« …

 

Au milieu des perceptions floues de l’enfance, s’invitent les angoisses des adultes. Même les monstres irréels des contes deviennent potentiellement des allégories de la menace qui plane. Le trait se noircit ou reste en doublure d’un autre plus appuyé jusqu’à faire surgir les souvenirs, le danger pressenti, l’hésitation… Subtilement, par touches éparses, Valentine Gallardo et Mathilde Van Gheluwe amènent le lecteur à interroger et à construire lui-même une nouvelle histoire. Et c’est la grande réussite de ce récit autobiographique à quatre mains: sans jamais donner de réponse, juste des pistes, le parallèle s’établit naturellement entre les interrogations d’enfants de cet âge et la conscience de dangers bien réels qui parasitent leur jolie naïveté. Les auteures esquissent ce passage vers le monde des adultes comme elles laissent les traces de leur gomme modifier leur dessin. Très justement et avec une grande habileté.

Pendant que le loup n’y est pas – Valentine Gallardo et Mathilde Van Gheluwe – Ed. Atrabile 
> feuilleter les premières pages

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