Cette semaine, tout va trĂšs vite pour notre couple de nĂ©o-Ăźlens. PoussĂ©s par le vent qui souffle Ă prĂšs de 100km/h, ils enchaĂźnent les prĂ©paratifs nĂ©cessaires Ă l’accueil de leurs employeurs, non sans rencontrer quelques difficultĂ©s, concĂšde Robin…
La semaine passĂ©e, ZoĂ© expliquait combien la vie des Ăźliens pouvait se compliquer quand la mer n’est pas d’huile. Le problĂšme, c’est que dans cette rĂ©gion, la mer est trĂšs rarement calme. Surtout en hiver. Cela fait plus d’une semaine que le vent n’est pas tombĂ©. 30, 40, 50 nĆuds et une houle plus impressionnante encore que je ne pouvais l’imaginer jusqu’Ă prĂ©sent: voilĂ notre quotidien depuis une dizaine de jours. Un temps Ă rester chez soi au coin du feu, diriez-vous. Sauf que la vie, elle, ne s’arrĂȘte pas. En tant que gardiens il y a en effet des obligations auxquelles nous ne pouvons Ă©chapper, peu importe le bulletin mĂ©tĂ©o.
Jusqu’ici tout va bien
Parmi ces obligations, il y a bien sĂ»r la prise en charge des propriĂ©taires de l’Ăźle qui peuvent dĂ©cider d’une semaine Ă l’autre de venir passer quelques jours ici. Avant leur arrivĂ©e, il faut donc prĂ©parer leur maison, nettoyer, cirer, lustrer et mettre en ordre toute la partie «civilisĂ©e» de l’Ăźle. Ratissage, ramassage des feuilles, coupe des branches d’arbre arrachĂ©es par le vent, nettoyage des plages, des allĂ©es et des cales… VoilĂ ce qui a rythmĂ© nos journĂ©es ces derniers temps. Si le moral peut lĂ©gĂšrement en prendre un coup Ă mesure que l’on voit son travail dĂ©fait par le vent qui fout tout en l’air sur son passage, la tempĂȘte n’a jusque-lĂ que peu d’incidence sur notre travail. Donc, pour le moment, tout va bien, d’autant que je commence Ă m’habituer Ă recommencer les choses deux ou trois fois avant que le rĂ©sultat soit un minimum satisfaisant. Ce n’est que lorsque nous devons prendre la mer pour, enfin, aller chercher nos employeurs que les choses commencent Ă prendre une allure autrement plus compliquĂ©e.
Un moteur en carton
Avant leur arrivĂ©e, le stress est au rendez-vous. ZoĂ© et moi avons lĂ©gĂšrement minimisĂ© l’ampleur des tĂąches Ă rĂ©aliser et, le moins que l’on puisse dire, c’est que nous ne sommes pas en avance. Lorsque le tĂ©lĂ©phone sonne pour nous signaler qu’il faut prendre la mer pour aller les chercher sur le continent, nous avons tout juste terminĂ© le mĂ©nage et sommes tous les deux vraiment fatiguĂ©s. Mais, soulagĂ©s par l’idĂ©e que cette pĂ©riode de prĂ©paration se termine enfin, nous enfilons nos bottes et nos cirĂ©s avec Ă©lan, sans trop nous poser de questions. La mer est haute, le soleil dĂ©jĂ couchĂ©, nous dĂ©tachons notre kayak et, malgrĂ© le vent qui souffle Ă 40 nĆuds, nous atteignons sans trop de mal notre bateau accrochĂ© Ă son corps-mort. Ce n’est qu’une fois Ă bord que les choses se compliquent. Et pour cause, ce jour-lĂ , le bateau refuse tout simplement de dĂ©marrer. Le boĂźtier Ă©lectronique dĂ©conne et envoie un message erronĂ© d’alerte qui empĂȘche le moteur de se mettre en marche. AprĂšs une quinzaine de minutes d’essais infructueux, je commence trĂšs sĂ©rieusement Ă m’Ă©nerver. ZoĂ© de son cĂŽtĂ© reste calme, abasourdie sĂ»rement par ma colĂšre et la violence de mes gestes. Nous passons quelques coups de fil, rĂ©-essayons encore de dĂ©marrer jusqu’Ă noyer le moteur, avant de finalement nous rendre Ă l’Ă©vidence: il va falloir annoncer Ă nos employeurs qu’il leur faut trouver un hĂŽtel pour la nuit, le temps pour nous de trouver une solution. AprĂšs toutes ces journĂ©es de travail pour prĂ©parer leur arrivĂ©e, cela me met en rage et je dĂ©cide, avant d’abandonner une bonne fois pour toutes, de tout couper et de tout recommencer, une derniĂšre fois. Et lĂ , miracle, sans que je ne comprenne pourquoi, le moteur dĂ©marre enfin.
Soulagement?
AprĂšs une bonne engueulade avec ZoĂ© qui, avec le stress, a accrochĂ© le kayak au bateau au lieu de le laisser au corps-mort le temps que nous allions sur le continent, nous prenons finalement la mer, toujours stressĂ©s mais dĂ©jĂ un peu rassurĂ©s. Une fois Ă©loignĂ©s des cĂŽtes pourtant, la panique m’envahit Ă nouveau. Je n’ai que rarement naviguĂ© dans une mer aussi agitĂ©e. Il n’y a plus aucun bateau en mer, tous les pĂȘcheurs du coin sont rentrĂ©s et Ă chaque fois que notre embarcation grimpe sur une vague pour s’Ă©craser sur la mer, je me demande si l’on va oui ou non rĂ©ussir Ă gagner le continent. ZoĂ© est trempĂ©e de la tĂȘte aux pieds, j’ai les jambes qui tremblent et, les mains accrochĂ©es Ă la barre, je prie pour que le systĂšme Ă©lectronique ne dĂ©conne pas Ă nouveau, ce qui aurait pour incidence de brider le moteur. J’ai besoin de puissance pour affronter ce satanĂ© vent d’ouest et cette houle de malheur, alors je croise les doigts. Au bout d’une grosse demie-heure nous arrivons enfin. Le retour sera plus calme, je le sais et me le rĂ©pĂšte pour me rassurer. Une fois accostĂ©s, nous chargeons les affaires de nos employeurs, sĂ»rement un peu agacĂ©s de ne pas nous voir arriver alors que la nuit est en train de tomber, et nous voilĂ repartis vers le large. Inquiet d’entendre l’alarme du systĂšme Ă©lectronique se mettre Ă hurler une fois en mer, le propriĂ©taire dĂ©cide de me rejoindre dans la cabine pour m’assister. MalgrĂ© sa gentillesse, je n’ai qu’une envie, c’est que l’on me laisse me concentrer pour mener tout notre petit Ă©quipage Ă bon port. Au bout d’une vingtaine de minutes, c’est chose faite. Je dois maintenant repartir de l’Ăźle pour accrocher mon bateau au corps-mort et revenir sur mon kayak.
Le soulagement que me procure le simple fait de poser mon pied sur la plage une fois arrivĂ© est nuancĂ© par l’idĂ©e que je ne vis lĂ que les prĂ©mices d’une longue, extraordinaire et pĂ©rilleuse histoire d’amour et de haine avec la mer. Au moment oĂč j’Ă©cris ces lignes, j’ai dĂ©jĂ vĂ©cu deux autres traversĂ©es plus compliquĂ©es encore.
Suite au prochain Ă©pisode…
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