Marie-Ange Guillaume : l’écriture en héritage

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Dans « aucun souvenir de césarée », Marie-Ange Guillaume invente un récit familial à trois voix qui conjure la perte et l’oubli par un humour ravageur. Le deuil comme point de départ à l’écriture de soi.

Le titre du dernier livre de Marie-Ange Guillaume, « aucun souvenir de césarée« , dévoile progressivement son sens comme une énigme littéraire et intime. Le récit s’ouvre sur le pont de l’Europe, au-dessus de la Loire, à Orléans : en une scène de deuil inaugurale, la narratrice, accompagnée d’un de ses copains, disperse dans le fleuve les cendres de sa mère « devenue poussière« . Face à l’effondrement d’une partie de sa vie, la narratrice décide de s’affronter à un passé que menacent l’oubli, l’indifférence ou la réécriture – comme le montrait déjà Proust dans Albertine disparue. Sa mémoire, la narratrice s’en rend compte en confrontant ses souvenirs à ceux de ses amis, est étonnamment sélective, lacunaire, biaisée par les mauvais souvenirs de disputes incessantes entre ses parents. Ce beau récit parlera de mémoire et d’oubli, on le comprend d’emblée.
Dans ce « boulot de deuil » qui s’impose à elle, la narratrice trouve des béquilles précieuses grâce aux écrits laissés par ses parents. Les 266 pages tapées par sa mère à son intention cessent de lui apparaître comme un déballage indésirable, en lui donnant accès à une intériorité qu’elle ne comprendra jamais tout à fait. Et le journal de bord écrit à quatre mains par ses parents, pendant les trois années qui suivent leur mariage, conserve le souvenir d’un temps où l’amour n’était pas encore trop miné par les infidélités paternelles. La narratrice invente une forme à trois voix, qui ressaisit le dialogue parental et le texte de la mère en les intégrant à son propre récit. L’errance dans Césarée, depuis Racine et Aragon, c’est le cheminement escarpé d’une conscience en deuil, et Marie-Ange Guillaume se prête à ce jeu mélancolique en faisant défiler avec beaucoup de délicatesse les souvenirs d’une jeunesse évanouie.
À la manière d’Annie Ernaux dans « La Place » ou « Les Années« , c’est toute une époque que fait ainsi revivre la narratrice en évoquant le milieu modeste de ses parents, leur jeunesse au temps des premiers congés payés et des Expositions Universelles, dans les années 1930. Ses premiers souvenirs à elle, juste après la guerre, peinent à trouver la prospérité avant la fin des années 50: l’irruption de la télévision vient triomphalement signaler, à côté de la machine à coudre, que les Trente Glorieuses ont enfin pénétré les foyers modestes d’Orléans. En ce temps-là, où les médecins lobotomisent encore les hystériques – de Rosemary Kennedy à Thérèse, la grand-mère de la narratrice – les avortements restent clandestins et la liberté commence tout juste à s’esquisser en 1968.

 

Marie-Ange Guillaume

Dans ce récit à la première personne, qui restitue la construction d’une identité autant qu’un parcours de deuil, la narratrice reprend à son compte la célèbre formule : il faut partir, quitte à « mourir un peu« , pour éviter de se détruire. Le voyage à Césarée, qu’elle déclarait « inoubliable » et dont elle n’a finalement conservé aucun souvenir, reste comme une étape dans la conquête d’une liberté et d’un ailleurs que son déménagement douloureux à Sète exprime sans doute aussi.
C’est donc un très beau récit que propose Marie-Ange Guillaume, en 190 pages aérées, sans chapitres, et qui se lisent d’une traite. Comme tous les textes sur la mort d’une mère, ce récit est souvent poignant, mais l’humour corrosif de l’auteure – qui a aussi écrit des biographies de Desproges et de Goscinny – permet d’éviter la moindre trace de pathos ou d’auto-complaisance. Dans la construction de soi et le travail de deuil, l’oubli est finalement salutaire, tout autant que l’humour.
 

 

Marie-Ange Guillaume, Aucun souvenir de Césarée, Le Passage, septembre 2014, 17 euros.

 La critique Littéraire desmotsdeminuit.fr

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