Paula se réfugie dans la froideur des statistiques pour se créer un peu de distance avec la réalité concrète, celle qui vous prend aux tripes, qui vous bouleverse l’âme et vous donne envie de tous les « pendre par les couilles ».
Nous avons enfin vu « L’homme qui répare les femmes » de Thierry Michel et Colette Braeckman (voir Nomad’s Land #41). Nous étions au Centre Wallonie-Bruxelles en centre ville : une belle salle de spectacle. Le lieu était bondé, les deux réalisateurs présents, ce qui donnait à l’évènement une petite atmosphère « spectacle culturel » complètement décalée. Dès les premières images et surtout le premier témoignage, toute frivolités et papotages ont disparu. Je sais que je ne suis pas la seule à avoir pleuré de rage. J’entendais des claquements de langues, ceux de dégoût, de colère, d’atterrement… Mais comment peut-on en arriver à faire ça ? Que se passe-t-il dans la tête de ces hommes pour qui les femmes sont des trous qu’il faut boucher avec leur sexe, ou avec celui d’autres (parfois le mari ou les fils sous la menace des armes), ou n’importe quel objet ? Et ces femmes, quand elles survivent, que se passent-il dans leurs corps ? dans leurs têtes ? Et ces fillettes ?
En 2012, victime d’une tentative de meurtre devant chez lui, le Dr Mukwege se réfugie en Belgique. Il n’y reste que quelques mois, des femmes de sa région, victimes de cette arme de déraison massive, ont proposé de donner toute la recette de la vente de leur ananas pour lui payer un billet d’avion afin qu’il revienne de son exil forcé. Et il est revenu, c’est un homme admirable. Un rempart d’humanité, comme dit Marco*.
D’aucuns, parmi les expatriés des organisations multilatérales, me disent que ce documentaire est trop panégyrique. L’homme aurait des visées politiques, m’affirme t-on. Ah bon ? Le réalisateur, pourtant, n’est pas un naïf – depuis le temps qu’il filme ses documentaires sur le Congo. Et quand bien même, ce portrait serait un peu trop élogieux ? Le Congo trouve là au moins un héros positif. Un homme faisant montre de quelques vertus serait candidat ? Sans enfants soldats ? Sans trafic de coltan ? Sans accointances avec les pays pilleurs voisins ? La belle affaire !
L’équipe du projet rentre du terrain, le logisticien m’apprend qu’un agent d’un des hôpitaux que nous appuyons essaie de retrouver son équilibre : des voleurs ont visité sa maison et ont violé sa femme et sa fille, en sa présence.
Je consulte le bulletin sécuritaire quotidien : là-bas dans le Bandundu, une province où nous pensons démarrer un projet, un homme est arrêté pour avoir violé une femme de 65 ans. Ça lui apportera la richesse, dit-on chez les sorciers, qui sont légion dans cette région, comme l’expliquent les collègues devant mon désarroi.
J’assiste à un atelier sur les statistiques des violences sexuelles. L’atelier, prévu à 9h, est reporté à 14h, et nous sommes censés couvrir en deux heures tout le programme de la journée. A 15 heures les officiels arrivent. Tout le monde se lève et reste debout, pour l’hymne national. J’attends la musique introductive mais non, l’animateur de l’atelier, sans même un raclement de gorge, se met à chanter a capella, de suite accompagné par l’assemblée. Comme les autres, mon collègue déroule sans faillir toutes les paroles.
Le gouvernement trouve que toutes ces statistiques sur les violences sexuelles font désordre : chaque acteur (le secteur santé, le Ministère de la femme, la justice, l’armée, la MONUSCO et les organisations de la société civile) en fournit à partir de son propre canevas de collecte de données : le résultat est un peu confus et troublant, d’autant que tout ça est publié. Nous sommes invités à réfléchir sur une harmonisation et surtout à accepter que dorénavant, seul l’Institut National de la Statistique valide et publie les chiffres. In petto, je me dis que le gouvernement n’aime décidément pas que soit propagée l’idée que ce pays est un vaste chaos.
La réunion se tenait à « l’Immeuble du gouvernement », que des Kinois surnomment « L’immeuble intelligent ». Je pensais que l’appellation était quelque peu ironique, jusqu’à ce qu’elle soit reprise dans le discours d’ouverture. De fait, cet immeuble, très récent, concentre des astuces électroniques qui font la fierté des Kinois (panneaux mobiles, climatisation, robinets automatiques). Je ne les ai pas toutes vues et certaines sont fort banales pour une occidentale comme moi, comme le souligne un collègue, quelque peu désabusé. J’ai surtout remarqué la qualité de l’acoustique et la luminosité assez rare dans les pays chauds.
Vendredi : Kin pleure le décès de sa chanteuse de gospel Marie Misamu. Elle avait 41 ans.
Samedi : Kin explose de joie à la victoire de son équipe en quart de finale (de foot, de quoi voulez-vous que ce soit d’autre).
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