Dans cette galère… Les carnets d’ailleurs de Marco et Paula #179
Paula s’indigne …
Travailler pour les faire étudier …
Le message souterrain est limpide! Si tous vos enfants n’étudient pas, c’est votre faute, pas celle du FMI ni du libéralisme, pas celle de la corruption et encore moins des religieux qui vous martèlent qu’il faut croître et multiplier… Dans de tels moments, Marco me manque terriblement car s’il était là, je pourrais me répandre en propos cyniques et vains, mais servant d’exutoire salutaire à mon indignation (ainsi qu’au réveil de Marco, par ailleurs).
Le PNUD a publié en septembre les Indices de développement humain, qui servent en particulier pour le calcul de l’Indice du Capital Humain de la Banque Mondiale. Cet ICH vise à démontrer aux gouvernements qu’investir dans leurs populations (c’est-à-dire, en gros, se préoccuper de la survie, de la croissance et de la scolarité des enfants) permettra aux pays de profiter à terme de bonnes retombées économiques. Ou inversement. Et le Tchad doit tendre l’oreille car il est le dernier de la classe.
À quoi bon !
Les données sont accablantes. En voici un florilège: 12% des enfants tchadiens mourront avant 5 ans. En moyenne, les survivants effectueront cinq années de parcours scolaires qui ne représenteront en réalité que l’équivalent de 2,6 ans de temps de formation. Et seuls 64% des enfants ayant 15 ans aujourd’hui, réussiront à survivre jusqu’à l’âge de 60 ans.
Constat économique: L’ICH de 0,29 affiché par le Tchad signifie que la « productivité » des enfants nés aujourd’hui dans ce pays n’atteindra que 29% du potentiel qui aurait pu être atteint s’ils avaient été mieux soignés et mieux éduqués.
Au moins, je sais pourquoi je suis ici. Non pas pour sauver les tchadiens, mais peut-être pour contribuer quelque peu à augmenter leur bien vivre. J’en entends certains rire, oui, je sais, mais c’est ce qui me permet d’atténuer mon angoisse existentielle.
Mais bon, j’assume. J’assume tant qu’il y a quelques jours, alors que nous attendions l’arrivée des autres participants à une réunion, je me suis lancée dans une discussion très hasta siempre*. J’ai bien précisé que je parlais en mon nom propre et non de mon organisation, mais j’ai senti mes interlocuteurs surpris de ma diatribe. Quel était l’objet de mon ire? C’est simple: on fournit de l’aide d’urgence mais en même temps, on applaudit aux lois du libéralisme économique qui laisse sur la paille 783 millions de personnes (il ne s’agit que des extrêmement pauvres qui disposent de moins d’1,90 dollar par jour). Et si ce nombre peut plus ou moins varier suivant la méthode de calcul, il n’inclut pas les modérément pauvres.
Un jour ou l’autre, peut-être…
Nous sommes en pleine période de réponse humanitaire d’urgence, c’est-à-dire l’exercice de ciblage des bénéficiaires pour 2019, et il est patent qu’il n’y aura pas d’aide pour tout le monde. En 2018, sur les 4,4 millions de personnes recensées en besoin d’assistance au Tchad, 1,9 millions avaient été ciblées. Après le ciblage viendra la sélection des projets puis la recherche de leur financement: en 2018, seuls 37% des fonds demandés pour la sécurité alimentaire (la problématique majeure au Tchad) ont été fournis par les bailleurs.
Pour sortir de la désespérance sèche de ces chiffres, j’attends d’aller sur le terrain pour voir les projets et les résultats plutôt satisfaisants de nos activités (satisfaisants en termes de réalisation, il est trop tôt pour en mesure les impacts). Las, j’ai dû ajourner la mission que je devais faire dans nos bases pour cause de gestion confuse des partenaires des Nations Unies qui modifient allègrement les calendriers, persuadés que nous n’avons rien d’autre à faire qu’à attendre leur bon vouloir. Ce sera en novembre. Peut-être…
C’est aussi ça, la vie d’une chef de mission humanitaire au Tchad!
* Chanson qui a pour sujet le commandant Ernesto Che Guevara.
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