Lettres ou ne pas être #60: Éloge de la beauté
« La vraie beauté est celle qui va dans le sens de la Voie, étant entendu que la Voie n’est autre que l’irrésistible marche vers la vie ouverte, autrement dit un principe de vie qui maintient ouvertes toutes ses promesses. » (François Cheng, Cinq méditations sur la beauté)
Mon dernier colloque avant l’été est fini, il s’est plutôt bien passé et les questions ont pour une fois été utiles – ça change des vieux profs honoraires qui monopolisent la parole en répétant tout ce qu’ils ont dit depuis trente ans, comme si on ne savait pas déjà que oui, ils ont été les tout premiers à remarquer ça, à établir ce rapprochement et bla bla bla… En général, ça me fait penser à cette phrase du Voyage au bout de la nuit qui dit que vieillir, c’est répéter toujours la même chose, mais de manière un peu plus spectaculaire à chaque fois.
J’avais toujours trouvé cette citation très juste, mais elle est presque criante de vérité pour les enseignants-chercheurs, en-dehors de quelques exceptions généralement féminines.
Donc pour une fois, les remarques des autres intervenants ont été vraiment intéressantes, et je suis ressortie du colloque avec quelques conseils de lecture utiles, bien décidée à aller les acheter de ce pas.
Sauf qu’à peine arrivée chez moi, je me suis effondrée sur mon canapé, incapable de retrouver la moindre motivation pour me plonger dans Le Côté de Guermantes que je suis en train de relire. Et je dois même l’avouer, la perspective de lire n’importe quelle ligne de Proust m’épuise et m’écœure presque à l’avance. Moi qui pensais que rien ni personne ne m’en dégoûterait jamais, j’en suis presque arrivée à l’impression qu’une page de plus pourrait me mettre en burn-out.
J’ai besoin de dormir, de me légumer à la plage et de lire autre chose. Parce que lire uniquement pour mon plaisir, ça fait des mois que ça ne m’est pas arrivé. Deux ans exactement, le début de mon contrat doctoral: tout ce que je lis depuis concerne ma thèse, mes cours ou les articles que je dois écrire. Il est grand temps de faire un break.
Du coup, depuis mon canapé, j’aperçois tout en bas d’une grosse pile de bouquins deux petits livres qu’on m’a offerts : Cinq méditations sur la beauté de François Cheng (112 pages très aérées) et Quelques artistes et gens de lettres de Sempé. Exactement ce qu’il me faut.
Je n’avais jamais lu François Cheng (mais j’avais entendu une communication sur lui en novembre, Grrr….). Ô bonheur! Ô extase! Avec une douceur méthodique, Cheng revient sur les deux expériences qui l’ont terrassé depuis son plus jeune âge: celle de la beauté, et celle du Mal. L’expérience de la beauté, elle commence pour lui avec la province de Jiangxi où le mont Lu se dessine dans des brumes éternelles, et où des jeunes filles étrangères évoquent les corps d’Ingres ou de Chassériau. Et l’expérience du mal, ce sont les images de l’invasion japonaise en 1936, le massacre et les viols de Nankin qui se superposeront à jamais, dans son esprit, aux corps des femmes de Botticelli.
Alors dévisager ces deux énigmes, la beauté et le mal, c’est ce que nous propose François Cheng, en cinq méditations. Moi qui ne connais rien à la philosophie chinoise, je découvre qu’il faut suivre les phénomènes lorsqu’ils vont dans le sens de la Voie, c’est-à-dire d’une vie ouverte. Il faut creuser notre capacité à la réceptivité, et non à la conquête.
La beauté est omniprésente, et s’impose dans la différenciation et la singularité des éléments du monde qui nous entourent, une fleur, un arbre, un oiseau. Choisir une vie ouverte, c’est accepter l’unicité de chaque être, de chaque instant, ce qui est aussi la condition de l’amour.
Pour François Cheng, la beauté n’est donc pas une « cerise sur le gâteau« , c’est elle qui donne du sens à notre univers dans les trois sens du termes: la sensation, la direction et la signification. Et « la vraie beauté est celle qui va dans le sens de la Voie, étant entendu que la Voie n’est autre que l’irrésistible marche vers la vie ouverte, autrement dit un principe de vie qui maintient ouvertes toutes ses promesses.«
Je suis absolument captivée par cette Voie qui s’ouvre devant moi, peut-être pour me sauver du burn-out, mais je dois interrompre ma lecture pour aller au dîner du colloque.
Et en marchant vers le bus, je me dis qu’après l’été, c’est décidé, je me mets au yoga. Pour rédiger les 450 pages qui m’attendent, ça ne pourra pas me faire de mal.
J’avais toujours trouvé cette citation très juste, mais elle est presque criante de vérité pour les enseignants-chercheurs, en-dehors de quelques exceptions généralement féminines.
Donc pour une fois, les remarques des autres intervenants ont été vraiment intéressantes, et je suis ressortie du colloque avec quelques conseils de lecture utiles, bien décidée à aller les acheter de ce pas.
Sauf qu’à peine arrivée chez moi, je me suis effondrée sur mon canapé, incapable de retrouver la moindre motivation pour me plonger dans Le Côté de Guermantes que je suis en train de relire. Et je dois même l’avouer, la perspective de lire n’importe quelle ligne de Proust m’épuise et m’écœure presque à l’avance. Moi qui pensais que rien ni personne ne m’en dégoûterait jamais, j’en suis presque arrivée à l’impression qu’une page de plus pourrait me mettre en burn-out.
J’ai besoin de dormir, de me légumer à la plage et de lire autre chose. Parce que lire uniquement pour mon plaisir, ça fait des mois que ça ne m’est pas arrivé. Deux ans exactement, le début de mon contrat doctoral: tout ce que je lis depuis concerne ma thèse, mes cours ou les articles que je dois écrire. Il est grand temps de faire un break.
Du coup, depuis mon canapé, j’aperçois tout en bas d’une grosse pile de bouquins deux petits livres qu’on m’a offerts : Cinq méditations sur la beauté de François Cheng (112 pages très aérées) et Quelques artistes et gens de lettres de Sempé. Exactement ce qu’il me faut.
Je n’avais jamais lu François Cheng (mais j’avais entendu une communication sur lui en novembre, Grrr….). Ô bonheur! Ô extase! Avec une douceur méthodique, Cheng revient sur les deux expériences qui l’ont terrassé depuis son plus jeune âge: celle de la beauté, et celle du Mal. L’expérience de la beauté, elle commence pour lui avec la province de Jiangxi où le mont Lu se dessine dans des brumes éternelles, et où des jeunes filles étrangères évoquent les corps d’Ingres ou de Chassériau. Et l’expérience du mal, ce sont les images de l’invasion japonaise en 1936, le massacre et les viols de Nankin qui se superposeront à jamais, dans son esprit, aux corps des femmes de Botticelli.
Alors dévisager ces deux énigmes, la beauté et le mal, c’est ce que nous propose François Cheng, en cinq méditations. Moi qui ne connais rien à la philosophie chinoise, je découvre qu’il faut suivre les phénomènes lorsqu’ils vont dans le sens de la Voie, c’est-à-dire d’une vie ouverte. Il faut creuser notre capacité à la réceptivité, et non à la conquête.
La beauté est omniprésente, et s’impose dans la différenciation et la singularité des éléments du monde qui nous entourent, une fleur, un arbre, un oiseau. Choisir une vie ouverte, c’est accepter l’unicité de chaque être, de chaque instant, ce qui est aussi la condition de l’amour.
Pour François Cheng, la beauté n’est donc pas une « cerise sur le gâteau« , c’est elle qui donne du sens à notre univers dans les trois sens du termes: la sensation, la direction et la signification. Et « la vraie beauté est celle qui va dans le sens de la Voie, étant entendu que la Voie n’est autre que l’irrésistible marche vers la vie ouverte, autrement dit un principe de vie qui maintient ouvertes toutes ses promesses.«
Je suis absolument captivée par cette Voie qui s’ouvre devant moi, peut-être pour me sauver du burn-out, mais je dois interrompre ma lecture pour aller au dîner du colloque.
Et en marchant vers le bus, je me dis qu’après l’été, c’est décidé, je me mets au yoga. Pour rédiger les 450 pages qui m’attendent, ça ne pourra pas me faire de mal.
A suivre.
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