Lettres ou ne pas être #104: « Le Bois dont les rêves sont faits »
« La grandeur de l’art véritable, […], c’était de retrouver, de ressaisir, de nous faire connaître cette réalité loin de laquelle nous vivons, […] cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans l’avoir connue, et qui est tout simplement notre vie. » (Marcel Proust, Le Temps retrouvé)
Le Bois dont les rêves sont faits, de la réalisatrice Claire Simon, ça n’est pas seulement un bel octosyllabe, qui nous donne à entendre les « confuses paroles » de ces « vivants piliers » que sont les habitants du Bois de Vincennes. Le film cite Baudelaire en exergue, et les prostituées ou la fugitive vision d’un bel Apollon rappellent brièvement Les Fleurs du mal, mais pour moi qui suis allée au cinéma après une journée de travail sur Proust, j’ai parfois reconnu la Recherche au détour d’une allée – même si le bois de Proust, c’était plutôt le Bois de Boulogne.
Ce qui frappe au début du film, c’est à quel point le Bois est un lieu familier, civilisé: chacun y a ses petits rituels, qu’il s’agisse d’entretenir sa masse musculaire, de se mettre en quête de l’âme sœur ou de promener son chien. Et comme le dit Ricœur dans Temps et récit, à l’origine de tout rituel, il y a un mythe: alors Claire Simon, dont Les Bureaux de Dieu avaient déjà suggéré le don d’écoute, laisse à chacun le temps d’exprimer sa parole, d’où percent parfois les échos assourdis d’un mythe originel, qu’il soit personnel ou collectif.
Un militaire revient sur l’histoire de sa conception pendant que des scientifiques attendent, au clair de lune, la copulation des grenouilles. Des cambodgiens évoquent un autre temps dans la forêt, sous le régime de Pol Pot, et une jeune femme met sa vie entre parenthèses, pour se consacrer à son fils, comme une traversée du désert. Aucun parallélisme n’est établi mais les récits, plus ou moins longs, entremêlent des destins et des origines que seul rassemble le Bois.
Et puis dans la seconde partie du film, la sauvagerie revient, ou plutôt le mythe du Sauvage qui a toujours été assimilé à l’anarchie et à la marginalité, aux animaux et à une pilosité abondante. De Tristan et Iseut qui se réfugient dans la forêt du Morois au récent The lobster, la forêt est le lieu de l’Autre, de ceux qui refusent les normes de notre société, pour vivre une vie de dénuement. Dans le film, certains parlent aux oiseaux tandis que d’autres écoutent ou soignent les arbres. Et puis les asociaux campent dans le Bois, comme cet ermite, ou ce sage, qui a déjà choisi une forme de mort au monde, et de vie contemplative, sans qu’on puisse deviner quel mythe originel l’a entraîné sur cette voie.
Des hommes et des mythes
Chaque récit est bouleversant d’humanité, surtout quand on entend ceux et celles que la société relègue précisément au Bois comme Stéphanie, la prostituée qui devient comme le symbole de cette forêt: le lieu où l’on renoue avec les fantasmes et les mythes, en dix minutes, en un dimanche ou en une vie de marginalité. Et en deux heures, le film réussit à placer sous la lumière tous ces autres que cache le Bois, y compris ceux dont l’histoire a voulu effacer la trace, comme Gilles Deleuze qui animait l’Université de Vincennes, aujourd’hui rasée.
Alors pourquoi Proust, finalement? Parce que le héros guette le poisson aux bords de la Vivonne, ou les hirondelles qui survolent le Bois? Parce qu’il cherche une fugitive passante, en affirmant qu’ »errer ainsi dans les bois de Roussainville sans une paysanne à embrasser, c’était ne pas connaître de ces bois le trésor caché, la beauté profonde« , et ne trouve finalement au fond des bois qu’une maison perdue où se cache une mystérieuse jeune femme, retirée du monde? Au Bois de Boulogne de Proust, comme dans le film de Claire Simon, les personnages ont aussi leurs petites habitudes: Swann y emmène des ouvrières avant de retrouver Odette, les Verdurin y donnent des dîners musicaux pendant que d’autres y cherchent des plaisirs lesbiens.
Et finalement, Le Bois dont les rêves sont faits comme La Recherche du temps perdu montrent que le Bois est véritablement peuplé par les hommes et les mythes qu’ils amènent avec eux. Quand l’hiver vient, la caméra ne nous montre plus qu’ »une forêt désaffectée« , ce que devient le Bois de Boulogne, chez Proust, quand Odette ou Albertine, toutes ces élégantes en fourrure, ne s’y promènent plus.
Ce qui frappe au début du film, c’est à quel point le Bois est un lieu familier, civilisé: chacun y a ses petits rituels, qu’il s’agisse d’entretenir sa masse musculaire, de se mettre en quête de l’âme sœur ou de promener son chien. Et comme le dit Ricœur dans Temps et récit, à l’origine de tout rituel, il y a un mythe: alors Claire Simon, dont Les Bureaux de Dieu avaient déjà suggéré le don d’écoute, laisse à chacun le temps d’exprimer sa parole, d’où percent parfois les échos assourdis d’un mythe originel, qu’il soit personnel ou collectif.
Un militaire revient sur l’histoire de sa conception pendant que des scientifiques attendent, au clair de lune, la copulation des grenouilles. Des cambodgiens évoquent un autre temps dans la forêt, sous le régime de Pol Pot, et une jeune femme met sa vie entre parenthèses, pour se consacrer à son fils, comme une traversée du désert. Aucun parallélisme n’est établi mais les récits, plus ou moins longs, entremêlent des destins et des origines que seul rassemble le Bois.
Et puis dans la seconde partie du film, la sauvagerie revient, ou plutôt le mythe du Sauvage qui a toujours été assimilé à l’anarchie et à la marginalité, aux animaux et à une pilosité abondante. De Tristan et Iseut qui se réfugient dans la forêt du Morois au récent The lobster, la forêt est le lieu de l’Autre, de ceux qui refusent les normes de notre société, pour vivre une vie de dénuement. Dans le film, certains parlent aux oiseaux tandis que d’autres écoutent ou soignent les arbres. Et puis les asociaux campent dans le Bois, comme cet ermite, ou ce sage, qui a déjà choisi une forme de mort au monde, et de vie contemplative, sans qu’on puisse deviner quel mythe originel l’a entraîné sur cette voie.
Des hommes et des mythes
Chaque récit est bouleversant d’humanité, surtout quand on entend ceux et celles que la société relègue précisément au Bois comme Stéphanie, la prostituée qui devient comme le symbole de cette forêt: le lieu où l’on renoue avec les fantasmes et les mythes, en dix minutes, en un dimanche ou en une vie de marginalité. Et en deux heures, le film réussit à placer sous la lumière tous ces autres que cache le Bois, y compris ceux dont l’histoire a voulu effacer la trace, comme Gilles Deleuze qui animait l’Université de Vincennes, aujourd’hui rasée.
Alors pourquoi Proust, finalement? Parce que le héros guette le poisson aux bords de la Vivonne, ou les hirondelles qui survolent le Bois? Parce qu’il cherche une fugitive passante, en affirmant qu’ »errer ainsi dans les bois de Roussainville sans une paysanne à embrasser, c’était ne pas connaître de ces bois le trésor caché, la beauté profonde« , et ne trouve finalement au fond des bois qu’une maison perdue où se cache une mystérieuse jeune femme, retirée du monde? Au Bois de Boulogne de Proust, comme dans le film de Claire Simon, les personnages ont aussi leurs petites habitudes: Swann y emmène des ouvrières avant de retrouver Odette, les Verdurin y donnent des dîners musicaux pendant que d’autres y cherchent des plaisirs lesbiens.
Et finalement, Le Bois dont les rêves sont faits comme La Recherche du temps perdu montrent que le Bois est véritablement peuplé par les hommes et les mythes qu’ils amènent avec eux. Quand l’hiver vient, la caméra ne nous montre plus qu’ »une forêt désaffectée« , ce que devient le Bois de Boulogne, chez Proust, quand Odette ou Albertine, toutes ces élégantes en fourrure, ne s’y promènent plus.
A suivre.
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