On ne naît pas thésard, et on s’étonne souvent de l’être devenu… Un choix de vie assumé, au prix de quelques angoisses.
C’est la première fois que je décide de passer tout le mois de juillet à Paris, pour avancer ma thèse et donner quelques cours dans une prépa privée. Je ne suis pas spécialement fière de cette infidélité à Proust et au pur désintéressement de la recherche, mais ça me permettra de payer mes impôts à la rentrée et quelques extras estivaux qui commencent à s’esquisser agréablement. D’ailleurs, je suis certaine que Proust m’aurait approuvée de vouloir arrondir mes fins de mois et accroître mon réseau – ses personnages principaux connaissaient l’importance du capital social et financier pour arriver à ses fins, et c’est peut-être pour ça aussi que je les aime.
Comme je ne suis pas non plus devenue une arriviste sans scrupules, je continue à travailler dans une BNF qui se vide progressivement, où l’on observe avec un mélange de bienveillance et d’inquiétude jalouse les galériens qui vont passer l’été à rédiger leur thèse, et qui renaîtront peut-être en septembre quand ils auront bouclé leurs 500 pages.
La chaleur commence à rendre plus difficile la correction de mes copies et la préparation des colloques auxquels je participerai l’an prochain. Et avec la canicule revenue et la pollution palpable, impossible de continuer les joggings qui m’ont permis toute l’année de conserver un semblant de forme physique et d’équilibre nerveux. J’ai essayé d’aller courir le 14 juillet, mais j’ai vite compris que j’allais devoir adopter un défouloir alternatif si je ne voulais pas me retrouver aussi asthmatique que Proust. Je ne sais pas si une thèse a déjà été coécrite sur le sujet, par un médecin et un littéraire, mais j’ai remarqué que les asthmatiques – qui souffrent aussi souvent d’eczéma – étaient sur-représentés parmi les écrivains ou les artistes. Peut-être une idée de livre que je pourrais coécrire avec ma petite sœur ?
Du coup, comme j’ai peur de devenir asthmatique, je décide de me rabattre sur la piscine Joséphine Baker qui m’a tendu les bras pendant des mois quand je sortais de la BNF, mais que j’ai dédaignée tout l’hiver par paresse et peur de la grippe, et depuis trois mois sans aucune raison valable. Cette piscine est pourtant le rêve pour les doctorants qui sortent de la BNF puisqu’en plus d’être amarrée aux pieds de la bibliothèque, sur le quai François Mauriac, elle reste ouverte très tard.
Donc hier matin, je décide enfin d’emporter mes affaires de piscine, en plus de tout mon barda de thésarde qui me casse le dos depuis un an, et je sors toute guillerette de la bibliothèque vers 20h, ravie d’aller me rafraîchir. Arrivée sur le quai, premier coup dur: il y a la queue. Quand j’étais en prépa, je faisais la queue pour entrer à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, mais il y avait une forme d’obligation, d’autocontrainte tellement puissante que je ne me posais même pas la question de savoir si j’allais rester ou aller au cinéma. Par je ne sais quelle intériorisation d’un impératif supérieur et totalement aliénant, je commençais à sortir un livre de mon sac et à le lire dans la queue.
Mais faire la queue pour entrer dans une piscine, c’est difficile à expliquer rationnellement mais, vraiment, ça me saoule. Je m’auto-convaincs quand même d’attendre quelques minutes, en essayant de ne pas visualiser la quantité de gens en sueur qui se sont trempés avant moi dans le minuscule bassin, je finis par entrer et j’achète cash un carnet de dix entrées pour me motiver plus d’une fois.
Le seul problème, c’est qu’embarquer à bord de cette péniche, c’est comme descendre les cercles de l’enfer de Dante. Les cabines sont d’une propreté plus que douteuse, et il y a tellement de monde que pour la première fois de ma vie, je fais du sur place au milieu d’une ligne saturée, comme si l’affluence à Joséphine Baker était inversement proportionnelle à celle de la BN. Et difficile de demander à la baleine qui est devant moi d’aller faire son aquagym dans le petit bassin, puisqu’il n’y a pas de petit bassin et que je n’ai jamais vraiment réussi à jouer frontalement le jeu du politiquement incorrect. Je change de ligne, et un maître nageur me tombe dessus en me disant que je nage la brasse dans une ligne réservée aux nages rapides, crawl et papillon. Le problème, c’est que je nage seulement la brasse, mais trop vite pour les lignes d’escargots. Dommage pour moi, mais il n’y a pas d’alternative entre la ligne réservée aux cours, le crawl et le sur place.
Après deux coups de pieds sur la tête et quelques brasses à peine, je décide que ça va comme ça. Je ne suis pas prête à mener ce combat-là : une thèse et des cours à donner, ça me suffit.
À suivre.
Tous les vendredis, Le journal d’une thésarde, voir l’intégrale.
La page facebook des mots de minuit, une suite… Abonnez-vous pour être alerté de toutes les nouvelles publications.
@DesMotsDeMinuit
Articles Liés
- Lettres ou ne pas être #17: érémitisme
On ne naît pas thésard, et on s'étonne souvent de l'être devenu… Un choix de…
- Lettres ou ne pas être #7: cinéma
On ne naît pas thésard, et on s'étonne souvent de l'être devenu… Un choix de…
- Lettres ou ne pas être #12: effondrement
On ne naît pas thésard, et on s'étonne souvent de l'être devenu… Un choix de…
Lettres ou ne pas être #114: gratuité
23/12/2016Lettres ou ne pas être #112: Rentrée
30/09/2016
Laisser une réponse Annuler la réponse
-
« Hollywood, ville mirage » de Joseph Kessel: dans la jungle hollywoodienne
29/06/202052680Tandis que l’auteur du Lion fait une entrée très remarquée dans la ...