Voyage en moi-même à Skopje. Sur la voix des Balkans #16
Athina passe une soirée à Čačak avant d’arriver à Skopje, la capitale de la Macédoine. En pleine réflexion sur l’après road-trip, elle reste chez Vojkan une semaine à cogiter, contacter, écouter.
Après la vie « nomade », revenir à la vie « normale »?
Aujourd’hui cela fait plus de deux mois que je suis Sur la voix des Balkans. Déjà!
Et pourtant j’ai carrément le moral dans les chaussettes… Mais qu’est ce qu’il m’arrive encore? Est-ce le blues du voyage qui pointe le bout de son nez?
Oui tu sais, je t’en avais déjà parlé. (Voir épisode #06). Parfois, j’ai le blues – c’est peut être pour ça que j’aime tant le chanter?
Depuis le début de cette aventure, il y a ma mission quant à ma quête musicale: chercher et trouver, ça, ça suit son chemin. Et puis maintenant que j’ai bien vadrouillé, il y a ce moment où tu te dis « Ok, mais je fais quoi de ma vie après?«
Voyager c’est bien beau mais encore faut il savoir où poser ses valises au retour.
« Atterrir quelque part, oui mais où et pourquoi? », est devenu un sujet à débats. Et ce jusqu’à pas d’heure. Nuit et jour. Comme un boulet qui me suit au pas, le point d’interrogation ponctue chacune de mes phrases.
Retourner vivre à Paris? M’installer à Marseille? Rester dans les Balkans? Faire du woofing quelque part? Ou même, faire du housesitting?
Tu vois un peu que les directions sont multiples. Et je laisse le champ ouvert. À gauche, à droite, à l’ouest, à l’est, je pèse les plus et les moins de chaque direction. Je ne laisse rien au hasard car pour moi tout est une question de choix. Enfin, je donne une direction et puis après, seulement après, je laisse jouer le destin.
Et ce voyage alors? Je l’avais tant rêvé, j’y suis en plein dedans et maintenant voilà que ma tête est complètement obsédée par l’après.
Vraiment paumée la Athina… C’est pas la première fois, tu vas me dire! Et à chaque fois, ma meilleure idée est de tout poser sur le papier. Une seule chose revient comme un boomerang: je veux plus que jamais réaliser ma musique. Chanter!
Oui, ça, c’est la seule chose qui sonne juste en ce jour. Alors comment on s’y prend?
Se faire accueillir chez Vladimir le temps d’une soirée à Čačak
On est lundi et je suis posée dans le jardin du café de la gare. Tous les festivaliers ont déjà pris une autre direction. Eux, ils ont pas perdu leur boussole…
Au milieu de tous mes bagages, je reste là: je réfléchis.
Il n’y a pas de bus pour Skopje aujourd’hui, le prochain est demain matin à 9h55.
Humm, j’envisage alors de dormir ici ce soir, sur un banc de la gare avec mon sac de couchage.
Ouais, même pas peur!
Entre deux remue-méninges, toujours attablée à la même table depuis plusieurs heures, je croise le sourire de Vladimir.
Il vient de conduire un groupe de jeunes de Guča jusqu’à la gare routière de Čačak (prononcer « tchatchak »).
On papote 5 minutes et voilà qu’il me propose son jardin pour y planter ma tente. Il habite tout proche et après l’avoir sondé un minimum – disons que j’ai pas envie de me retrouver dans un plan douteux – je me dis « pourquoi pas, allez!«
Vladimir vit dans la même maison que ses parents. À savoir, cette pratique est plutôt courante dans les Balkans où la famille est – comme j’avais pu déjà le souligner – le noyau dur. Un grand esprit de solidarité règne entre les générations et vivre avec ses parents à 30 ou 50 ans, c’est finalement pas si choquant.
Vladimir m’explique que c’est lui qui a construit la maison – qui au départ n’était qu’un garage – de ses mains avec l’aide d’amis et de cousins. Il a eu l’idée de transformer un morceau du rez-de-chaussée en studio. Et prévoit de transformer le garage – l’autre – en un nouveau studio pour en faire une source de revenu supplémentaire. Ah! toutes les astuces sont bonnes pour s’en sortir! Faut dire que le salaire moyen n’est vraiment pas épais… « Troc, entraide et solidarité familiale » pourrait être son leitmotiv. Ce qui parfois me semble ne plus être à l’ordre du jour de l’autre côté de l’Europe. Celle des pays riches. Celle où souvent la famille est un mot qui fâche. Mais bref!
Il me fait visiter toute la maison en arrivant – du genre « eh! regardes, c’est mon oeuvre » – et le fameux studio en me demandant:
“ Do you like it?”. « Yes, it’s very nice« , je lui réponds.
Il me propose de choisir entre le jardin pour y planter mon tipi ou de prendre la petite chambre sous les toits libre à l’étage.
Vu comment je m’en suis vu pour monter la tente chez Slavica (Voir épisode #15), je choisis la chambre! Après avoir déposé mes affaires à l’étage, il me présente à sa mère et à la voisine qui sont dehors en train de boire le café sur la terrasse. Elles sont ravies de faire ma connaissance et me parlent en allemand.
Les parents de Vladimir ont habité 40 ans en Allemagne à Stuttgart. Tiens, tiens, Stuttgart… (Voir épisode #10) Son père y travaillait, chez Mercedes, d’où le portail de la maison avec les sigles de la marque. Il est fier de son père. Ah il me raconte qu’il a même travaillé pour Renault à Boulogne-Billancourt. Toute une histoire!
Vladimir est aux petits soins avec moi et il tient absolument à me présenter au « best man of the world« : son père.
On arrive dans le salon où il est alité à côté de la télé. Il ne réagit plus et pour moi, c’est le choc. C’est pas tellement de voir quelqu’un d’alité qui me secoue. J’ai fréquenté beaucoup de personnes âgées pendant mon enfance dans des situations parfois pires.
Ma mère travaillait en maison de retraite et je la suivais partout. Alors, c’est pas ça. Ce qui me touche profondément c’est la manière dont Vladimir salue son père.
D’une façon tellement tendre et avec cette volonté de le réanimer…
J’ai rarement vu autant d’amour entre un fils et un père dans un seul regard.
J’ai les larmes aux yeux… La voisine a préparé le café pour nous et quand sa mère devine mes larmes elle me dit « non” avec un air autoritaire. Vladimir me dit de ne pas pleurer et de lui raconter une blague.
Je me sens complètement paralysée et j’ai vraiment besoin de pleurer. J’ai tout mon corps envahi par un chagrin soudain et je me sens oppressée de ne pas pouvoir l’exprimer. C’est comme si de voir cette scène avait été la goutte qui fait déborder le vase.
C’est trop d’émotions à gérer là. Et il est interdit de pleurer chez Vladimir.
Je tiens bon devant sa mère et la voisine qui me posent des questions. Je pleurerai plus tard… dans mon coin comme une gosse qui se cache pour pas qu’on la surprenne.
Puis, nous partons nous balader en ville et je découvre une grande place remplie d’enfants jouant aux autos. Envie d’être une enfant, parfois. Stands de pop-corn comme à la fête foraine de Guča et autour de la place que des bars style « lounge« . J’explique à Vladimir que je préfère aller dans un bar authentique si possible… Pas trop ma tasse de thé les bars Ikea.
Vladimir me propose un autre endroit de la ville où ça s’anime le soir: le bord de la rivière. Il m’assure que là bas il y a plus une ambiance « serbe« .
En effet, c’est au bord de l’eau que sont alignés les bars: musique, barbecue et bière! Bah voilà la guinguette! Et tu sais que mon goût pour les guinguettes ne date pas d’hier! (Voir épisode #08). D’ailleurs, j’imaginerai bien une fanfare jouer pleins poumons dans ce cadre bucolique. Bref, après une bonne bière, nous écoutons un cd – une compilation de fanfares serbes justement – dans la voiture qui m’enchante les oreilles: Trubački Urnebes.
En rentrant, on mange une salade avec du fromage frais, des tomates du jardin accompagnées par un shot de rakjia: 100% Balkans style! Et voilà, ça finit toujours avec un shot de rakjia!
Passer une semaine chez Vojkan: fan de free jazz et de musique barrée!
Le lendemain matin, Vladimir me réveille et me dépose le cd écouté la veille à côté de mon oreiller. C’est « mon cadeau » me dit-il. Je lui ai offert mon cd hier et voilà qu’on a tous les deux une nouvelle galette dans notre besace. Ma journée commence bien!
Je file à la gare en taxi et monte dans le bus: plus que 5 heures de voyage et une frontière à traverser et je serais à Skopje.
Vojkan vient me chercher à la gare routière. Il m’a répondu à la dernière minute sur Couchsurfing! Coup de chance!
On fait connaissance autour d’un bon plat de pâtes. Ça fait des lustres que je n’ai pas mangé des spaghettis à la sauce tomate.
Je suis ravie et dépaysée! Vojkan vit entre Milan et Skopje, à cheval entre les deux pays. Alors évidemment, les pastas, c’est toujours al dente. Un passionné, si bien qu’il chronomètre la cuisson à la minute près et en mange tous les jours. Oui, tous les jours.
Rencontrer Vojkan dans son appartement flambant neuf ne se résume pas seulement à partager une bonne bouffe.
C’est aussi parler musique tout en sniffant du tabac en poudre.
Euh, comment? Oui, oui, je ne connaissais pas, et Vojkan a toute une panoplie de petites boîtes avec différents tabacs… à sniffer. Au début, en voyant les boîtes, je pensais que c’était de la cannelle! Faut dire que c’est exactement de la même couleur. Mais je me disais que c’était étrange d’avoir autant de boîtes pour une seule et même épice dans une seule cuisine. Hummm, y a anguille sous roche là…
J’ai compris après!
Vojkan est aussi un mélomane de jazz, de musique expérimentale et de fusion. Il écoute beaucoup de musiques dès qu’il rentre vers 16h de son bureau. On commence par Greg Hopkins avec l’album Boston. Avec comme invité le guitariste macédonien Toni Kitanovski. On continue avec le groupe Baklava, qui revisite les chansons traditionnelles puis le groupe Chalgia Sound System, encore dans un esprit de fusion.
Ah! qu’est-ce qu’on est bien dans son salon! À côté de sa table basse il y a un tas de cds étalés sur le sol: de quoi éveiller ma curiosité. Si bien que tous les soirs, on a notre petit rituel. On s’assoie – moi sur le canapé, lui sur le fauteuil – et on écoute ses disques. Pendant des heures.
Et même la journée, quand Vojkan est au bureau, je continue le même processus: j’écoute en boucle ses perles rares. En solo, le nez contre la fenêtre, je voyage autrement. Quand il rentre, je m’empresse de lui raconter qui j’ai écouté pendant ma journée. D’ailleurs cette première semaine à Skopje se résume à écouter les disques de Vojkan, écrire et réfléchir quant à l’avenir. Un genre de break après Mera et Guča.
Et puis j’ai besoin de résoudre cette énigme pour pouvoir me consacrer à la suite des aventures – à l’ici et maintenant. Je sors peu à part dans le quartier. J’ai dégoté une cantine à deux pas et j’aime observer l’animation dans le parc où les mamans sur les bancs forment des grappes autour d’une poussette pendant que les gamins jouent à la trottinette.
Vojkan me fait découvrir aussi la musique traditionnelle macédonienne. Je suis tellement bien tombée, ma parole! Il me montre des vidéos de Dragan Dautovski , de Milan Zavkov qui joue la danse Pembe, équivalent de la Hora (Voir épisode #07). Puis de fil en aiguilles, on tombe sur LE grand groupe de danseurs du pays « l’ensemble Tanec« . Au début, je me dis « c’est pas possible, comment ils font ça? La vidéo est au ralenti !« . Bah pas du tout! Je te laisse découvrir par toi même. Puis on aborde le sujet de la musique tsigane. Ah apparemment en plus d’être le pays de la « queen of the gypsy« , Esma Redzepova, la Macédoine a un autre musicien connu et reconnu qu’on appelle « the king« : Ferus Mustafov. Vojkan me dit que c’est le meilleur musicien « gypsy » du pays. Et il vivrait à Skopje! Il joue d’ailleurs la même chanson Pembe oro et a collaboré avec je ne sais combien de musiciens! Skender Amet en fait partie, un autre grand musicien, accordéoniste. Tiens sur cet album, Ferus est à la trompette. Étonnant car désormais, Ferus joue principalement du saxophone et de la clarinette. J’aimerais bien le rencontrer, tiens! À suivre!
Sur la trace d’Esma Redzepova…
D’ailleurs, avant d’arriver à Skopje, Christian (Voir épisode #15) m’a mis en contact avec deux musiciens vivant ici. Le premier, c’est Simeon Atanasov, un des fils adoptif d’Esma. Il est rom, accordéoniste et travaille avec une des filles adoptives d’Esma: Eleonora, chanteuse. Ah oui, longue histoire! Esma a adopté 47 enfants. En plus d’être la « queen« , elle avait la main sur le cœur. Les mots sont faibles pour décrire cette grande artiste. Je l’admire tellement.
Une voix, une présence, et elle a apporté beaucoup à la communauté rom. Et au monde entier!
J’avais entendu dire qu’elle avait eu l’idée de créer un « musée de la musique et une maison de l’humanité« . Mais quand je me lance dans des recherches, je ne trouve rien. J’apprendrais plus tard que la maison d’Esma a été cambriolée et que le musée n’a jamais vu le jour à cause de conflits familiaux… Vraiment dommage!
Le deuxième musicien sur la liste est Zoran Dzorlev. Violoniste macédonien qui a joué avec Esma.
J’échange avec les deux via Messenger histoire de voir si on peut organiser une rencontre. Simenon leader du « Esma’s band – the next generation » est en ce moment en pleine session d’enregistrement.
Vraiment pas dispo.
En revanche, Zoran est de retour lundi à Skopje et on a prévu de prendre un café ensemble. Il me donne en attendant le contact d’une musicienne rom: Bajsa Arifovska. Je lui écris et nous voilà parties sur une conversation concernant le quartier Rom où j’aimerai me rendre: Shutka.
Cette semaine Bajsa est très occupée mais elle me propose de nous rencontrer la semaine prochaine.
Donc comme tu peux voir, c’est dans le prochain épisode que je vais réellement faire connaissance avec tout ce joyeux monde musical! Zoran, Bajsa, et puis plein d’autres! Ah! et je t’ai pas dit: j’ai choisi de revenir vivre à Paris pour l’après Balkans!
Soulagée d’avoir tranché!
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