« Reconnaître l’étranger! Pas comme un autre différent mais comme une partie de nous-mêmes! » exhorte le chercheur. Il dénonce la facilité de la distinction ou du tri entre migrants économiques et réfugiés politiques, tropismes verbaux et tentations populistes des gouvernements, notamment occidentaux. Il insiste sur la dimension multifactorielle et environnementale des migrations
Faire humanité : c’est pour le chercheur et enseignant en sciences politiques une tout autre façon de poser la question des migrations humaines. Dans l’indifférence générale la Méditerranée est devenue un cimetière et l’incapacité de L’Europe est désespérément criante …
Dire « les migrants, les réfugiés ou les étrangers », c’est une manière par les mots de tenir à distance des femmes et des hommes aux histoires individuelles et de signifier qu’ils ne font pas partie de nous-mêmes. Le grand défi auquel sont confrontées aujourd’hui nos sociétés c’est le défi de faire humanité!
François Gemenne. Argument #4, mars 2017.
Pourtant, il y a des soubresauts qui réveillent momentanément. Le 2 septembre 2015, la photo – disruptive dans le ronron du tout info- d’un enfant sur une plage disait une réalité: la nostrum est aussi un lieu de perdition, une fosse commune. « La crise migratoire » (comme s’il s’agissait d’une crise!) pouvait s’incarner quelques instants dans le flux médiatique.
Aujourd’hui, il en reste ce sous-verre dans l’histoire et le souvenir d’une famille…
Pour ce chercheur, l’Europe n’est « confrontée » qu’à l’arrivée d’une petite partie des individus en rupture d’une terre où vivre. Ensuite et surtout parce que les phénomènes migratoires sont d’origines diverses. Avec Dina Ionesco et Daria Mokhnacheva de l’Organisation internationale pour les migrations, il est l’auteur d’un Atlas des migrations environnementales (Sciences-Po Les Presses), dans lequel ils expliquent pourquoi les migrations sont toujours multifactorielles (dégradations de l’environnement, guerres, pensée économique du monde) et surtout bien trop complexes pour être rangées dans des catégories artificielles qui peuvent servir les phénomènes d’exclusion.
Complexité et interactions des causes migratoires sont deux des mots-clefs de ce quatrième numéro d’Argument #4.
François Gemenne évoque la question peu envisagée par ailleurs des populations piégées par la pauvreté, l’âge ou le manque de connaissances. La mobilité suppose des ressources considérables (savoir se déplacer, argent, réseau). C’est ainsi qu’en 2005, 60 000 personnes sont restées coinçées dans la ville de La Nouvelle-Orléans évacuée en partie avant l’arrivée de l’ouragan Katrina. Elles étaient majoritairement pauvres et noires, vulnérables et défavorisées.
On y trouvera encore des exemples de migrations encouragées (Îles Kiribati), de retours forcés (Fukushima) ou impossibles (Nouvelle-Orléans).
« Catastrophes géophysiques ou météorologiques, hausse du niveau des mers, désertification, dégradation des écosystèmes : chaque année, des millions de personnes quittent leurs terres pour des raisons environnementales. Un phénomène que le changement climatique en cours ne va qu’amplifier.À l’aide de plus de 100 cartes, graphiques et diagrammes et de nombreuses études de cas concrets, cet ouvrage pionnier, coordonné par trois des meilleurs experts des migrations environnementales, dresse un état des lieux inédit et propose des pistes pour répondre à ce grand défi du XXIe siècle.
Car mieux comprendre ces migrations, c’est mettre au jour la manière dont les causes environnementales se mêlent à d’autres facteurs – politiques, socio-économiques, psychologiques – qui poussent les individus à la migration temporaire ou à l’exode. C’est anticiper les mouvements de population et permettre leur accompagnement raisonné. C’est contribuer à l’indispensable adaptation aux conséquences du changement climatique. »
©Atlas des migrations environnementales Dina Ionesco, Daria Mokhnacheva, François Gemenne, Sciences Po Les Presses, 2016.
ARGUMENT est une « leçon » au pupitre d‘une quarantaine de minutes séquencée par de l’image (extraits de films, de documentaires, de reportages, photos, musiques, lectures enregistrées) choisie en accord avec l’invité et qui lui permet d’illustrer et de développer les principaux aspects de ses thèses.
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