« Biennale d’art flamenco »: la liberté dansante de Rocio Molina
Rocio Molina est au travail. Répétition. Moment intime. Iconoclaste, rebelle, et audacieuse, elle abat tous les tabous de cet art ultra-codifié qu’est le flamenco, pour en faire un art pluriel, métis et moderne, une nouvelle idée de la liberté.
Elle nous a accordé une interview à la veille de son spectacle Afectos.
Q: Où trouves-tu ta liberté sur scène? Dans l’improvisation?
Rocio Molina: La liberté dépend de ton état d’esprit. Ma liberté est dans ma manière de penser, dans mon esprit. Je veux être libre, et cette liberté que je cherche, c’est dans ma danse que je la trouve. Peu importe si je danse une pièce très improvisée ou très structurée, ou même si je danse couchée sur le sol, ma liberté est de répondre et de faire ce que me dit mon émotion du moment.
Q: Quel est ton lieu favori pour danser?
RM: Ca m’est égal. Aucun lieu particulier. J’aime danser dans un théâtre, mais aussi dans un tablao, ça me manque, je ne l’ai pas fait depuis trop longtemps, mais j’aime aussi danser dans mon studio, quand j’appelle mes amis pour qu’ils viennent voir mon travail, j’aime même danser dans des espaces publics, comme sur une place par exemple. Quand on aime danser autant que moi tous les lieux sont bons.
RM: D’après ce que j’ai compris et ce qu’on m’a raconté, Carmen Amaya était un monstre de travail. Elle répétait sans cesse, encore et encore, elle n’improvisait rien. Tout était parfaitement réglé et répété. Le flamenco c’est un peu comme le jazz, on a à disposition de notre curiosité une énorme librairie de références.
Q: Mais toi, qui improvises beaucoup, je sais aussi que tu es une travailleuse obsessionnelle, très exigeante.
RM: Oui c’est vrai je bosse beaucoup, mais tout simplement parce que j’adore ça. Pour moi, ce ne sont jamais des répétitions, mais ce sont plutôt des instants de recherche. J’aime dédier tout mon temps à la danse, et dans ce temps, je mets l’écriture, la lecture, le cinéma. Dans mon studio je fais beaucoup d’improvisations. J’aime montrer dans mon travail, cette trace de l’improvisation que j’ai vécu en créant. En fait, ce que j’improvise c’est l’interprétation! Mais je suis capable aussi, de me lancer durant 2 ou 3 heures dans une improvisation absolue, sans avoir la moindre idée de ce qui va se passer dans cet espace de danse. J’ai besoin de ces deux extrêmes.
Q: Tu travailles plus par déduction ou par intuition?
RM: Moi je suis très intuitive, mais c’est vrai qu’une œuvre ne nait pas en un jour d’une seule intuition. Ma manière de créer est aussi très lente. Mais je fais ce long chemin à partir de l’intuition première que j’ai eue. Travailler l’intuition c’est travailler sur le vide, le rien, c’est se tenir au bord d’un précipice. Après il faut laisser les éléments d’une œuvre trouver leur place dans la globalité.
Q: Tu t’imposes un contrôle d’ordre moral sur tes œuvres, as-tu peur de choquer ou le recherches-tu?
RM: Quand je crée une chorégraphie, je ne pense absolument pas à ce que seront les réactions du public. Je ne fais pas de l’art pour le public, je le fais par nécessité, c’est ma recherche. Les limites que je m’impose, c’est moi et seulement moi qui les définit, et mon travail consiste à enlever ces limites. Je ne veux pas de limites, ni dans ma tête, ni dans mon corps. Mais je ne suis pas non plus obsédée par l’innovation; en fait innover ne m’intéresse pas du tout. Ce qui m’intéresse c’est écouter mon corps. Et j’essaie d’être fidèle à ce qu’il me dit.
B: Tu as besoin de danser tous les jours, ou tu peux imaginer la vie sans danse?
RM: Non, je ne m’imagine pas la vie sans danser. Ce serait pour moi le pire des châtiments. Je préférerais mourir. Mais c’est vrai aussi que je peux être sans danser, me nourrir d’autres merveilles, d’un paysage, de la famille… mais au final, tout revient alimenter ma danse, et me ramène à elle.
Q: Dans tes spectacles tu utilises beaucoup la musique mais aussi, tu aimes semble-t-il, jouer avec le silence.
RM: Le silence est une des choses les plus difficiles qui existe pour moi. Si je dois réussir à retrouver le silence, je ne le fais pas au travers d’une mélodie interne, j’essaie d’arriver au vide, et ce chemin est très périlleux, des conflits de corps, d’articulations, de rythmes, de sensations. Le silence, c’est une grande lutte. Mais je ne suis pas une experte du silence. Je lutte c’est tout. Dans le même temps, la musique a beaucoup de pouvoir sur moi.
Q : Que penses-tu des quelques « puristes » qui sortent scandalisés de tes spectacles?
R : Je trouve ça drôle, et nécessaire. Moi, sur scène, je réclame une liberté absolue, et donc je veux que le public puisse avoir la même liberté de penser, de juger, et de s’exprimer. Tu sais y’a des gens qui sortent de mes spectacles furieux parce que je les ai dérangés. Mais une fois qu’ils arrivent chez eux, peut être que ce que j’ai semé dans leur tête, avec le temps, évoluera. Que ce soit en bien ou en mal, j’aime que les gens qui viennent me voir danser soient touchés. C’est important de provoquer des émotions, non?
Q: C’est un jeu?
RM: Ma danse est jeu magique ironique, où d’abord je me moque de moi, et j’aime que ce soit un jeu avec des codes. Il faut maintenir une fraîcheur, une spontanéité.
Paris, 17/11/2017
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