Non mais allô quoi?… Une bergère contre vents et marées… 🐑 #95
La semaine dernière, j’ai été surprise de constater que les vitrines commerciales se paraient de couleurs orange et de squelettes. J’ai fini par percuter: Halloween approchait.
Ce qui m’a grandement étonnée car il me semblait que ce pauvre évènement qui n’a jamais véritablement pris était bel et bien enterré depuis plusieurs années. Et pourtant, en comptant, cela fait près de 25 automnes que cette tentative factice tente une percée. Elle ne s’impose jamais vraiment, mais ça ne disparaît pas non plus. Les commerçants semblaient même s’être lassés de cette obligation pleine de vide, qui ne booste pas spécialement leur ventes et ne sert à rien, sinon à leur occasionner un travail de décoration éphémère (et vulgaire) de leur étalage.
Pourquoi ce regain de vitalité en 2019?
C’est vraiment la question que je me suis posée jeudi soir, après que des grappes d’enfants sont venus frapper chez moi. Muets, ils attendaient que les bonbons pleuvent sur eux. Comme je ne disais rien, l’un, plus courageux, a fini par articuler : « Un bonbon ou on sort! », sans visiblement comprendre le sens de la phrase. Et j’ai répondu : « Désolée, je n’achète pas de nourriture industrielle ». Il restait immobile, comme s’il avait bogué, n’ayant pas plus compris ma réponse que sa propre question. Un petit perroquet maquillé en bleu-blanc-rouge avec son maillot tricolore de de la Coupe du Monde 2018.
Je répétais alors « Je n’ai pas de bonbons à vous donner, je n’ai que des tablettes de chocolat noir équitable à 85% de cacao. Vous aimez cela? »
La maman sortait alors de l’ombre pour protéger ses enfants du danger du chocolat bio. Car il faut préciser que ces enfants n’avaient rien de joyeuses bandes de garnements en roue libre, mais qu’il s’agissait de timorées fratries de 2-3 mômes, poussées par une adulte.
Adulte dont je me demandais comment elle leur avait présenté l’origine de cette fête pour légitimer d’aller emmerder le voisinage une après-midi de pluie glacée et réclamer une débauche de bonbons comme si c’était un dû, à s’en faire péter le bide tout le week-end. Sans fil conducteur, ni référence, ni plus aucune évocation jusqu’à l’année suivante. Le tout auprès de commerçants à qui ils n’achètent jamais rien, ou de voisins à qui ils ne disent jamais bonjour. L’élément déclencheur pour amorcer un petit début de lien social de voisinage? Non plus apparemment, car il ne semble pas y avoir de lendemain à cette quête de connivence.
Le quatrième kilo
J’ai rapidement mis l’école hors de cause: l’Éducation Nationale ne peut pas avoir encouragé cette pratique creuse. Ou si elle en a fait mention, j’ose espérer qu’elle a expliqué El Dia de los Muertos au Mexique, et mis en perspective ce culte de la mort avec l’affluence de chrysanthèmes sur nos trottoirs et nos cimetières. Histoire quand même de faire comprendre le lien entre un potimarron et une chauve-souris. Et pas seulement de laisser penser qu’une fois par an, de manière temporellement symétrique avec le mauvais chocolat de Pâques ensaché en tête de gondole du supermarché, il est normal que des adultes donnent à des enfants inconnus des kilo de bonbecs premier prix, juste parce qu’ils se déguisent et le réclament.
Le mot « kilo » n’est pas exagéré, car à 15h, la coiffeuse déplorait entamer son quatrième kilo de bonbons tout en espérant en avoir suffisamment pour tenir jusqu’au soir. De peur de devoir en refuser à certains et d’hériter d’une mauvaise pub néfaste pour les affaires. Surtout si le salon de coiffure d’en face se révélait plus généreux. Sa vélocité à verser dans leurs sacs en plastique des torrents de Kréma et Tagada pouvait s’énoncer: « Déjà que cette connerie nous coûte du temps, du travail et de l’éthique (gaver des mômes de sirop de glucose, E903 et gélatine de tête de porc élevé hors-sol ne peut faire foncièrement plaisir à aucun adulte) tout en se forçant à sourire, faudrait pas en plus que cela fasse perdre des clients ». Même son effort de déguisement traduisait le rejet de la cause: des pompons en laine orange dans les cheveux et des moustaches de chat dessinées au maquillage sur ses joues. Elle ne s’était pas, elle non plus, intéressée à l’origine des codes visuels de squelettes, sorcières et citrouilles.
L’agacement de la coiffeuse et de la boulangère m’ont permis de ne plus soupçonner les Associations de Commerçants d’être les lobbyistes d’Halloween. J’avoue l’avoir fait un temps, soupçonnés dans leurs efforts pour redynamiser les centres-bourgs et reprendre des parts de marché aux grandes surfaces périphériques. Grâce leur soit rendue: ils subissent apparemment autant que moi ce mauvais moment.
Si ce ne sont pas les commerçants, seraient-ce les producteurs de citrouilles qui tirent les ficelles de l’évènement, afin de booster leurs ventes?
Comme les producteurs sont surtout des maraîchers bios, travaillant en permaculture ou dans des fermes collectives, ils sont a priori loin du profil coupable, malgré leurs dreadlocks de complotistes paranos. Et puis surtout, personne ne fait l’effort de décoration attendu en utilisant de vrais potirons et citrouilles. Le plastique les remplace plus efficacement!
Je suis également tentée de mettre hors de cause les marchands de déguisements, vue l’économie des parents à recycler les costumes, et ne surtout pas investir dans une tenue de sorcière ou de mort-vivant. « Big up » 👍 à robe Reine des Neiges, à laquelle les petites filles sont si attachées que cela leur fait toute leur scolarité. J’en ai compté sept jeudi dernier!
Clin d’œil aux adolescentes sorties du joug d’Elsa et Anna: le 31 octobre semble être leur alibi pour tester leur pouvoir de Lolita en déambulant nuitamment dans des tenues davantage adaptées à un enterrement de vie de jeune fille: short déchiré, cuissardes, culotte sur la tête et bière à la main. Malignes, elles ont sans doute réussi à enfariner les parents en se dessinant une cicatrice pour crédibiliser la thèse Halloween (on a été ado avant elles, on connaît le truc).
Finalement, la palme de la cohérence revient aux garçons trop grands pour rentrer dans leur combi Spiderman. Soldat a constitué leur second choix, avec des tenues camouflages réalistes, composées d’accessoires de chasse de leur père et résidus de tenue commémoratives du D-Day (les commémorations du Débarquement sont une institution en Normandie). Alors certes, nos rues prenaient un air de capitale du Chili avec ces silhouettes militaires très réalistes, mais au final, il n’y a bien qu’elles dont la tenue évoquait le culte de la mort.
Sinon, les recettes de soupe à la courge sont une valeur sûre, et je me permets de signaler qu’elles se relèvent délicieusement avec de la Fourme d’Ambert, du chorizo, du piment d’Espelette ou des chips de parmesan. Histoire que notre inconscient, bombardé de visuels de citrouilles, s’inspire utilement de ces appétissantes évocations oranges.
“Une bergère contre vents et marées”: tous les épisodes
♦ Stéphanie Maubé invitée de l’Emission # 578 (7/03/2019)
♦ Stéphanie Maubé, le film “Jeune Bergère” de Delphine Détrie (sortie: 27/02/2019)♦ Stéphanie Maubé dans l’émission “Les pieds sur terre” – France Culture: (ré)écouter (07/04/2015)
♦ Le portrait de Stéphanie Maubé dans Libération (26/02/2019)
♦ Stéphanie Maubé dans l’émission de France Inter “On va déguster“: (ré)écouter (6 mai 2018)
♦ Le site de Stéphanie Maubé
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