J’ai la chance de recommencer une cuisine à zéro: nouvelle maison, nouvel aménagement… nouvelle relation à cette pièce?

L’historique

Après dix ans passés dans une cuisine parisienne de 2m² (ai-je dit un placard?), la découverte de l’espace vital à la campagne a provoqué un appel d’air! Mon manque de self-control dans les brocantes a fait le reste, et je me suis retrouvée à la tête d’un cheptel de 150 assiettes dépareillées, presque autant de casseroles, cocottes et gamelles pour s’adapter au mouton, lapin, sanglier, chevreuil, bar, mulet, étrilles, araignées de mer, pot-au-feu… que l’on ne manque pas de troquer. Quant aux verres, carafes, tasses et mugs, des lots entiers achetés finissent ébréchés. Ils ne sont jamais remplacés et les survivants ne trouvent donc jamais à s’assortir… Résultat: impossible de servir deux verres de vin de la même contenance.
Ériger le dépareillage en art-de-la-table est joyeux et pratique: entre fleurs anglaises, rayures, petites séries et impressions vintage, chaque ustensile raconte une histoire. Les époques dialoguent, et les convives peuvent choisir leurs couverts. Cette diversité bordélique me paraissait délicieusement bohême, aux antipodes de la mesquinerie individualiste d’une micro-cuisine  parisienne.

 

L’inconvénient… 

… C’est que ce chamarrage finit par piquer les yeux, appesantir la table, voire jurer avec le contenu des plats. Sans compter que l’élégance de certains ustensiles finit étouffée par un jeu d’assiettes certes marrantes, mais ignobles si on les regarde avec objectivité.
Quant à la notion d’espace de stockage, plus il est vaste, plus les quantités de nourriture qui y entrent sont démesurées et dévalorisées. Deux congélateurs permettent-ils vraiment d’apprécier ce petit poisson délicat, ou finit-on par décongeler d’énormes choses inconnues juste parce qu’on ne sait plus
1/ ce que c’est
2/ d’où ça vient
3/ depuis combien de temps ça pompe de l’électricité pour être congelé.
Quant aux fruits et légumes, sous prétexte que les ancêtres élaboraient des granges idéales en terme de température et d’hygrométrie, on stocke des kilos de choux, pommes, coing, courges, pommes de terre… qui finissent perdus, grignotés ou pourris. Avoir ramassé des fruits ou cultivé des légumes pour les jeter au compost est-il une gestion futée? Je dirais que dans le temps imparti par un parent actif à la gestion de son foyer: non ce n’est pas futé ni glorieux.

Dans l’aménagement de la nouvelle cuisine d’une maison où les mètres carrés sont rationnés, j’ai donc été guidée par une certaine sobriété, un besoin de minimalisme.
Je tente le « no placard », me contentant de rayonnages destinés à ne pas cacher ce qu’ils contiennent. Cela suffira-t-il à freiner cette épouvantable manie de stocker des conserves peu alléchantes ou des achats ratés? Qui n’est pas encombré par une trilogie de boîtes de macédoine, bocal de bolognaise premier prix, fruits au sirop, moutarde aromatisée… ces mets médiocre que l’on n’ose jeter? On les laisse millésimer pendant des années, tapis dans l’ombre, dans l’espoir que la découverte de la DLC écoulée nous permettra  enfin de s’en débarrasser en toute bonne foi.
Idem les emballages moches: les garder à vue permettra-t-il d’endiguer leur multiplication? Le choix est fait de repackager leur contenu dans des bocaux épurés en verre. Quel apaisement pour le regard de voir l’avalanche de couleurs criardes (paquets de pâtes, riz, sucre, porridge) se muer en un camaïeu de beige, camel et ivoire? Le défi sera de les maintenir propres, pour ne pas virer vieille sorcière avec ses préparations douteuses qui prennent la poussière depuis des lustres.

 

Dans le genre hygiène peu ragoûtante, le frigo recèle aussi un sacré potentiel! Plus il est grand, plus il se remplit de contenants déjà ouverts. Pourquoi assumons-nous de garder des pots entamés si longtemps? Parce qu’on pense que 4°C conserve éternellement? De toute manière, ce grand élément étant inesthétique, je décide d’en adopter un petit, à hauteur de plan de travail.

Le blanc immaculé

Je mise sur sa contenance restreinte pour engendrer une gestion plus raisonnée des bocaux entamés. Une de mes phobies: les « petits fonds »: qu’y-a-t-il de plus agaçant que trois pots de confitures simultanément ouverts (pendant des semaines) ou un fond de bocal à olives qui se bat en duel avec des cornichons défraîchis? Désormais la terreur règnera: si un aliment souhaite entrer dans le frigo, un autre doit en sortir.
La vaisselle enfin: le blanc n’est-il pas, au fond, la couleur simplement parfaite pour mettre en valeur les aliments et reposer les yeux? A la lumière de cette évidence, je me demande comment j’ai pu me fourvoyer dans les fleurs anglaises et les motifs de Limoges pendant si longtemps.
Mon énorme stock me permet d’isoler 6 assiettes, 6 écuelles et 6 tasses immaculées. Elles sont rejointes par 6 verres à pied et 6 verres à eau Ikea, les modèles les plus classiques, que je pourrai renouveler à l’identique jusqu’à ma mort. Le point commun de toute cette troupe: être sage, voire austère.
Cette équipe repose, en toute sobriété et humilité, sur une étagère en bois. Une vision délicieusement apaisante.

 

♦ Stéphanie Maubé dans l’émission de France Inter « On va déguster« : (ré)écouter (6 mai).

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