Théâtre. « Five Days in March », les non-dits criants de Toshiki Okada

Le metteur en scène japonais ne reprend pas simplement le spectacle qui l’a rendu célèbre dans le monde entier, il en livre quatorze ans après une version plus fouillée interprétée par de nouveaux acteurs. Occasion de constater qu’avec le temps cette parenthèse sexuelle traitée sur un mode ironique délicieusement distancié et suggestif n’a rien perdu de son acuité.
Le metteur en scène japonais ne reprend pas simplement le spectacle qui l’a rendu célèbre dans le monde entier, il en livre quatorze ans après une version plus fouillée interprétée par de nouveaux acteurs. Occasion de constater qu’avec le temps cette parenthèse sexuelle traitée sur un mode ironique délicieusement distancié et suggestif n’a rien perdu de son acuité.
Foisonnement de découvertes japonaises
Pas la peine de se rendre à Tokyo ou à Osaka, cet automne l’amateur d’art nippon a amplement de quoi satisfaire sa curiosité sans quitter les bords de la Seine avec une multiplicité jusqu’ici inégalée d’œuvres et de spectacles de danse ou de théâtre japonais, visibles en ce moment à Paris et en région parisienne.
Ainsi on pouvait récemment découvrir au Théâtre de Gennevilliers The Dark Master et Avidya – L’Auberge de l’obscurité, deux créations d’une fantaisie poétique effrénée pimentée d’humour du dramaturge et metteur en scène Kurô Tanino. Autre spectacle présenté à Gennevilliers, Un fils formidable signé Shû Matsui révélait un univers échevelé non moins insolite et souvent hilarant représentatif d’une jeune génération nippone particulièrement inspirée.
Dans ce foisonnement de découvertes riche en surprises, il est d’autant plus intéressant de retrouver un auteur désormais familier du public français avec la reprise par Toshiki Okada de son premier spectacle présenté à Gennevilliers en 2007, Five Days in March. En réalité il ne s’agit pas tant d’une reprise, que d’une recréation. La pièce d’Okada date de 2004. Elle se situe dans le contexte de l’intervention américaine en Irak un an plus tôt, en mars 2003.
Five Days in March est son premier spectacle à avoir tourné en dehors du Japon. C’est curieusement à la suite d’un séjour en Chine que Toshiki Okada, pour qui cette pièce semblait désormais appartenir au passé, a eu envie d’en donner une version nouvelle. À Pékin, il été profondément frappé par l’omniprésence d’une jeunesse partout dans les rues qui n’a pas d’équivalent au Japon. C’est donc d’abord pour ces jeunes Chinois qu’il a voulu recréer ce spectacle avec une nouvelle génération d’acteurs dont le plus jeune est né en 1997.
Ainsi on pouvait récemment découvrir au Théâtre de Gennevilliers The Dark Master et Avidya – L’Auberge de l’obscurité, deux créations d’une fantaisie poétique effrénée pimentée d’humour du dramaturge et metteur en scène Kurô Tanino. Autre spectacle présenté à Gennevilliers, Un fils formidable signé Shû Matsui révélait un univers échevelé non moins insolite et souvent hilarant représentatif d’une jeune génération nippone particulièrement inspirée.
Dans ce foisonnement de découvertes riche en surprises, il est d’autant plus intéressant de retrouver un auteur désormais familier du public français avec la reprise par Toshiki Okada de son premier spectacle présenté à Gennevilliers en 2007, Five Days in March. En réalité il ne s’agit pas tant d’une reprise, que d’une recréation. La pièce d’Okada date de 2004. Elle se situe dans le contexte de l’intervention américaine en Irak un an plus tôt, en mars 2003.
Five Days in March est son premier spectacle à avoir tourné en dehors du Japon. C’est curieusement à la suite d’un séjour en Chine que Toshiki Okada, pour qui cette pièce semblait désormais appartenir au passé, a eu envie d’en donner une version nouvelle. À Pékin, il été profondément frappé par l’omniprésence d’une jeunesse partout dans les rues qui n’a pas d’équivalent au Japon. C’est donc d’abord pour ces jeunes Chinois qu’il a voulu recréer ce spectacle avec une nouvelle génération d’acteurs dont le plus jeune est né en 1997.
Ritournelle
Précisons d’emblée que cette nouvelle version, loin d’être anecdotique, approfondit des aspects de la pièce qui étaient seulement suggérés voire pas du tout abordés dans le texte de 2004. Toujours présente, la gestuelle décalée des comédiens, marque de fabrique du théâtre d’Okada, surprend moins bien sûr. On retrouve en revanche le même sentiment d’étrangeté éprouvé par les personnages face à un univers qui leur est pourtant familier.
Au cœur de l’intrigue, si l’on peut se permettre cette expression quelque peu exagérée en l’occurrence, il y a la relation fortuite entre deux jeunes gens qui après avoir fait l’amour pendant deux jours dans un hôtel se retrouvent soudain dans la rue. Ils ne se connaissent pas, ils viennent tout juste de se rencontrer et leur relation n’est pas destinée à durer. Ils sont sortis parce qu’ils avaient faim et aussi parce qu’ils étaient à cours de préservatifs.
Un aspect essentiel du spectacle tient à la façon dont les faits sont racontés de deux points de vue, celui du jeune homme et celui de la jeune femme en suivant le mouvement d’une ritournelle incessamment reprise tout en étant enrichie de variations. Plusieurs temporalités se superposent sur le plateau: on est à la fois avant, en même temps et après. Comme si tout avait déjà eu lieu et ne cessait de se rejouer. Sans oublier le fait que les acteurs parlent parfois d’eux-mêmes à la troisième personne – et surtout que ce soient différents acteurs qui assument le récit.
Le plus central dans cette affaire, c’est l’étonnement. Il y a l’étonnement de se retrouver en pleine rue un peu hagard dans un quartier qu’ils connaissent déjà mais qu’ils ont l’impression de découvrir comme s’ils le voyaient pour la première fois. Comme s’ils avaient été transportés ailleurs sur une autre planète, pense la jeune femme – son rêve secret est d’aller sur Mars. Il y a aussi l’étonnement face à leur capacité visiblement inépuisable à faire l’amour.
Au cœur de l’intrigue, si l’on peut se permettre cette expression quelque peu exagérée en l’occurrence, il y a la relation fortuite entre deux jeunes gens qui après avoir fait l’amour pendant deux jours dans un hôtel se retrouvent soudain dans la rue. Ils ne se connaissent pas, ils viennent tout juste de se rencontrer et leur relation n’est pas destinée à durer. Ils sont sortis parce qu’ils avaient faim et aussi parce qu’ils étaient à cours de préservatifs.
Un aspect essentiel du spectacle tient à la façon dont les faits sont racontés de deux points de vue, celui du jeune homme et celui de la jeune femme en suivant le mouvement d’une ritournelle incessamment reprise tout en étant enrichie de variations. Plusieurs temporalités se superposent sur le plateau: on est à la fois avant, en même temps et après. Comme si tout avait déjà eu lieu et ne cessait de se rejouer. Sans oublier le fait que les acteurs parlent parfois d’eux-mêmes à la troisième personne – et surtout que ce soient différents acteurs qui assument le récit.
Le plus central dans cette affaire, c’est l’étonnement. Il y a l’étonnement de se retrouver en pleine rue un peu hagard dans un quartier qu’ils connaissent déjà mais qu’ils ont l’impression de découvrir comme s’ils le voyaient pour la première fois. Comme s’ils avaient été transportés ailleurs sur une autre planète, pense la jeune femme – son rêve secret est d’aller sur Mars. Il y a aussi l’étonnement face à leur capacité visiblement inépuisable à faire l’amour.

Préservatifs à la douzaine
Côté spectateur en revanche, l’étonnement viendrait plutôt du mode prosaïque, et du coup carrément comique, dont tout cela est traité. Une fois sortis ils achètent trois douzaines de préservatifs. Ils n’en utiliseront finalement que les deux tiers – ce qui est déjà pas mal, comme le remarque la jeune femme à la fin du spectacle.
Tout à leur frénésie, ils ont quand même décidé en cours de route de se fixer une limite: leur relation ne devra pas excéder cinq jours. Pour le spectateur leur réaction vis-à-vis de ce qu’ils ont vécu a quelque chose de déconcertant. Comme un paradoxe, une dissonance lovée au cœur même de toute cette histoire illustrée par la façon maladroite dont ils évoquent après coup ces instants exceptionnels sans en mesurer vraiment la portée. On ressent chez eux une incapacité à dire. L’expérience qu’ils viennent de vivre les dépasse. Cela explique sans doute pourquoi ils s’expriment avec des mots d’une banalité ahurissante.
Toshiki Okada touche là un point extrêmement sensible auquel correspond la nécessaire mise à distance de la dimension érotique de l’affaire. À croire que cet aspect pourtant essentiel relève pour ceux qui l’ont vécu de l’ordre du non-dit absolu. On se trouve à cet égard aux antipodes d’un film comme L’Empire de sens de Nagisha Oshima, dans lequel, outre le fait que les scènes soient explicites, il s’agit au contraire pour les deux amants d’aller jusqu’au bout.
Impossible non plus de ne pas penser au Human Bed In de John Lennon et Yoko Ono dans les années 1970. Performance où il s’agissait pour le couple filmé en direct de rester au lit pendant vingt-quatre heures en protestation contre la guerre au Vietnam. « Faites l’amour pas la guerre », clamait un slogan célèbre à l’époque.
Sans savoir si Okada avait en tête ces deux exemples en travaillant à sa pièce, une chose en revanche est certaine, c’est son choix délibéré d’exposer la situation sous l’angle du quotidien le plus ordinaire. Au point que les deux protagonistes apparaîtraient presque comme désespérément raisonnables, même dans l’excès.
Tout à leur frénésie, ils ont quand même décidé en cours de route de se fixer une limite: leur relation ne devra pas excéder cinq jours. Pour le spectateur leur réaction vis-à-vis de ce qu’ils ont vécu a quelque chose de déconcertant. Comme un paradoxe, une dissonance lovée au cœur même de toute cette histoire illustrée par la façon maladroite dont ils évoquent après coup ces instants exceptionnels sans en mesurer vraiment la portée. On ressent chez eux une incapacité à dire. L’expérience qu’ils viennent de vivre les dépasse. Cela explique sans doute pourquoi ils s’expriment avec des mots d’une banalité ahurissante.
Toshiki Okada touche là un point extrêmement sensible auquel correspond la nécessaire mise à distance de la dimension érotique de l’affaire. À croire que cet aspect pourtant essentiel relève pour ceux qui l’ont vécu de l’ordre du non-dit absolu. On se trouve à cet égard aux antipodes d’un film comme L’Empire de sens de Nagisha Oshima, dans lequel, outre le fait que les scènes soient explicites, il s’agit au contraire pour les deux amants d’aller jusqu’au bout.
Impossible non plus de ne pas penser au Human Bed In de John Lennon et Yoko Ono dans les années 1970. Performance où il s’agissait pour le couple filmé en direct de rester au lit pendant vingt-quatre heures en protestation contre la guerre au Vietnam. « Faites l’amour pas la guerre », clamait un slogan célèbre à l’époque.
Sans savoir si Okada avait en tête ces deux exemples en travaillant à sa pièce, une chose en revanche est certaine, c’est son choix délibéré d’exposer la situation sous l’angle du quotidien le plus ordinaire. Au point que les deux protagonistes apparaîtraient presque comme désespérément raisonnables, même dans l’excès.
Love and peace
Enfin l’autre aspect important de la pièce – d’où la référence possible à John Lennon et Yoko Ono – , c’est la manifestation contre l’intervention américaine en Irak qui a lieu au moment où les protagonistes sortent après avoir fait l’amour pendant deux jours. Les revendications des manifestants ne les concernent pas. Ils éprouvent seulement un besoin urgent de manger quelque chose pour reprendre des forces et de faire le plein de préservatifs.
Curieusement cela ne les empêche pas d’imaginer qu’au bout de cinq jours quand ils quitteront l’hôtel la guerre aura pris fin, comme s’il existait une symétrie entre ce qui leur arrive et la présence des troupes de la coalition en Irak.
En évoquant cette parenthèse au sein du quotidien avec ce qu’elle suppose de besoin d’évasion, de rupture avec une vie trop monotone, Toshiki Okada prend soin de se maintenir au plus près d’un discours tellement factuel en apparence qu’il en paraîtrait presque décevant. Or c’est justement en s’en tenant volontairement à des détails ordinaires purement pratiques se rapportant au quotidien le plus banal qu’il en révèle les failles avec d’autant plus de force.
Quand le couple se quitte devant un distributeur automatique de billets – l’homme doit retirer de l’argent pour rembourser l’argent que la femme a dû avancer pour payer leur repas et les préservatifs –, cette réalité triviale, tellement secondaire à nos yeux, n’en devient que plus significative au regard de l’intensité criante de ce qu’ils viennent de vivre. C’est ainsi qu’une note faussement naturaliste suffit par contraste à suggérer tout ce qui n’a pas été dit
Du grand art.
Curieusement cela ne les empêche pas d’imaginer qu’au bout de cinq jours quand ils quitteront l’hôtel la guerre aura pris fin, comme s’il existait une symétrie entre ce qui leur arrive et la présence des troupes de la coalition en Irak.
En évoquant cette parenthèse au sein du quotidien avec ce qu’elle suppose de besoin d’évasion, de rupture avec une vie trop monotone, Toshiki Okada prend soin de se maintenir au plus près d’un discours tellement factuel en apparence qu’il en paraîtrait presque décevant. Or c’est justement en s’en tenant volontairement à des détails ordinaires purement pratiques se rapportant au quotidien le plus banal qu’il en révèle les failles avec d’autant plus de force.
Quand le couple se quitte devant un distributeur automatique de billets – l’homme doit retirer de l’argent pour rembourser l’argent que la femme a dû avancer pour payer leur repas et les préservatifs –, cette réalité triviale, tellement secondaire à nos yeux, n’en devient que plus significative au regard de l’intensité criante de ce qu’ils viennent de vivre. C’est ainsi qu’une note faussement naturaliste suffit par contraste à suggérer tout ce qui n’a pas été dit
Du grand art.
Five Days in March, de et par Toshiki Okada
- du 17 au 20 octobre au Centre Pompidou, Paris. Dans le cadre du festival d’Automne à Paris
avec Chieko Asakura, Riki Ishikura, Yuri Itabashi, Ayaka Shibutani, Ayaka Nakama, Leon Kou Yonekawa, Manami Watanabe
Et aussi:
Pratthana – A Portrait of Possession, de et par Toshiki Okada
- du 13 au 16 décembre au Centre Pompidou, Paris. Dans le cadre du festival d’Automne à Paris
Wareware No Moromoro (Nos histoires…)de et par Hideto Iwaï
- du 22 novembre au 3 décembre au Théâtre de Gennevilliers, Gennevilliers (92). Dans le cadre du festival d’Automne à Paris
► nous écrire, s’abonner à la newsletter: desmotsdeminuit@francetv.fr
► La page facebook desmotsdeminuit.fr Abonnez-vous pour être alerté de toutes les nouvelles publications.