Apocalypse now? Le guide de survie. Stéphanie Maubé, une bergère contre vents et marées » #82
L’expression « fin du monde » sonne délicieusement désuète. Il est désormais plus moderne de parler de collapsologie mais le concept est identique. Pour y survivre dans les meilleures conditions possibles, je vous propose ci-après un guide pratique!
Collapsologie: n.f. néologisme Etude de l’effondrement de la civilisation industrielle et de ce qui pourrait lui succéder.
Apocalypse maintenant? Personne ne s’accorde sur la date mais les éminents scientifiques de ce monde convergent vers les prévisions suivantes: dérèglement climatique, montée du niveau de la mer, migration des populations, inégalités d’accès à l’eau potable, à une alimentation saine et à un air respirable, disparition du modèle agricole actuel, fin du pétrole, décroissance.
Certains évoquent le délai d’une décennie avant le cataclysme, d’autres parlent d’un siècle de dégringolade industrielle. Ce qui semble certain, c’est que mieux on s’y préparera, mieux on le vivra, nous et notre descendance jusqu’à la septième génération.
Je n’ai pas la compétence d’un climatologue, d’un prévisionniste ou d’un sociologue, ni l’imagination visionnaire de Barjavel ou d’Orwell. Mon pedigree est celui d’une ex-citadine manucurée ayant appris à survivre dans la campagne normande. Comme ce milieu n’est pas le plus hostile qui soit, c’est une bonne base pour une approche de la collapsologie niveau débutant. Après dix ans d’immersion rurale, je sais couper du bois, tuer une volaille à l’opinel, faire pipi dehors et reconnaître les champignons (et aussi plein d’autres trucs). Ce qui me permet de hiérarchiser les étapes à suivre afin de préparer les citadins les plus hors-sol à devenir des warriors débrouillards et accomplis:
1 / Digérer la nouvelle
Et faire le deuil de vos vieux jours insouciants. Ainsi que de votre confort quotidien. C’est le préalable à toutes les étapes suivantes. Il va falloir tout remettre en cause: besoins matériels, système de valeurs, mode d’alimentation, relation aux autres. Et surtout les certitudes qui vous façonnent depuis l’enfance: avoir un diplôme et un bon métier, se laver les mains avant de manger, ouvrir un robinet pour trouver de l’eau ou de la nourriture dans le frigo, jeter des objets qui peuvent encore servir.
2 / Définir votre zone de repli
Rester dans les villes va se révéler un mauvais plan pour plusieurs raisons: elles vont être prises d’assaut par les migrants climatiques, être le théâtre d’émeutes sociales, l’air y sera irrespirable et la ressource alimentaire rare, probablement soumise au marché noir. Les épidémies et pillages y feront les plus gros ravages.
Puisque votre survie dépendra de votre aptitude à l’autonomie, je vous conseille d’élire refuge dans un spot d’avenir. C’est-à-dire non submersible par la montée des océans, mais pas non plus soumis aux vagues stériles de sécheresse. Si vous lisez Normandie Magazine, leur n°1 expliquait comment la Normandie et la Bretagne constituent des refuges climatiques idéaux. Fraîcheur, climat océanique, eau douce et végétation évolutive.
Ma suggestion: y investir au plus vite dans une bicoque ou une vieille grange, entourée de quelques hectares de marais, dont l’humidité assurera une terre fertile et giboyante, même en année sèche et sans irrigation artificielle.
3 / Se former pour construire votre arche de Noé
Acquérir des compétences dès maintenant est essentiel! Ce n’est pas lors de votre exode vers le refuge normand, votre matelas sur la tête et votre lardon sous le bras, qu’il faudra vous demander où trouver une formation en permaculture ou en construction d’éolienne. Ce sont des compétences longues à acquérir, qui nécessitent temps et entraînement avant de se révéler optimales.
Ma recommandation: copinez avec des bracos afin d’acquérir leur technique (misez sur le tir à l’arc ou les pièges au collet plutôt que la carabine). Consacrez dès maintenant vos vacances au wwoofing chez des maraîchers puristes, qui travaillent sans tracteurs et produisent leurs semences clandestines.Une bergère contre vents et marées #82 44
4 / Constituer une tribu utile
Dans la jungle, survivre seul est illusoire. Au moins pour une raison: on ne maîtrise pas toutes les compétences. Si vous acquérez celle d’avoir un toit protecteur grâce à votre formation de charpentier et celle de maçon de votre conjoint(e) avec qui vous avez retapé la grange pendant 4 étés, vous pourrez accueillir une nana qui a un don avec les animaux. Sa capacité à élever quelques chèvres sans aucun moyen, pour fournir des protéines lactées au groupe, sera bien utile. De son côté, son mari n’est pas doté de compétence vraiment évidente (un geek hypocondriaque est plutôt un boulet quand on prend le maquis) mais ne ferait-il pas un bon herboriste en cultivant le carré de plantes médicinales qui remplacera la pharmacie quotidienne? Ou en se spécialisant dans le processus de fermentation des aliments pour les conserver?
Le profil incontournable sera celui du bûcheron: il vous faut impérativement intégrer un gros dur capable de fendre des troncs pendant des heures et se battre à mort avec la tribu voisine quand elle tentera de piller vos carcasses de lapins mises à faisander pour l’hiver prochain.Une bergère contre vents et marées #82 55
On voit bien la pertinence de s’entourer de compétences concrètes plutôt que de bouches inutiles. Si vous craignez d’être le maillon faible, formez-vous à un savoir-faire inattendu que vous pourrez monnayer en temps voulu: sage-femme, arracheur de dent, sourcier, tanneur de peau, fabrication de cordage en végétaux, etc.
Enfin, faites suivre à vos enfants un apprentissage plus intéressant pour leur survie que Danse jazz ou solfège. Inscrivez-les aux scouts pour qu’ils apprennent à reconnaître les empreintes sauvages davantage que celles des Pokémon et les cris d’animaux plutôt que la musique de Fornite.
5 / S’inspirer des autres sociétés
Si le cataclysme survient de manière soudaine (tsunami, faille tectonique, incendie généralisé, éruption volcanique, inondation, épidémie), la violence du choc sera autant un frein pour établir un équilibre relationnel au sein du groupe de survivants. D’autant que le modèle sociétal à inventer n’est pas le même si l’on se retrouve à dix, cent ou mille individus.
Pour être paré à toutes les éventualités, étudier les microsociétés qui ont émaillé notre civilisation sera un avantage. Reconnaître le modèle le plus adapté permettra de gagner du temps et organiser les individus en hiérarchie, sous-groupe ou répartition de compétence. L’occasion de réviser ses classiques: les bases de la démocratie, le patriarcat, le référendum citoyen, le totalitarisme sectaire, les luttes intestines, les kolkhozes, la gouvernance collective, etc.
Le mot d’ordre: réinventer l’organisation sociale, mais suivre opportunément le leader le plus à même de garantir que vous aurez à manger l’hiver prochain.
6 / Remplir des bas de laine
En d’autres termes: stockez!
De la nourriture? Evidemment, autant de conserves que vous pouvez, enterrées dans les fondations de votre grange. Avec du sel à gogo, pour conserver vos futurs aliments. Et des semences végétales rustiques pour cultiver votre potager dès le premier printemps post-apocalyptique. Mais surtout des outils: couteaux, haches, ciseaux, marteaux, scies, faucilles, fourche… Si cela a sa place dans un musée des vieux métiers, c’est qu’il vous le faut pour survivre à la chute de la société industrielle!U
Stockez aussi des consommables qui semblent anodins mais manqueront cruellement: vieux journaux (emballage d’aliment et papier toilette du futur), allume-feux pour barbecue, protections hygiéniques (la pollution par le plastique sera à peu près le cadet de nos soucis quand nous n’aurons plus de lessive, de baignoire ou d’eau chaude) et brosses à dents.
Des milliers de brosse à dent.
7 / Se préparer physiquement
Certaines sensations seront tellement nouvelles qu’il est difficile de les anticiper, comme avoir faim, mal aux dents ou une fracture mal rafistolée.
Mais nous pouvons faire évoluer certains de nos rituels afin d’être bien habitués le jour où il faudra s’en affranchir. Je pense à l’hygiène car même avec beaucoup de savons stockés sous la grange, la tribu ne tiendra pas d’ici à ce qu’elle redécouvre l’extraction de l’huile d’olive et le principe de saponification (tiens, en voilà une compétence à fort potentiel d’intégration lorsque la collectivité sera désespérée de puer!).
Dans un moindre registre, s’habituer à la repousse de ses cheveux blancs, à la peau sèche ou aux aisselles poilues peut convaincre dès à présent les partisanes de la beauté naturaliste.
On peut citer la contraception comme challenge technique à résoudre en l’absence de pilule. On se contentera de compter les jours sur un calendrier ou d’utiliser en préservatif en boyau de mouton (oh, je crois avoir trouvé ma compétence dans la société du futur!). En même temps, y’aura-t-il un intérêt à réguler les naissances? Il faudra repeupler la Terre, nous aurons besoin de la jeunesse pour faire tourner la société renaissante, et de bras accueillants pour réchauffer nos nuits d’hiver quand le préposé au bois de chauffage aura été occis par la tribu voisine.
Amis et amies, nous ignorons quand sera franchi le point de non-retour, mais que ce soit notre génération ou la suivante qui vive cette rupture civilisationnelle, tenons-nous prêts! Soyons rustiques et sauvages, préparons-nous à vivre sans foi ni loi ni crème de rasage. Bâtissons huttes écolos, yourtes nomades et cabanes perchées. Armons-nous des outils de nos aïeux, d’huile de coude et de bon sens humaniste. Faisons fi de l’industrialisation autodestructrice qui nous a façonnés, libérons notre force vitale et notre animale humanité!
Film Vie Sauvage (Cédric Kahn 2014)Apocalypse now? Le guide de survie.
► « Une bergère contre vents et marées »: tous les épisodes
♦ Stéphanie Maubé invitée de l’Emission # 578 (7/03/2019)
♦ Stéphanie Maubé, le film « Jeune Bergère » de Delphine Détrie (sortie: 27/02/2019)♦ Stéphanie Maubé dans l’émission « Les pieds sur terre » – France Culture: (ré)écouter (07/04/2015)♦ Le portrait de Stéphanie Maubé dans Libération (26/02/2019)
♦ Stéphanie Maubé dans l’émission de France Inter « On va déguster« : (ré)écouter (6 mai 2018)
♦ Le site de Stéphanie Maubé
► desmotsdeminuit@francetv.fr
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