Ce truc vert qui recommence à pousser est la clé de notre avenir. Sous son apparente simplicité, ce brin d’herbe est une ressource géniale, durable, intemporelle et inépuisable. Mais comme tout ce qui est gratuit, collectif et facteur d’autonomie alimentaire, il est menacé.
Avec cette cellulose, le ruminant fabrique muscles et protéines, et il ne nous reste qu’à le faire griller pour avoir à notre disposition des molécules nutritives!
Le système est donc fantastique, puisqu’il permet à l’humain de valoriser des éléments qui ne sont pas consommables par son espèce. Nous nous nourrissons indirectement de végétaux de montagne, landes, pampa, sous-bois, bush, broussaille du désert… le genre de mets qui ne nous fait pas spontanément saliver.
On liste tous les autres avantages?
Je vais parler comme une flemmarde mais je suis partisane de la théorie du moindre effort. Les plantes sauvages poussent toutes seules, pas besoin de se fatiguer à les semer ou à les biner, elles se sont implantées en respectant naturellement le principe des associations de culture (et tout cela avant la création du Rustica du Potager, du calendrier biodynamique ou des mandala d’aromates!
Le ruminant les récolte en autonomie puisqu’il les broute, sans demander à l’éleveur de les lui couper ni servir dans une assiette. Au-delà de la production de protéines, ce système génère de l’énergie de traction (cheval, âne ou bœuf attelé) et différentes manières premières nobles et recyclables (laine, cuir, peau, corne).
Sans compter la gestion raisonnée des déchets: l’herbivore épluche et trie lui-même dans sa panse, et rejette sous forme de compost la matière organique inutilisée, fertilisant lui-même sa pâture pour que les meilleures herbes repoussent. Ce faisant, il crée la base d’une nouvelle chaine alimentaire riche: la bestiole coprophage qui se jette avec appétit sur sa bouse génère une famille nombreuse qui fera le repas d’un volatile, qui lui-même – paix à son âme – finira dans l’estomac d’un petit carnivore ou d’un charognard. Toutes ces braves créatures, outre se manger les unes les autres, alignent une liste impressionnante de « services rendus » à la collectivité, gratuitement.
S’il fallait déclarer et rémunérer le lombric qui aère le sol, le hérisson qui gobe les parasites, le bourdon qui pollinise, le renard qui fait l’équarisseur, la chauve-souris qui joue la bombe anti-insectes etc… ça créerait de l’emploi certes, mais celui induirait une privatisation du cycle de la nature et beaucoup, beaucoup, de pollution indirecte.
Ah tiens, ce serait le système agricole moderne en fait! Celui qui rase tout – haie, talus, fossés et mares -, nivelle des centaines d’hectares bien plats, les implante en monoculture et installe un parc d’éoliennes dessus pour faire durable. Puis apporte chaque saison un arsenal de machines et produits à épandre (qu’il finance en s’endettant) pour se substituer aux ruminants, chauve-souris et plantes malignes… persuadé que sa technicité est davantage productive que la paysannerie d’antan. Sauf que c’est le contraire: une telle surface produirait DAVANTAGE si on acceptait qu’elle produise des denrées et des services diversifiés. Plutôt que des betteraves ou des céréales. Tout cela sous perfusion illimitée de pétrole (transport des matières premières et des intrants, consommation du machinisme surdimensionné, construction de bâtiments de stockage, bétonnage de plateformes logistiques, etc.)
Mais mon discours ne consiste pas à prôner l’abandon des cultures et l’ensauvagement des territoires au profit de la cueillette! L’agriculture est le socle d’une civilisation, elle a permis à chaque société de faire un bond dans son évolution physique et intellectuelle.
Tout est une question de modulation de choix techniques et de hiérarchisation d’objectifs agricoles.
Si l’objectif n°1 de la France consiste à exporter des céréales dans toute l’Europe pour justifier que nous sommes le pays le plus aidé par la Politique Agricole Commune, alors nous sommes cohérents. Les autres pays cotisent pour subventionner l’agriculture française qui, en leur vendant des céréales moins chères, car aidées, les empêche de produire rentablement les leurs.
Mais si l’objectif d’un pays est l’indépendance alimentaire, la consommation de proximité, le maintien de paysages diversifiés et d’un environnement sain, la création d’emplois locaux accessibles et peu qualifiés, et la réduction des émissions de carbone, alors il faut se pencher sur notre système d’élevage. On peut optimiser son fonctionnement tel que décrit plus haut, avec des ruminants pâturant les zones sauvages, naturelles et gratuites, qui relèvent du bien collectif.
On peut aussi radicaliser les élevages intensifs (c’est probablement ce qui va se passer en parallèle) avec du bétail toujours plus hors-sol, nourri toujours plus artificiellement, toujours plus soutenu médicalement pour équilibrer les défaillances sanitaires induites par ces fermes-usines. Mais comme ce modèle-là est très angoissant, je vais croiser les doigts pour que le dérèglement climatique joue en faveur du bon sens paysan, que le soja OGM devienne très cher et que le maïs à ensiler entame une ligne de recul dans le bocage qu’il a envahi… « I have a dream »?
Revenons à nos moutons
C’est le printemps, et l’herbe recommence à jaillir spontanément du sol. Selon les climatologies et les biotopes, elle va pousser en continu, comme ici en Normandie où elle se lance dans 7 mois de croissance ininterrompue. Dans d’autres zones, il faudra être plus technique: profiter des pousses plus brèves du printemps et de l’automne pour y mener les animaux, tout en faisant des réserves pour les affourager en période de froid ou de sécheresse estivale.
Le bétail sort des étables où il a passé l’hiver et redevient autonome: l’éleveur n’a plus besoin de lui servir eau, foin et céréales sur un plateau. Les nouveau-nés découvrent la joie de cette fée verte, du zéphir et des insectes taquins, tandis que les matrones s’en mettent ras-la-goule afin de retrouver leurs formes arrondies et produire un lait plus riche.
Émerveillons-nous de la magie pop et chlorophyllée de ces jeunes touffes qui poussent à qui mieux-mieux dans chaque recoin jouissant d’un rayon de lumière. Réjouissons-nous que les ressources qui font pousser l’herbe ne soient pas (encore) privatisées ni brevetées. Que le soleil et la pluie soient gratuits !
Élever du bétail en le nourrissant de végétation de prairies ou de parcours naturel est un véritable acte militant (c’est la bergère qui parle, après avoir constaté que ce discours heurte dans les instances agricoles). Chaque famille ne peut pas élever son propre veau dans le parc municipal de sa commune, mais n’en déplaise à l’idéologie végane, consommer des animaux nourris à l’herbe fait avancer la cause de la biodiversité et de l’indépendance alimentaire. Et donc notre avenir à tous.
♦ Stéphanie Maubé invitée de l’Emission # 578 (7/03/2019)
♦ Stéphanie Maubé, le film « Jeune Bergère » de Delphine Détrie (sortie: 27/02/2019)
♦ Stéphanie Maubé dans l’émission de France Inter « On va déguster« : (ré)écouter (6 mai 2018)
♦ Le site de Stéphanie Maubé
► desmotsdeminuit@francetv.fr
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