Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #131 Un père désemparé face aux microbes
Le récit d’un homme, à la fois victime des « microbes » et terrifié qu’un de ces fils en devienne un.
Ce matin, Issaka se lance dans une histoire assez confuse. Les Ivoiriens peuvent facilement se laisser entraîner par leur récit et redire les mêmes faits en boucle; je finis par démêler ses propos et comprends son désarroi.
Issaka me raconte alors que son fils de 17 ans a déjà redoublé deux fois, qu’il vient d’avoir un accident de moto. Il a été blessé et une passante a eu le pied brisé. Issaka a déjà payé 100 000 F (presque une fois et demi le SMIG ivoirien, soit plus ou moins 150 €) pour couvrir les frais de cette infortunée victime. Le propriétaire de la moto qui avait envoyé le fils d’Issaka faire une course n’est pas assuré.
Le désarroi d’Issaka n’est pas de devoir payer cette forte somme. Il est pour son fils. Issaka, craint que celui-ci, au contraire de ses autres enfants sérieux à l’école, ne devienne un « microbe*. Les « microbes » (voir ce reportage d’Arte) ce sont ces jeunes voyous qui sévissent depuis plusieurs années dans la capitale. Régulièrement, les journaux racontent leurs turpitudes et l’exaspération croissante des habitants à leur encontre. Qui sont ces jeunes gens, ces gamins? Les réponses varient: enfants des rues orphelins ou « enfants sorciers » – mais ils sont bien moins nombreux ici que dans les deux Congo (voir Nomad’s Land # 78) – jeunes désœuvrés faute d’accès à des formations ou à du travail, ou enfants de fratries trop nombreuses que les parents ne peuvent élever correctement.
Selon Issaka, ces jeunes sont victimes des trafiquants de drogue qui leur offrent des cigarettes trafiquées. Il me raconte les lieux de consommation où les policiers (là, il énumère tous les services en civil ou en uniforme) viennent prélever quotidiennement leur dîme et où de gros dealers, souvent des étrangers, s’enrichissent effrontément et Issaka craint pour la vie de son fils. Il sait que la population est fatiguée d’agressions qui peuvent être violentes. Les « microbes » qui l’ont menacé ont seulement plaqué leur lame sur son dos, mais ils n’hésitent pas à blesser. En septembre, le quartier de Yopougon s’est enflammé suite à une sale histoire où, selon les versions que j’ai entendues, un policier cherchant à protéger un couple agressé s’est fait égorger: tous les jeunes qui traînaient, même l’apprenti chauffeur d’un minibus, se sont fait battre et l’un a fini lynché. Il sait aussi que les « Nordistes » sont accusés par les « Sudistes » – j’ai pu le constater dans un commentaire haineux d’un Internaute. Issaka est burkinabé, donc « nordiste » dans un Abidjan « sudiste ». Très sudiste.
Alors, il a décidé d’envoyer son fils dans un village du Nord, en formation dans un internat.
Il est triste.
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