Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula 133: L’état désemparé devant les microbes
Paula avait narré le désarroi d’un père craignant à la fois les « microbes » et le risque que son fils en deviennent un. Après avoir assisté a une conférence sur le sujet, Paula ressent presque le même désarroi.
Sa solution a donc été l’exfiltration.
Aujourd’hui, j’étais invitée à une conférence pour « Mieux comprendre le phénomène des enfants dits microbes pour y apporter une réponse efficiente ». J’y suis allée, curieuse de connaître les réponses de l’état et des acteurs impliqués, avec plusieurs questions en tête.
Une amie, lorsque je lui racontais les malheurs d’Issaka, s’est fâchée lorsque j’ai dit « microbes ». Selon cette sociologue qui a travaillé sur le sujet, l’état ivoirien se sert de l’appellation comme d’un fourre-tout et, pire encore, considère que tous les mineurs en « conflit avec la loi » (terminologie officielle), et même les gamins des rues, doivent être traités pareillement: envoyés dans des centres en rase campagne, éduqués par des militaires et des animateurs qui seraient peu formés à composer avec des jeunes au lourd passif de violence.
Une autre de mes questions est plus administrative et porte sur la collaboration ou son absence entre les ministères en charge de ces « microbes ». S’ils sont en conflit avec la loi, ils relèvent de la justice; alors suivent-ils les procédures judiciaires? Dans ce ce cas, pourquoi ne vont-ils pas dans un centre de rétention pour mineurs. Toujours selon cette amie, il y aurait une concurrence entre les ministères de la justice et de la famille, à qui l’UNICEF a confié la prise en charge des « microbes ». Pour une fois que ce ministère dispose d’un vrai budget, il ne souhaite pas le concéder à la justice.
Entrant dans la salle, je suis surprise par le public venu en nombre. S’y trouvent des représentants de ministères, de la police, d’ONG, des universitaires, beaucoup d’étudiants, de journalistes, des travailleurs sociaux et même une vingtaine d’enfants des rues. Visiblement, le sujet passionne. Il faut dire que ces gamins sont un danger pour eux-mêmes et pour la population et la presse abidjanaise en fait un peu ses choux gras, entretenant une certaine confusion sur qui sont vraiment ces « microbes ».
Il faudra l’excellent documentaire du Professeur Francis Akindes, un sociologue réputé, et une heure de débat pour que je sache enfin qui sont ces enfants que l’autorité traités de « microbes » par l’autorité – notez que l’appellation est officiellement interdite – et pourquoi tous les mineurs « en confit avec la loi » n’en sont pas. Ils agissent en bande, agressent à l’arme blanche et sont le plus souvent complètement shootés. Donc ils ne doivent pas être confondus avec les enfants en situation de rue; d’ailleurs, l’un d’entre eux dans la salle prendra vigoureusement la parole pour demander à ne pas être raflés et envoyés comme les « microbes » dans des centres isolés, loin de leur territoires de (sur)vie.
Un des gamins du documentaire explique qu’il a dû quitter l’école lorsque son père, ayant pris sa retraire, n’a plus eu les moyens de payer sa scolarité. Je sursaute un peu lorsqu’il précise la profession du père: médecin dans un CHU d’Abidjan. Voilà qui balaie magistralement le cliché d’enfants de familles peu éduquées et impuissantes à élever convenablement leurs enfants. In petto, au fléau des familles nombreuses, j’ajoute celui des familles de géniteurs bien trop âgés. Je dis in petto car je suis lasse de m’insurger sans relâche contre la natalité trop élevée dans ce pays. C’est culturel, je ne peux pas comprendre. Ni dans les débats, ni dans les questions du public, cet aspect ne sera évoqué: on parlera de familles qui s’entassent dans des logements petits et insalubres poussant ainsi les enfants dans la rue; on évoquera les lacunes de l’État à remplir ses obligations en matière de droits économiques, sociaux et culturels. Mais dans ce quartier d’ Abobo, le quartier dont sont originaires un grand nombre des « microbes », la bien trop vigoureuse natalité est un cauchemar pour les planificateurs. J’ai perdu les chiffres que nous avait donnés un ami sur cette galopade démographique, qu’il nous avait traduit en nombre d’écoles supplémentaires à construire chaque année, et qui m’avait laissée sans voix.
[La suite au prochain numéro – peut–être].
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