Les Carnets d’ailleurs de Marco et Paula# 98 : Ah si Paula pouvait…

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Ah! Si je pouvais, j’aimerais parler d’autre chose.

Par exemple, je pourrais m’épancher sur une affiche grand format aperçue sur un boulevard, vantant des serviettes hygiéniques. Si je connais des femmes, plutôt des jeunes et plutôt des occidentales, qui ont adopté les coupelles pour réduire la quantité de déchets que leur usage des protections périodiques génèrent, je connais en revanche des femmes, ici, qui aimeraient pouvoir s’offrir ces serviettes peu écologiques plutôt que de jongler avec des morceaux de tissus ou de ouate. Alors pourquoi ne pas promouvoir auprès de ces dernières la coupelle, bien moins chère à l’usage et écologiquement correcte? Pourrait-on imaginer qu’elle l’adoptent directement en renonçant à l’étape cellulose? Après tout, certaines innovations ont inondé les marchés africains en permettant des raccourcis technologiques. Par exemple, en Côte d’Ivoire, le taux de pénétration des téléphones fixes n’a jamais dépassé les 3% alors que celui de la téléphonie mobile est passé de 10% à 106% entre 2004 et 2014.
 
Pour passer du coq à l’âne, je pourrais parler de mon émerveillement intellectuel (eh oui, je revendique d’être parfois émerveillée) en découvrant le site d’analyses statistiques d’une université canadienne (Sherbrooke) qui abrite entre autres, les indices de développement humain dont j’ai tiré mes données téléphoniques. Je pourrais jouer des heures avec toutes ces variables et partir dans des interprétations souvent farfelues mais jubilatoires en dépit de ma pente naturelle vers le cynisme

 

 

Humour funéraire… 

 

Ou je pourrais raconter ma surprise à l’écoute d’une radio très locale: pendant bien 30 secondes, une voix égraine une liste de noms et de titres en commençant par ceux du président Ouattara, en musardant du cote des hadj, et en nous offrant comme bouquet final un éventail quasi exhaustif des noms de famille ivoiriens, le mot « famille » revenant comme une ponctuation dans cette litanie. Je me demande qui est le prestigieux défunt et pense à un ministre, un élu, un professeur, un artiste, un développeur. Et bien pas du tout ! le défunt est un « employé du port d’Abidjan », à priori un jeune puisqu’il est fils, neveu, oncle mais pas père. Soit il s’agissait du mouton noir d’une grosse famille, péniblement casé sous la tutelle d’un oncle ou cousin, soit travailler au port est définitivement source de richesse et de prestige. Marco le sarcastique me souffle que les deux explications sont nécessairement liées.
 
Ou bien encore, je pourrais vous narrer comment certaines administrations ou grandes sociétés de services ivoiriennes ont mis en place des systèmes abscons de numérotations pour organiser les files d’attentes. Par exemple Côte d’Ivoire Telecom – récemment devenu Orange, comme c’est étrange – où  j’ai passé quelques moments ce matin. Après avoir attendu sous un « apatam » (un abris), glissant sur mon banc de quatre rangs à chaque fournée admise dans l’antre du bâtiment, j’ai enfin été admise dans le sanctuaire. Là, un agent m’a remis un ticket après s’être enquis de ma démarche. Ce ticket numéroté 3009 m’informait que j’étais dans une ligne prioritaire et que deux personnes me précédaient. Au bout de 20 mn d’attente, jetant par moment des regards dubitatifs au panneau d’affichage qui appelait les tickets 2500 puis 0036 mais rien de proche de 3009, je finis par retourner à l’accueil. J’allais être appelée. Pas de soucis. Par moment, une voix répétait le numéro appelé et enjoignait chacun de bien lire son ticket. Je n’étais pas la seule à  trouver la numérotation bizarre.  

 

Je pourrais …. Mais non ! Nomadisme oblige, je vais une fois de plus vous parler du déménagement qui nous a pris 10 jours pour ne migrer que de 500 m. Notre superbe technique de mise en carton aurait dû nous permettre de boucler l’affaire en deux jours. Dans nos rêves! Le déménagement que nous avions planifié était fort simple: nous quittions notre appartement du Plateau pour aller habiter dans la maison d’un ami qui ne venait qu’épisodiquement à Abidjan. C’était sans compter sur le dernier remaniement ministériel ivoirien qui a rebattu quelques cartes, dont celles de notre ami, et remit cette carte maison dans le sabot alors que nous la pensions bien en main. Le bail de notre appartement ayant échu, et son prix de location ayant soudainement doublé, nous avons décampé dans la maison de notre ami, le temps de nous trouver un nouveau point de chute.
 
Débusquer un nouvel appartement nous a pris la semaine. Depuis trois jours, nous sommes installés. Comme à chaque fois, il nous faut lister les « choses à revoir », à fixer, à décrasser, jongler avec l’existant et l’inexistant et enseigner à notre cerveau où se trouvent les interrupteurs.
 
Pendant ce temps, le pays retrouve son calme et chacun sa place: les militaires dans leurs casernes, les fonctionnaires dans leurs administrations, les écoliers à l’école et les oubliés dans les rues.
 
 Tout Nomad’s land.

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