Paula erre, lance à la main et heaume de travers sur la tête, de provinces découpées dans lesquelles plus personne ne se retrouve, en exploitations agricoles recoupées qui produiraient plus de diamants que de maïs. A la fin, hallucinée semble-t-il, elle entend un député proférer: « Ces créatures perfides sèmeront une propagande néocoloniale dans l’espoir de soutirer de l’argent à des hommes riches »
Mon organisation projette d’ouvrir un projet dans le Bandundu. Aussi je reste aux aguets pour tout ce qui concerne cette province. Je devrais dire ancienne province, puisque le découpage administratif de juillet 2015 l’a scindée en trois. En France, nous avons regroupé nos régions, ici, ils les morcellent. Les mauvaises langues parlent de découpage électoral (une pratique probablement universelle) mais l’échelle du pays et la faiblesse du réseau routier motive la création de provinces moins étendues. L’ex-province du Bandundu faisait tout de même près de 395 000 km2 (un peu moins que le Royaume Uni, un peu plus que l’Italie)…
Ainsi Bandundu-ville et Kikwit, les deux villes importante de la nouvelle province du Kwilu, sont séparées de 400 km. Des collègues en mission exploratoire* devaient prendre un vol entre ces deux villes qui sont la cible projetée de nos activités. Le vol fut annulé sans préavis. Le prochain vol n’étant programmé que cinq jours plus tard, ils durent prendre des bus, soit une quinzaine d’heures de voyage et une escale nocturne. Monsieur et madame tout le monde résidant à Kikwit, poumon économique de la province, doivent donc voyager plus de 24h pour effectuer leurs démarches dans la capitale administrative. Mieux vaut ne pas oublier un formulaire.
Ce découpage constituerait donc bien une réforme visant à améliorer les relations entre l’état et les citoyens. Sceptiques ou pas, ces mêmes citoyens sont perdus; depuis le découpage, ils ne savent plus où ils sont nés. Même leurs enfants scolarisés ne le savent pas me disent certains. Quelques futés l’ont bien compris car depuis peu, les vendeurs de rue proposent aux conducteurs bloqués dans l’embouteillage, des cartes détaillées des provinces en banal format A4 noir & blanc.
Donc, ce matin-là, la radio narre le licenciement de 140 personnes au parc industriel de Bukanga Lonzo. Un lien, aussitôt démenti par la directrice générale, est évoqué avec une récente grève déclenchée par des travailleurs pour revendiquer la signature de contrats stables, après plus d’une année de travail comme journaliers. Ils dénonçaient également le fait que l’eau potable soit réservée au personnel expatrié. De suite, j’imagine quelques employés blancs bedonnants faisant laver à grand jet leur voiture ou leur chien par des « pauv’gars » tout noirs condamnés à boire l’eau des marigots. Les clichés ont la vie dure même pour les nomades de longue date, réaliserai-je un peu plus tard quand mes collègues m’apprennent que ce centre agropastoral est dirigé par des Africains du sud, peut-être même pour le compte de Jacob Zuma. Je descends de mon fier destrier, replie ma bannière des Black Panthers lubumbistes et remets ma tenue d’exploratrice des turpitudes universelles.
Car j’apprends d’un ex-employé de Bukanga-Lonzo des détails savoureux. Ce centre agro-pastoral de 70 000 ha est – sur le papier – un projet agricole, avec, pour commencer, la culture du maïs sur 10 000 ha. En réalité, seuls 4 000 ha seraient cultivés, le reste de la surface étant exploitée pour ses diamants, le centre achetant même du maïs pour faire croire qu’il en produit. Mon informateur me dit avoir vu là-bas d’ailleurs le seul et unique diamant qu’il ait jamais vu de sa vie.
Pour ne pas raconter de malversations gratuites, j’explore Internet. Depuis, je suis en pleine confusion: ce centre serait congolais, ce centre serait sud-africain, ce centre serait congolais exploité par une firme sud-africaine. Ce centre serait une vraie opportunité pour la RDC; ce centre serait un véritable scandale.
Je m’embrouille dans mes étendards, mon destrier est fatigué. Les moulins à vent me cernent.
Je me suis plongée récemment dans La guerre du foot et autres guerres et aventures de Ryszard Kapuscinski. J’ai trouvé particulièrement savoureux un récit portant sur les débats du Parlement de Tanganyika à propos des pensions alimentaires. C’est de haute volée; je ne résiste pas :
Le député P. Mbogo a exprimé l’idée que la loi sur les pensions alimentaires entraînerait une augmentation générale de la prostitution dans le pays. «Les jeunes filles voudront avoir le plus d’enfants possible afin de se payer des produits de beauté. Ces jeunes filles seront comme des pays en voie de développement: elles feront l’objet d’investissements.» [Un autre élu déclare que cette loi] crée «un danger particulier pour les personnes riches, comme par exemple les députés du Parlement, car les jeunes filles enceintes pourront prétendre que les pères de ces enfants naturels sont des ministres du gouvernement ou des députés du Parlement.» Ces créatures perfides[…] sèmeront une propagande néocoloniale dans l’espoir de soutirer de l’argent à des hommes riches. Quand ceux-ci les invitent à monter dans leur voiture, elles n’ont qu’à refuser. Si elles ne sont pas capables de maitriser leur instinct, alors je leur dis «mariez-vous au plus vite ! …»
Ryszard Kapuscinski.
Cela se passe en 1963 et pourtant, je pourrais l’entendre demain, ici et ailleurs.