Milos Forman et son « Amadeus » 🎥 au cœur du mystère Mozart. #09

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Cette semaine d’avril 2018, le cinéaste Milos Forman s’est éteint à l’âge de 86 ans.

Créér …

Je me souviens encore, 24 ans plus tard, de l’émotion ressentie à la sortie du film de Milos Forman, Amadeus. J’étais amoureux de Mozart avant, et je crois que je le fus après ce film davantage encore, comme si, cette œuvre cinématographique avait changé, en l’enrichissant, ma vision du génie et mon appréciation de son œuvre. Cette semaine, alors que le cinéaste américain d’origine tchécoslovaque mourrait, j’ai voulu revoir Amadeus, pour tenter de retrouver, et peut être de comprendre, ce qui m’avait tant ému dans cette œuvre, malgré l’absence de crédibilité du scénario, le jeu « hollywoodien » des acteurs, et le drame tout à coup bankable du musicien salzbourgeois. Deux heures plus tard, j’ai dû constater que j’avais été touché profondément par un film, somme toute, médiocre et surjoué. Alors pourquoi? Pourquoi cet émerveillement et ce chavirement? Qu’est-ce qui dans ce film enthousiasma tant le musicien que j’étais alors? Avec ce frais visionage, j’ai tout de suite trouvé le point de fascination, le trou noir qui m’avait troublé. Amadeus donne à voir, et ce même si cela est de la fiction (comment pourrait-t-il en être autrement?) le génial Mozart en train de composer. On voit ce qu’on ne voit jamais, un génie au travail, et n’est-ce pas là le fantasme suprême de tout fan, et son territoire interdit, impossible quoiqu’il tente? Si Clouzeau nous montra Picasso dans le bouillonnement fou de son travail, rares sont les cinéastes ou documentaristes qui ont réussi à filmer de près le processus de création d’un grand artiste. Alors il y a la fiction, et ce film, où est représenté, ou plutôt mis en scène, le moment de l’écriture avec Mozart dans sa solitude fertile. Forman, comprenant que là était le cœur du mystère Mozart, a donc filmé un fantasme et un rêve impossible, et ce faisant, il a réussi son film. Voilà pourquoi Amadeus me bouleversa tant, car comme pour toutes les œuvres qui comptent, ce film montre un mystère sans le solutionner. Vous vous souvenez? Le mystère de la composition dans le genre « artiste maudit ». Qu’importe le réel, pourvu qu’on ait l’ivresse.

À toute vitesse … et Heidegger en prime

Quand on s’intéresse de près au processus créatif de Mozart, une constante fascine et intrigue tout d’abord: L’incroyable rapidité de composition de l’artiste, des pages écrites plus vite que la pensée, comme s’il ne composait pas mais copiait. Je devais avoir 16, 17 ans quand, pour mieux comprendre, j’ai essayé de recopier intégralement l’ouverture de Don Giovanni à la même vitesse que celui-ci la composa, c’est-à-dire en une nuit, pas plus. A six heures du matin, les doigts crispés, le dos en bouillie et les yeux rouges, j’ai jeté l’éponge. Il me manquait 11 pages. Alors que je n’avais qu’à recopier, Mozart avait été plus rapide que moi, et dans le même temps qu’avait coûté ma fastidieuse copie, il avait écrit l’un des plus grands chefs-d’œuvre de l’histoire de la musique. Comment ce prodige était-il possible? 
J’ai conservé de cette petite expérience humiliante, une question lancinante. Comment Mozart pouvait réussir à coucher toute la musique qu’il avait dans la tête sans jamais ralentir ni douter, sans une rature? 

Dans sa très fournie correspondance, Mozart n’évoque jamais sa manière d’écrire, ni sa technique, ni ses trucs ou ses habitudes. Mozart n’a évité, en 30 ans de correspondance, aucun sujet sauf celui-là.

Pourtant, il existerait bien quelques lignes, où enfin Mozart parlerait de ses secrets de fabrication. Le texte qui suit est extrait d’une lettre que Wolfgang Amadeus aurait écrit au musicologue et librettiste Johan Friedrich Rochlitz. Les spécialistes n’ont jamais réussi à se mettre d’accord sur l’authencité de ces mots, et même si Rochlitz assurait les tenir d’une confidence de son ami Mozart, rien n’est sûr. Mais, pour percer le cœur du mystère Mozart c’est une pièce intéressante, voire très troublante. Il semble impossible que Rochlitz ait inventé entièrement cette très surprenante explication. Ces quelques lignes ne cessent de m’intriguer, bien plus encore que les images de l’Amadeus de Forman. Est-ce là le cœur du mystère Mozart? 

Tout cela allume mon âme, et à condition que je ne sois pas dérangé, mon sujet s’élargit, se monte méthodiquement et se définit, et le tout, quoique long, est presque achevé et complet dans mon esprit, pour que je puisse l’examiner comme une belle image ou une belle statue, en un coup d’œil. Je n’entends pas non plus dans mon imagination les parties successivement, mais je les entends, pour ainsi dire, tout à la fois …

À ce texte, répond, en un éclairage puissant et subtil cette phrase du philosophe Heidegger:

La faculté de composer un morceau entier était presque achevé dans sa tête de sorte que Mozart pouvait ensuite, d’un seul regard, le voir en esprit comme un beau tableau ou une belle sculpture.

 Que ce soit Heidegger ou Johan Friedrich Rochlitz, le concept de composition évoqué est le même. Mozart entendrait intérieurement ses œuvres comme un bloc résonnant, sans chronologie temporelle, sans défilement. Une couleur globale qui résume et contient toute la composition qui bientôt s’écrira. Comme si toutes notes de l’œuvre sonnaient en même temps. La musique sans le Temps! 
Je vous laisse avec ce mystère qui depuis trente ans me résiste, et vous abandonne en compagnie de ce bijoux Mozartien, la lumineuse sérénade en si bémol majeur K361, qui malgré sa beauté, ne dit rien du mystère créatif de Mozart, et c’est peut-être tant mieux.

 La collection Musicàlier 

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