Ainsi donc, la rubrique défroquée d’un musicien! Comme une bulle de champagne, un moment d’improvisation, un lâcher à peine contrôlé. C’est une série qui parle de musiques et de musiciens. « Musicàlier » fait résonner, dans tous les sens du mot et va voir ce qui se cache derrière les notes et les soupirs. Jamais totalement sérieuse: manquerait plus que ça!
Cinquante ans après mes premiers cours de solfège, je sais qu’on ne devient pas musicien si on ne l’est pas profondément, physiquement, sensiblement, spirituellement. Voilà c’est dit! C’est désagréable comme constatation mais c’est ainsi. La distribution des dons est, à la naissance, chiche et injuste. « Faut faire avec », et accepter que tout ne s’apprenne pas.
Mais pas de panique, quand on n’est pas ce genre, inné et naturel, de musicien (c’est mon cas), il reste le solfège, la plus efficace des béquilles pour avancer sur le chemin de la musique.
Un temps de béquilles
Être obligé de compter, parce qu’on ne ressent pas physiquement dans son plexus la pulsation naturelle de la musique pourrait être un handicap insurmontable à l’heure de jouer d’un instrument, mais depuis le Moyen-Âge, grâce au solfège et à ses lois mathématiques et géométriques, froides et rigoureuses, on peut réussir, après beaucoup de travail bien sûr, à devenir un excellent instrumentiste. Je connais même beaucoup de ces excellents instrumentistes qui ne sont pas musiciens, et ils ont tout mon respect car je connais leur drame et j’entends leurs limites. Mais le solfège les a sauvés.
Dans l’Inde du VIème siècle, il se raconte que les apprentis musiciens devaient d’abord commencer par apprendre à respirer puis à danser. Cela me paraît être un choix pédagogique bien plus logique et productif. Bien plus en lien avec le plaisir de la musique. Mais l’Europe chrétienne a longtemps été en délicatesse avec la sensualité, pénible histoire d’incompréhensions et de rejets, de contrôles et de peurs. Passons!
Dans l’Inde du VIème siècle, il se raconte que les apprentis musiciens devaient d’abord commencer par apprendre à respirer puis à danser. Cela me paraît être un choix pédagogique bien plus logique et productif. Bien plus en lien avec le plaisir de la musique. Mais l’Europe chrétienne a longtemps été en délicatesse avec la sensualité, pénible histoire d’incompréhensions et de rejets, de contrôles et de peurs. Passons!
Un maître de fer
Aujourd’hui, dans les conservatoires, le terme solfège, (mot construit à partir de la note SOL et de la note FA), a heureusement été remplacé par le terme formation musicale. Plus ouvert, plus doux aussi. Autrefois, avant l’étude de la musique, il y a avait l’étude du solfège, vécue comme un pensum aigre mais inévitable par tout enfant désireux de découvrir la joie de la musique. Le plaisir de jouer tardait tant à venir, que cela en dégoûta plus d’un.
Alors, sur les bancs de la classe de solfège, on comptait et on comptait encore en faisant des gestes mécaniques du bras et ce bien avant de ressentir quelque plaisir que ce soit. Cette stupide loi d’airain a heureusement fait son temps. Tant mieux ! Mais jadis…
Sans une certaine maitrise du solfège nous n’étions tout simplement pas autorisés à faire de la musique, ni même à nous approcher des instruments. Non négociable!
Sans une certaine maitrise du solfège nous n’étions tout simplement pas autorisés à faire de la musique, ni même à nous approcher des instruments. Non négociable!
Je n’ai pas oublié cet austère professeur de saxophone qui m’assena du haut de sa chaire sa terrible vérité, lors du premier cours de musique de ma vie. Je devais avoir huit ou neuf ans: « D’abord tu vas faire comme tout le monde. Deux ans de solfège, et après, si ça va, tu seras autorisé à faire de la musique. » Pour moi qui rêvais de souffler dans un instrument, cette loi incompréhensible fut traumatique. Ce professeur d’alors, si je me souviens bien, avait cru bon d’ajouter pour moi cette autre injonction tout aussi énigmatique que la première:
« Tu pourras faire de la musique quand tu sauras en faire, mon p’tit! » Circulez. Un deux!
Mais très vite, derrière ces mots impérieux du maître, l’enfant que j’étais en a déduit d’autres petites questions très intrigantes qui mirent longtemps à trouver chez moi des réponses: s’il peut y avoir du solfège sans musique, il doit bien y avoir quelque part de la musique sans solfège?!? Mais où est-elle, et qui sont ses interprètes? J’imaginais alors la réponse à cette énigme comme une promesse de liberté, aussi attirante qu’un interdit, aussi intimidante qu’un tabou.
« Tu pourras faire de la musique quand tu sauras en faire, mon p’tit! » Circulez. Un deux!
Mais très vite, derrière ces mots impérieux du maître, l’enfant que j’étais en a déduit d’autres petites questions très intrigantes qui mirent longtemps à trouver chez moi des réponses: s’il peut y avoir du solfège sans musique, il doit bien y avoir quelque part de la musique sans solfège?!? Mais où est-elle, et qui sont ses interprètes? J’imaginais alors la réponse à cette énigme comme une promesse de liberté, aussi attirante qu’un interdit, aussi intimidante qu’un tabou.
Une discipline de monastère
Et j’ai donc fait, forcé par ma mère et par ce professeur, mes deux ans obligatoires de solfège avant de pouvoir enfin souffler dans un instrument. Deux ans durant, l’idée de plaisir fut totalement absente de mon apprentissage. Plus d’un en fut découragé.
J’ai longtemps cru que le solfège était LA loi de la musique et son unique porte d’entrée, alors qu’elle n’était qu’UNE loi et une porte d’entrée parmi d’autres. Un tissu de conventions purement européennes et blanches. Une loi venant de froids monastères moyenâgeux permettant de répandre la foi en la musique aux quatre coins du monde sans exiger des participants des qualité auditives et rythmique parfaites, ce qui aurait limité drastiquement le nombre des ouailles.
Si le moine Guido d’Arezzo inventa le solfège, ce fut dans le but de permettre aux autres moines de sa congrégation, par forcément musiciens, de faire quand même de la musique. Autrement dit: Le solfège fût pensé comme un moyen de faire de la musique sans être nécessairement musicien. Voilà donc quelle fut la première fonction du solfège.
J’ai longtemps cru que le solfège était LA loi de la musique et son unique porte d’entrée, alors qu’elle n’était qu’UNE loi et une porte d’entrée parmi d’autres. Un tissu de conventions purement européennes et blanches. Une loi venant de froids monastères moyenâgeux permettant de répandre la foi en la musique aux quatre coins du monde sans exiger des participants des qualité auditives et rythmique parfaites, ce qui aurait limité drastiquement le nombre des ouailles.
Si le moine Guido d’Arezzo inventa le solfège, ce fut dans le but de permettre aux autres moines de sa congrégation, par forcément musiciens, de faire quand même de la musique. Autrement dit: Le solfège fût pensé comme un moyen de faire de la musique sans être nécessairement musicien. Voilà donc quelle fut la première fonction du solfège.
Mieux vaut târ
Jusqu’à l’âge de vingt ans, comme handicapé des oreilles, je n’ai pas su faire de la musique sans une partition devant moi. Improviser me semblait relever du blasphème et de la plaisanterie. Un plaisir d’illettré. Pensée prétentieuse héritée de mon éducation dans les conservatoires, où l’on nous enseignait que s’il y avait une grande musique, cela sous-entendait qu’il y en avait de petites.
Je me souviens qu’un jour – je ne devais même pas avoir vingt ans – j’eus l’idée d’amener un ami iranien, extraordinaire joueur de târ, à un concert symphonique à la Salle Pleyel. Il vécut à mes côtés deux heures de plaisir et de surprise et sortit enthousiaste du spectacle. Mais alors que nous regagnions le métro il me confia en deux questions tout son étonnement de musicien extra-européen et savant.
« – Ils font quoi les musiciens de l’orchestre quand ils ne jouent pas? Ils ont l’air occupés ailleurs.
– Ben ils comptent les mesures…pour savoir quand ils doivent entrer.
– Ils comptent ?!?… Mais ils n’entendent pas le moment où ils doivent jouer…«
J’ai aussitôt changé de sujet. Lui aussi.
« – Ça t’a plu ?
– Oh oui ! Et ces instrumentistes sont formidables. C’est incroyable ce qu’ils arrivent à faire. Ils peuvent lire un papier qu’on leur a mis devant le nez tout en faisant de la musique. Et on dirait que ça ne les gêne pas. »
Je me souviens encore de mon rire, moi le musicien occidental qui se croyait savant. Un rire bêta, un rire mal à l’aise, le rire de quelqu’un qui ne comprend pas ce qu’on lui dit. Il m’en a fallu du temps pour entendre ce qu’il me disait. Et pour le comprendre, encore plus.
Je me souviens qu’un jour – je ne devais même pas avoir vingt ans – j’eus l’idée d’amener un ami iranien, extraordinaire joueur de târ, à un concert symphonique à la Salle Pleyel. Il vécut à mes côtés deux heures de plaisir et de surprise et sortit enthousiaste du spectacle. Mais alors que nous regagnions le métro il me confia en deux questions tout son étonnement de musicien extra-européen et savant.
« – Ils font quoi les musiciens de l’orchestre quand ils ne jouent pas? Ils ont l’air occupés ailleurs.
– Ben ils comptent les mesures…pour savoir quand ils doivent entrer.
– Ils comptent ?!?… Mais ils n’entendent pas le moment où ils doivent jouer…«
J’ai aussitôt changé de sujet. Lui aussi.
« – Ça t’a plu ?
– Oh oui ! Et ces instrumentistes sont formidables. C’est incroyable ce qu’ils arrivent à faire. Ils peuvent lire un papier qu’on leur a mis devant le nez tout en faisant de la musique. Et on dirait que ça ne les gêne pas. »
Je me souviens encore de mon rire, moi le musicien occidental qui se croyait savant. Un rire bêta, un rire mal à l’aise, le rire de quelqu’un qui ne comprend pas ce qu’on lui dit. Il m’en a fallu du temps pour entendre ce qu’il me disait. Et pour le comprendre, encore plus.
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