La bergère DMDM #43: Bergère contre chasseurs?
Traversant un désaccord avec la « Fédération des Chasseurs », je découvre que leur énervement les mène à tous les clichés sexistes. C’est ballot! Parce que la chasse tient une place positive dans la ruralité. En revanche, il serait peut-être judicieux de dépasser un fonctionnement de « patriarcat autoritaire » …
Tout a commencé cet automne, quand j’ai dénoncé la mauvaise gestion d’un site naturel sur lequel je faisais pâturer mes brebis. J’expose cela dans l’épisode 31 de ce feuilleton, un texte un peu sinistre mais la réalité de l’éco-pâturage est aussi faite d’erreurs humaines et administratives. Les incompétences de gestion ont abouti à une forme de maltraitance animale: inhabituelle mortalité des moutons, abattage des vaches sur ordre préfectoral, bétail en liberté sur les routes, etc. (un bilan lourd pour des animaux de ferme alors que nous sommes censés être dans une réserve écologique!)
En tant qu’éleveuse, je l’ai vécu comme un échec et j’ai retiré mon troupeau. En tant que citoyenne, les dérives auxquelles j’ai assisté pendant sept ans me semblaient évitables et nécessitaient d’être signalées. Les habitants sont très attachés aux prés-salés, ce Domaine Public Maritime qui est notre patrimoine collectif. Ils ne comprennent pas pourquoi cette réserve ornithologique est dénuée d’oiseaux mais envahie de ronciers, est coûteuse en subventions publiques mais privatisée.
L’info que je n’ai pas délivrée, c’est que ces prés-salés sont gérés par la Fédération des Chasseurs de la Manche. Commencer par les citer me semblait manquer d’élégance car cela aurait généré une opposition caricaturale entre « des vilains chasseurs sanguinaires » et une « gentille bergère qui aime les animaux », ce qui aurait nuit à la nuance de mon propos.
Car leur mauvaise gestion n’est pas liée à l’activité de chasse. Tout d’abord, les fédérations ne font pas l’unanimité auprès des usagers de la chasse, mais sont d’incontournables interlocuteurs. Elles répercutent les règlements imposés par le Ministère et ont donc souvent le mauvais rôle quand elles doivent faire appliquer des décisions peu populaires, comme la réduction des dates d’ouverture, ou l’attribution des quotas de chasse en fonction de l’évolution des populations sauvages. En gros, quand les chevreuils pullulent au point de se faire écraser sur les routes, il est autorisé d’en tuer davantage. Idem quand les sangliers ou les lapins sont si nombreux qu’ils sortent du bois, ravagent les cultures ou propagent des maladies. Certains animaux sont parfois déplacés pour repeupler d’autres zones d’où ils avaient disparu. Certains, dits « nuisibles », nécessitent d’être régulés car ils provoquent des dégâts coûteux pour les collectivités (comme les étourneaux ou les ragondins). Ces missions de piégeages sont souvent coordonnées avec les chasseurs. Bref, dans la gestion d’un territoire rural, la chasse joue un rôle nécessaire.
Il y sûrement des dérapages ponctuels, mais la proportion de vulgarité ou de cruauté n’est pas plus élevée que dans d’autres activités de loisirs. J’ai découvert une approche de la chasse beaucoup plus technique et respectueuse que le cliché qui circule. Qu’il s’agisse de chasser le canard (dans les gabions), le lapin grâce à un furet muni d’un grelot, la perdrix après les récoltes de maïs ou encore d’une battue au renard. Il y a dans l’activité cynégétique une dimension populaire qui dépasse les différences sociales, et dont le ciment est la convivialité au grand air. Miam miam! Manger des tripes brûlantes au lever du jour avant d’aller fouler les broussailles pleines de rosée! Notre sang retrouve ses réflexes d’homme préhistorique prêt à en découdre avec un mammouth! Je ne suis pas attirée par la mise à mort (même si j’ai appris à le faire à l’arme blanche) mais je comprends ce recours adrénaline originelle, que je développe d’une autre manière dans la relation avec mon troupeau.
Renouer avec nos gestes primitifs est si rare qu’il me semble salutaire de pratiquer l’une des activités ancestrales qui a permis à l’humanité de se nourrir: chasse, pêche, cueillette, potager ou petit élevage. Mettre les mains dans la terre ou dans un animal relève de la même nécessité de vivre la nature qui nous entoure. Sans oublier la dimension gastronomique de cuisiner du gibier saisonnier dont on connaît la provenance. Ce qui nous rappelle qu’un volatile est doté de plumes et d’organes mystérieux, et ne se réduit pas à deux magrets dans une barquette en polystyrène avec DLC.
J’ajoute aussi que la popularité de la chasse est liée à la liberté d’arpenter le territoire et à sa gratuité (les cartes et adhésions sont très peu onéreuses), ce qui en fait une passion accessible. Les agriculteurs s’y impliquent en allouant le droit de chasser sur leurs terres et la relation est vertueuse. On partage une certaine approche d’un terroir vivant qu’il ne faut surtout pas mettre sous cloche. Les chasseurs que je croise autour de ma bergerie sont des jeunes mecs bien élevés, qui bossent et ont besoin de leur dose de sensations nature. Ils passent parfois la nuit à la belle étoile sans tirer une seule fois, mais sont incollables sur les espèces qu’ils ont vu passer, les saisons, le vent, la botanique.
Il faut les considérer, au même titre que les paysans, comme des acteurs du vivre-ensemble, par leurs actions d’entretien de la nature: tailler des arbres, débroussailler des zones qui se referment, maintenir des refuges pour la faune sauvage, anticiper l’évolution végétale, etc. Les reproches que nous recevons de la part d’une certaine bien-pensance sont souvent liés au manque de connaissance comme de nuance.
Ma remise en cause de la Fédération des Chasseurs n’est donc pas à attribuer à une opposition « Bergère contre Chasseurs »! Mais plutôt à une contradiction: « éleveuse sur le terrain contre gestionnaire non spécialisé planqué dans un bureau ». Cela arrive souvent quand un technicien ne dispose pas de la possibilité de s’impliquer sur le site qu’il gère: du coup, il ne fait pas la différence entre vaches et moutons, ignore le calendrier des marées et plante les clôtures électriques sous l’eau! L’incompréhension se corse quand il refuse d’écouter les retours de terrain. Et qu’il pense que sa qualité d’homme ou son âge garantissent sa supériorité car son interlocutrice est une femme, plus jeune et même pas dans le département depuis huit générations. Je maintiens pourtant que ce gestionnaire, dont le cœur d’activité est la chasse, n’a pas prouvé sa capacité à gérer ce site lors des dernières décennies, malgré l’engloutissement de subventions astronomiques. N’en déplaise à ses parrains bourrus et indéboulonnables! Et même s’ils constituent une fédération influente, je demande qu’ils soient soumis à la même transparence et aux mêmes attentes de résultats que les autres associations qui gèrent des espaces fragiles et publics.
Le fait que je m’exprime sur ce sujet provoque évidemment leur fureur! Ils me traitent publiquement « d’éleveuse inexpérimentée », de « parisienne », « donneuse de leçon ». Ils me reprochent de contrevenenir aux règles, ce qui leur permet d’esquiver mes accusations. Ils retournent la situation et se targuent d’avoir eux-mêmes résilié notre collaboration. Drôle de renversement, qui me rappelle celui du dépit amoureux: un homme éconduit à l’ego blessé ne se venge-t-il pas en rabaissant celle qu’il n’a pu séduire? Ou en dénigrant tout simplement sa légitimité à s’exprimer? Dire qu’autrefois ou ailleurs le jet d’acide au visage visait ou vise à la stigmatiser pour qu’ elle ne puisse plus avoir les faveurs d’aucun autre homme. Aujourd’hui que reste-t’il de ces pulsions ancestrales? Vont-ils exiger mon simple bannissement ou carrément mon exécution pour insolence?
Je m’adresse à tous les vénérables sexagénaires – vous qui avez un mandat dans la collectivité où vous êtes nés, ou qui siégez dans les conseils d’administration locaux. Je vous invite à élargir votre horizon, à considérer que le monde change et que l’exode rural vide les campagnes des acteurs qui les faisaient traditionnellement vivre. Que les fils d’agriculteurs se réfugient en ville, que les fermes de leurs parents périclitent et que votre génération décline. Je vous enjoins de prendre conscience que la moitié de la population (les femmes) est non seulement apte intellectuellement, mais qu’en plus elle a décidé de l’affirmer avec plus de fermeté.
Je vous informe que d’autres terrifiantes « néorurales » dans mon genre déferlent actuellement dans les campagnes et qu’elles apportent non seulement leurs compétences, leur dynamisme entrepreneurial et leur liberté d’expression mais qu’en plus elles en ont soupé du plafond de verre. Le patriarcat autoritaire? Elles n’ont même pas peur, elles savent que le temps jouera en leur faveur.
Je vous propose d’arrêter de craindre ces nouvelles Eve et de nuancer vos propos à leurs égards. Collaborons plutôt ensemble à une cohérence de générations et de diversité de profils, afin de réinventer la vie rurale et le maillage territorial. Non?
► page facebook desmotsdeminuit.fr Abonnez-vous pour être alerté de toutes les nouvelles publications.
Articles Liés
- La bergère DMDM, épisode #41: vol au vent ...
Zef, brise, embruns ou blizzard… Que cet aimable champ lexical évoque la fraîcheur des grands…
- La bergère DMDM #51: Quitter le nid...
Les chers petits, ces chérubins familiers, doivent désormais faire face à leur destin de ruminant.…
- La bergère DMDM #42 : à boire et à manger
Faut-il vivre pour manger ou manger pour vivre ? En hiver à la campagne, j’affirme…
-
« Hollywood, ville mirage » de Joseph Kessel: dans la jungle hollywoodienne
29/06/202052870Tandis que l’auteur du Lion fait une entrée très remarquée dans la ...