Explorer une terre, c’est se confronter à son histoire. Plongée, balade à terre, Kayak, pêche et on recommence. Pas facile la vie. Mais si nos neurones sont eux aussi au repos, cela ne nous empêche pas d’avoir toujours des envies de découverte. Ce sera cette fois la petite île de Boddam, dans notre atoll. C’est ici que vivaient les Chagossiens qui entre 1967 et 1968 ont vu leur existence basculer.
Chagos, le jour où la vie s’est arrêtée.
Une fois passée l’exaltation du premier jour, la beauté des paysages, même si notre enthousiasme face à celle-ci n’a pas baissé d’une once, est venu le temps des questions. Nous savions qu’à Boddam de l’autre côté de notre zone de mouillage, il y avait eu de la vie.
Les Chagossiens vivaient là, en paix, loin du monde, sous domination britannique certes, mais loin de tout avec pour seul horizon la mer et pour toute richesse ce qu’elle recelait. Attendant de la terre ce qu’ils cultivaient et travaillant le coco pour son coprah, ses fibres, ses palmes.
Une vie paisible, rythmée par un travail au profit de la Couronne, qui en échange assurait quelques sous et les denrées de base, farine, riz, lentilles, dohll, sel, huile, thé, café, savon… La population de Salomon, comme celle de Diego Garcia rythmait sa vie sur l’arrivée du bateau d’approvisionnement, tous les trois mois.
Puis vinrent les années soixante et la volonté d’indépendance de l’île Maurice, 67 les prémices, 68 les canons de la liberté. Mais pas pour tout le monde. A Diego, où était installé le gouverneur de ces BIOT (British indian ocean territories) l’information était parcellaire. Les nouvelles les plus fraîches venaient probablement du capitaine du bateau d’approvisionnement. Shenaz Patel, dans son livre « Le silence des Chagos » l’a parfaitement décrit. Comme toujours, les premiers concernés sont les moins informés. Car les Britanniques entendaient bien garder les Chagos en échange de cette indépendance accordée, tout en laissant Rodrigues aux Mauriciens. Probablement un marché de dupes. Du moins pour les Chagossiens. Car les Britanniques « vendent » un territoire vierge au monde.
Les habitants ne sont que quelques centaines, éparpillés sur les îles. Qui s’en soucie? Ils seront donc expulsés. Les Britanniques loueront ensuite aux Américains Diego Garcia qui y installeront leurs B52 tournés vers les zones de conflit. Une base avancée.
Les Chagossiens n’ont rien su de ce qui les attendait, ceux qui étaient partis trois mois à Maurice (entre deux bateaux) n’ont jamais vu le navire du retour. Les autres ont eu une heure pour dégager. Il n’y a pas d’autre mot. Dégager.
Quelques sous et un logement insalubre plus tard, ils étaient installés à l’île Maurice. Avec pour seul horizon des cases en tôle et les nuages accrochés au sommet derrière leur quartier de Port-Louis qu’ils se mettront à exécrer.
C’est du moins leur histoire rapportée par les Chagossiens. Rien jamais n’est ni blanc ni noir. Il y a souvent des ombres au tableau où la bonne le dispute à la mauvaise foi. L’un des arguments avancés est que ces terres étaient vierges et que des esclaves y auraient été acheminés afin d’exploiter les noix de coco. Ce ne serait donc pas la « terre des chagossiens« . Pour autant, plusieurs générations ont vécu là, y sont nées.
Il y a donc une réalité: un peuple a été expulsé de sa terre pour des motifs que d’aucuns qualifieront de géopolitiques. Un peuple ne se définit-il pas aussi sur sa terre lorsque ses anciens y sont enterrés ?
A Boddam, nous avons traversé la forêt. Une fois passée la grande croix blanche qui nous accueille dès la plage, il ne reste que des ruines, auxquelles nous tentons de redonner vie. Nous essayons d’imaginer les habitations, les salles communes, la boutique, une prison peut-être ? Nous voyons le puits toujours actif donnant une eau pas même saumâtre, mais la nature a repris ses droits, les murs d’enceinte abritent des banians, les toits pour certains sont tombés. L’église s’élève, digne dans son adversité. Et les fleurs artificielles déposées dans deux bacs à l’entrée s’avèrent touchantes. Une heure pour rassembler toute une vie. Qu’aurions nous fait ?
A Maurice, cantonnés dans leur misère, ils se sont battus pour un droit au retour. Ils ont perdu. Ils perdent toujours. Et cela nous met mal à l’aise. Nous avons le droit, nous, d’être ici, de demander un permis. De l’obtenir. Si ce n’est que les choses ont changé depuis quelques années, ce permis est limité à un mois pour cause de réserve intégrale. C’est également cette réserve intégrale qui donne le droit aux Britanniques d’y interdire toute présence humaine permanente… En attendant, les navigateurs de passage ont installé une petite vie à Boddam. Annexant un ancien bâtiment posé sur la plage, ils ont monté un filet de volley, planté quelques panneaux sur un arbre, ont fait preuve de beaucoup d’humour installant un faux distributeur de billets ou un point phone.
Mais ce lieu qu’on le veuille ou non rend finalement triste. Les enfants qui jouaient là autrefois étaient chagossiens, ils étaient libres et probablement heureux, ce qu’ils apprenaient de la vie était dans l’eau et sur une terre vierge, l’argent n’avait pas la valeur qu’on lui donne ailleurs.
Une fois passée l’exaltation du premier jour, la beauté des paysages, même si notre enthousiasme face à celle-ci n’a pas baissé d’une once, est venu le temps des questions. Nous savions qu’à Boddam de l’autre côté de notre zone de mouillage, il y avait eu de la vie.
Les Chagossiens vivaient là, en paix, loin du monde, sous domination britannique certes, mais loin de tout avec pour seul horizon la mer et pour toute richesse ce qu’elle recelait. Attendant de la terre ce qu’ils cultivaient et travaillant le coco pour son coprah, ses fibres, ses palmes.
Une vie paisible, rythmée par un travail au profit de la Couronne, qui en échange assurait quelques sous et les denrées de base, farine, riz, lentilles, dohll, sel, huile, thé, café, savon… La population de Salomon, comme celle de Diego Garcia rythmait sa vie sur l’arrivée du bateau d’approvisionnement, tous les trois mois.
Puis vinrent les années soixante et la volonté d’indépendance de l’île Maurice, 67 les prémices, 68 les canons de la liberté. Mais pas pour tout le monde. A Diego, où était installé le gouverneur de ces BIOT (British indian ocean territories) l’information était parcellaire. Les nouvelles les plus fraîches venaient probablement du capitaine du bateau d’approvisionnement. Shenaz Patel, dans son livre « Le silence des Chagos » l’a parfaitement décrit. Comme toujours, les premiers concernés sont les moins informés. Car les Britanniques entendaient bien garder les Chagos en échange de cette indépendance accordée, tout en laissant Rodrigues aux Mauriciens. Probablement un marché de dupes. Du moins pour les Chagossiens. Car les Britanniques « vendent » un territoire vierge au monde.
Les habitants ne sont que quelques centaines, éparpillés sur les îles. Qui s’en soucie? Ils seront donc expulsés. Les Britanniques loueront ensuite aux Américains Diego Garcia qui y installeront leurs B52 tournés vers les zones de conflit. Une base avancée.
Les Chagossiens n’ont rien su de ce qui les attendait, ceux qui étaient partis trois mois à Maurice (entre deux bateaux) n’ont jamais vu le navire du retour. Les autres ont eu une heure pour dégager. Il n’y a pas d’autre mot. Dégager.
Quelques sous et un logement insalubre plus tard, ils étaient installés à l’île Maurice. Avec pour seul horizon des cases en tôle et les nuages accrochés au sommet derrière leur quartier de Port-Louis qu’ils se mettront à exécrer.
C’est du moins leur histoire rapportée par les Chagossiens. Rien jamais n’est ni blanc ni noir. Il y a souvent des ombres au tableau où la bonne le dispute à la mauvaise foi. L’un des arguments avancés est que ces terres étaient vierges et que des esclaves y auraient été acheminés afin d’exploiter les noix de coco. Ce ne serait donc pas la « terre des chagossiens« . Pour autant, plusieurs générations ont vécu là, y sont nées.
Il y a donc une réalité: un peuple a été expulsé de sa terre pour des motifs que d’aucuns qualifieront de géopolitiques. Un peuple ne se définit-il pas aussi sur sa terre lorsque ses anciens y sont enterrés ?
A Boddam, nous avons traversé la forêt. Une fois passée la grande croix blanche qui nous accueille dès la plage, il ne reste que des ruines, auxquelles nous tentons de redonner vie. Nous essayons d’imaginer les habitations, les salles communes, la boutique, une prison peut-être ? Nous voyons le puits toujours actif donnant une eau pas même saumâtre, mais la nature a repris ses droits, les murs d’enceinte abritent des banians, les toits pour certains sont tombés. L’église s’élève, digne dans son adversité. Et les fleurs artificielles déposées dans deux bacs à l’entrée s’avèrent touchantes. Une heure pour rassembler toute une vie. Qu’aurions nous fait ?
A Maurice, cantonnés dans leur misère, ils se sont battus pour un droit au retour. Ils ont perdu. Ils perdent toujours. Et cela nous met mal à l’aise. Nous avons le droit, nous, d’être ici, de demander un permis. De l’obtenir. Si ce n’est que les choses ont changé depuis quelques années, ce permis est limité à un mois pour cause de réserve intégrale. C’est également cette réserve intégrale qui donne le droit aux Britanniques d’y interdire toute présence humaine permanente… En attendant, les navigateurs de passage ont installé une petite vie à Boddam. Annexant un ancien bâtiment posé sur la plage, ils ont monté un filet de volley, planté quelques panneaux sur un arbre, ont fait preuve de beaucoup d’humour installant un faux distributeur de billets ou un point phone.
Mais ce lieu qu’on le veuille ou non rend finalement triste. Les enfants qui jouaient là autrefois étaient chagossiens, ils étaient libres et probablement heureux, ce qu’ils apprenaient de la vie était dans l’eau et sur une terre vierge, l’argent n’avait pas la valeur qu’on lui donne ailleurs.
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