Des vagues, des creux, des grains puis le soleil, enfin. Inutile de jouer les fiers à bras, nous avons eu un début de traversée difficile. Il a fallu prendre le rythme en quelques heures tant la météo nous a été défavorable. Mais après la tempête, le calme. Trop calme! Quels râleurs ces « voileux »…
Latitude 11°41′
Longitude 65°19′
Nous sommes à mi-chemin de notre première destination. A 600 milles des Chagos. Nous avons quitté l’île Maurice depuis une semaine seulement et avons fait le tour des premiers chapitres du mini catalogue destiné aux « primo transocéaniques« : creux, bosses, bleus, grains, train de houle bâbord, tribord, avant, arrière… De fait on prend des ris (on limite la portance de la voile), un puis deux puis trois. On enroule un peu le génois. Mais on avance bien. Durant trois jours nous nous sommes fait brasser.
Les quarts n’en sont que plus difficiles. L’estomac en prend un sacré coup. Les nausées sont handicapantes. Sur les cinq, seuls doc Sophie, Christine et Pascal ont été épargnés. On dort peu, pas, ou mal. Le vague à lame s’installe: qu’est ce que je suis venue faire dans cette galère? Du sel partout. Sur la peau, les vêtements, les draps. Nous faisons cabine tournante, la gîte nous lance contre les parois, les craquements sont constants, à se demander parfois comment cette coque résiste aux chocs imposés par la mer.
Les premiers jours je n’ai pensé qu’à dormir, incapable de lire une ligne, mangeant par obligation les petits plats de Christine ou Sophie. Dormir, puis prendre les quarts avec Aline. L’œil fixé sur l’écran du pilote automatique, s’assurer que nous ne dérivons pas, espérer la lumière de la lune, histoire de voir où s’enfonce l’étrave. Mais il est des océans comme de certaines routes, mieux vaut les prendre de nuit: de jour on les aurait évitées.
Mal de mer et hallucinations
Pas le temps de penser ou d’apprécier. Ou si peu. Nausée permanente. Le manque de sommeil et viennent les hallucinations, la première qui m’a glacé les veines: les murs de nuage à tribord et bâbord se transformaient en falaises parsemées de lumières. Des cargos? La terreur du voileux.
Les yeux qui se ferment, résister. Surtout ne pas s’endormir. Puis passer la main donner les consignes aux suivants et sombrer dans un sommeil profond, sur une couchette humide. En se demandant si ça vaut le coup tout ça.
La seconde hallucination, beaucoup plus amusante, deux jours plus tard, toujours la nuit: une église dessinée en noir et blanc sur l’eau. Aline en rit encore.
Pas moyen de faire de photos, dans l’action tout le monde est au boulot. Le bateau est prioritaire sur le reste. Malgré la tension de manœuvres que nous ne maîtrisons pas encore, l’ambiance à bord est des plus drôles, on ne perd pas une occasion de rire et de se chambrer sur nos petits travers, nos tics de langage, Aline et ses « carrément » ou « trop bon« , Christine qui ne peut pas s’empêcher de signaler « ton génois faseye« , Pascal et son copain Popaul, le pilote automatique, à qui il offre une petite seringue régulière d’huile. Sophie qui cherche à soigner Pascal: il a une minuscule écorchure au coude? Allez! un petit spray de pansement désinfectant quand Christine vante les mérites… du poivre sur une plaie!
Nous apprenons à nous connaître mieux, l’alchimie fonctionne. D’autant qu’après la violence des premiers jours le calme plat entrecoupé de grains impose un nouvel apprentissage: la chasse au vent. Mon préféré où on prend presque plaisir à être trempé de la tête aux pieds, l’eau est douce!
Et, tout de même! l’événement vendredi: première pêche, premier poisson, Sophie nous a sorti une magnifique dorade coryphène portion pour cinq, une merveille et merci à Laurent resté à terre qui nous a réalisé tous nos bas de ligne.
Aujourd’hui la journée a été calme, les estomacs en place, le soleil est revenu, tout devient plus facile, chacun ses marques, seul le sens du vent, qui n’a cessé de changer, nous fait défaut. Notre obsession c’est le cap.
Tout à l’heure, pour la première fois, le coucher de soleil nous offre un spectacle somptueux. C’est que nous irions bien au bout du monde, malgré tout.
Ce soir, c’est dit, je vais lire.
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