Shakespeare #22: Pour un tourisme réfléchi en oubliant la masse
Stabilité politique, peut-être relative mais réelle, nature généreuse, accueil souriant des Comoriens, tout semble réuni pour un tourisme raisonné et paisible. Mais… Il y a toujours un mais…
Désir d’indépendance des îles qui amène encore des soubresauts, puis des élections, les prochaines en 2016, et l’on voit réapparaître d’anciens bannis dans le paysage. Le pays est aujourd’hui plutôt stable, comparé à tant d’autres. Il existe une vraie revendication commune à tous: reprendre Mayotte à la France. Ça n’en prend pas le chemin, mais le sujet est sensible, les présidents français depuis des décennies sont tous passés à un moment ou à un autre par Moroni en venant… de Mayotte. Mayotte dont le statut a encore évolué il y a quelques années, devenant sous la présidence de Nicolas Sarkozy département français à part entière.
Mayotte fait figure d’Eldorado pour tous ces migrants qui embarquent sur les kwasa kwasa, les barques de fortune et leurs passeurs qui en tirent profit. J’en discutais avec un représentant de la gendarmerie comorienne il y a quelques jours, « Nous savons que, tous les jours, des barques quittent le territoire, nous savons d’où, nous savons qui. Mais nous n’avons pas de moyens, pas de gardes-côtes avec assez de bateaux. Nous ne pouvons rien faire« . Et les barques déversent leurs migrants à Mayotte, parfois refoulés, d’autres passant au travers des mailles du filet.
Que reste-t-il de richesses à ce pays? Le girofle, l’essence d’ylang, la vanille… C’est peu. Ce n’est pas suffisant pour donner envie aux candidats au départ de rester. Le tourisme, on y revient pourrait être un bon moyen, car tous les atouts sont là: des îles paradisiaques, des fonds marins riches et translucides, des tortues marines à foison, une température idéale, peu ou pas de cyclones, une population accueillante et l’envie de recevoir l’étranger, de travailler avec lui, au niveau local. Mais plus haut? Plus haut on ne se donne pas les moyens, même si le développement du tourisme fait partie des priorités. Et ces allures de paradis (la photo est éloquente), sont balayées d’un revers de main par un élément fondamental: la gestion des déchets. Une véritable catastrophe. Certes, de l’avis d’un occidental gavé de développement durable, obsessionnel de sécurité sanitaire. Et encore, sur ce dernier point nous qui vivons dans cette zone depuis si longtemps, savons adapter un certain nombre de critères, lâcher sur des détails sans renoncer à l’essentiel. Nous avons renforcé nos organismes et avons plus de chance d’attraper la grippe en rentrant en métropole que le palu dont nous savons comment nous protéger même si le risque n’est pas nul. Pour autant, les monceaux de déchets qui trainent sur la plage, s’enflammant parfois, des chèvres s’ébattant dessus et des enfants jouant autour, provoquent chez moi une forme d’accablement. Les paysages pourront être les plus beaux de la terre, le sable blanc ou doré reflétant le soleil pour des couleurs d’une infinie chaleur, la ponte des tortues de mer une vraie magie, il restera les monceaux d’ordures dont tout le monde s’accommode.
Alors oui, des ONG (organisations non gouvernementales) sont venues, se sont battues, ont pensé avoir gagné, sont reparties et… tout est à refaire. Inlassablement. Déprimant. Car ce pays et ses habitants sont attachants, accueillants, curieux de tout, extrêmement respectueux de ceux qui le sont envers eux. Fiers de leur bout de terre et si heureux que, vous aussi, l’aimiez.
Mais le pays reste pauvre, les représentants du parc marin comorien, ici au Sud de Mohéli tentent de faire leur travail, en surveillant les montées de tortues, en tentant de lutter contre le trafic des espèces marines, en notifiant tous ces restes de carapace et ces os sur les plages. Et si l’on réprouve intellectuellement le fait que l’on mange encore aujourd’hui des tortues, comment ne pas le comprendre quand le poisson se refuse, que l’essence fait défaut et qu’il faut bien se nourrir. D’autant que, soyons clairs, ce n’est pas la consommation des tortues qui anéantira la ressource, les habitants sont peu nombreux à en manger. J’entends déjà d’ici, et pourtant nous sommes très très loin, les hurlements des écologistes bon teint, l’anathème auquel je m’expose. J’ai eu droit au même lorsque, aux Chagos, je m’interrogeais sur l’interdiction faite aux chagossiens de rentrer chez eux. Une association britannique m’a expliqué sur Twitter que la sauvegarde de la richesse sous-marine le justifiait. Désolée, mais j’ai un peu de mal là… Nous avons donc brisé rapidement la discussion que j’avais sereinement tenté d’engager.
Mais comment sortir de ce cercle infernal ici aux Comores: l’environnement n’étant pas assez sain, on ne peut développer sérieusement le tourisme, même choisi, sur une niche nature et s’il ne se développe pas, l’argent manquera toujours pour des infrastructures d’accueil de qualité, et on recommence, le serpent se mord la queue et va réussir à se faire vraiment mal à ce jeu là.
Comme toujours, cela demande une volonté, de la part de politiques qui ont d’autres chats à fouetter. En sortira-t-on jamais?
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