Les organismes remis d’une mer capricieuse, vient le temps de savourer, apprécier, s’interroger devant cette île déserte, sur la route des Comores. Non pas sur le sens de toute chose, nos sept mois n’y suffiraient pas, mais au moins sur cette idée du bonheur qui me trotte dans la tête.
Qu’est-ce que c’est finalement le bonheur dis-moi ?
Qu’est ce que le bonheur? Je me suis souvent posé la question, cherchant désespérément la réponse. A vouloir trop formuler ou intellectualiser ce qui n’est qu’un état, passager, on finit par en oublier le sens de la question. On se trompe à vouloir l’uniformiser, le rendre absolu et définitif.
Je me suis d’autant plus posé la question ici, depuis mon départ, cherchant des bribes de ces instants que l’on suppose euphorisants, que tous les éléments semblent réunis à cet instant pour le ressentir. Plus de contraintes hors celles, quotidiennes, inhérentes au bon fonctionnement du bateau, condition à la fois de notre sécurité et de la poursuite de l’aventure.
Faut-il chercher à saisir des instants, pour aussitôt les nommer et se satisfaire d’avoir trouvé réponse à la question? N’est ce pas un peu se forcer, s’obliger à trouver une réponse pour justifier ses choix et surtout ne pas regretter ceux-ci ?
Et la question en amène tant d’autres. La première n’a pas changé: ai-je eu raison? C’est très probablement la plus importante pour moi.
Ai-je eu raison de laisser tomber « ma vie d’avant« . De choisir ce voyage comme soupape de sécurité, celle qui permet de ne pas exploser en vol, en un temps où le « burn out » est devenu un mal courant?
Ai-je eu raison, à mon âge, de m’arrêter et de brièvement regarder en arrière, avec inquiétude parfois, satisfaction souvent?
Ai-je eu raison de vouloir pratiquer mon métier autrement, en prenant le temps?(*) De cela je suis convaincue, mais dans un monde où ce qui a plus de cinq ans est considéré comme vieux, je crains fort d’être déclarée obsolète à mon retour. Soyons honnête, est-ce que je le crains vraiment?
Non! Peu importe car dans tous les cas, il est trop tard et le regret n’entre pas dans mon vocabulaire. Les choix sont plus ou moins bons, mais ont le mérite d’exister.
Cette aventure qui n’en est qu’à sa mi-temps, a bien d’autres réponses à apporter à des questions que je ne me suis pas encore posées et auxquelles je n’ai pas dû penser encore.
Et pour autant celle du bonheur revient en boucle, elle est primordiale.
Je ne pensais pas que simplement regarder le ciel la nuit, attendre avec émerveillement une énième étoile filante, avec toujours (je sais c’est obsessionnel) la Callas dans les oreilles, pourrait remplir de tant de joie. De ces exaltations aussi simples qu’elles en deviennent à un moment indispensables. Le bonheur, polymorphe, n’est-il pas aussi cela, simplement ressentir à l’extrême la beauté parfaite d’une étoile dans une nuit d’encre, sans en chercher le sens. Le beau balaie tout le reste, la peur, l’ennui, la frustration, l’agacement. Le beau est simple. Comme le bonheur?
A intellectualiser on perd le sens, on ne ressent plus, on analyse. Là, à ce moment, sur ce bateau, alors que l’aube se lève, livre les contours de cette île perdue au milieu de l’océan, que le vent d’Est balaie tout sur son passage, je sais que derrière ce mur infranchissable d’arbres tourmentés, de sisals agressifs se cache une explosion de couleurs verte, bleue, émeraude et cela me remplit de joie. Penser qu’aujourd’hui, je pourrais peut-être faire voler mon drone, ou plonger, ou lire, ou filmer notre vie quotidienne me ravit. A tel point que je me demande si mon bonheur n’est pas là, de ne pas savoir de quoi mes journées seront faites, d’être prête à tout vivre. Mon rêve était d’avoir le temps, libérée des contraintes. D’avoir le temps de me poser ces fameuses bonnes questions, de ne pas m’inquiéter de demain à défaut d’avoir les bonnes réponses.
Je constate qu’aujourd’hui est bien plus excitant. C’est toujours cela de gagné.
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