A bord du « Shakespeare » #26: Mais quel est ce besoin de communiquer?
Le contact entre navigateurs était autrefois très aléatoire, il fallait une terre, un téléphone. L’explosion des moyens de communication a rendu le contact plus simple. Nombreux sont ceux qui ont leur blog ou leur page Facebook. On ne peut rien rater de leur aventure. Et l’outil de communication peut ensuite devenir un outil commercial avec un but: avoir les moyens de poursuivre leur rêve.
Même sur un bateau, où l’on se penserait isolé, loin du monde à la fois géographique et humain, on ne l’est jamais vraiment. A bord, nous avons tous un moyen de communication, ceux que je connaissais pour les avoir utilisés, classiques: le satellite (mondial, sachant qu’on peut croiser des zones blanches, que les nuages posent problème comme un soleil au zénith), la VHF (fréquences à courte portée et maximale à 20 miles) et un autre dont je n’avais qu’une idée relative: la BLU, que nous n’avons pas. En sont équipés les voyageurs au long cours car la planète est couverte d’antennes relais et de fait la portée est considérable. Cette BLU permet aux navigateurs de connaître la position des uns et des autres, la météo sur la zone parcourue, d’avoir un contact personnel avec tel ou tel bateau ou à terre. Il est juste question d’heures de rendez-vous et de fréquences spécifiques.
Il y a aujourd’hui une nouvelle dimension, celle de l’Internet, des blogs, de Facebook et tous les autres réseaux existants ou à venir. Qui sortent les navigateurs de leur bulle, les ouvrent au monde et démystifie le leur.
Ce besoin de communiquer m’interroge parce qu’il prend des formes variées où tout est bon pour « faire savoir » ce que l’on est en train de vivre. Ma question est « Qui cela intéresse-t-il?« . Outre la famille et les amis, qui vient sur nos blogs et pourquoi? Je dis nos, parce que pratiquement tous les bateaux ont un site web, un blog, une page Facebook, souvent ces deux derniers, où ils parlent de leurs coups de coeur ou de gueule, se racontent. Ont-ils besoin d’être connectés au monde pour s’assurer qu’ils ont bien fait de le quitter, et de ne donner qu’une image positive du leur? Pour se rassurer cette fois? Il y a de cela, certainement, même si, à l’origine dans la plupart des cas, le but était de permettre aux proches de suivre leur périple et ainsi de calmer leur inquiétude. Car ne le nions pas, nous le savons, ceux que nous avons laissés derrière nous sont inquiets. Inquiets des risques qu’ils imaginent nous voir prendre, des dangers qui nous attendent au détour d’une terre, de la piraterie, de l’accident bête à bord, des maladies.
Cette inquiétude nous l’avons connue aussi pour eux et nous nous sommes interrogés à plusieurs reprises: si quelque chose de grave arrivait à l’un de nos proches souhaiterions nous le savoir immédiatement? Dans mon cas c’était un oui sans réserve. Mais c’était une vraie question, au milieu de l’océan, à des miles et des miles du moindre aérodrome qu’aurions pu nous faire d’autre que rester seuls avec notre peine? Rien, c’est vrai.
Alors ce lien de la page Facebook dédramatise et d’amis en amis, la toile a fait le reste. Les navigateurs ont créé leur bulle et constituent une nouvelle communauté humaine, en marge de la terrienne. En ce sens, le blog de Momo est très intéressant dans son propos car à contre-courant, elle détaille les raisons pour lesquelles ce blog existe et en premier lieu pour ne « surtout pas pour encourager qui que ce soit à naviguer, estimant qu’il y a assez de bateaux comme ça sur les mers du globe, que c’est dangereux et que ceux qui rêvent de naviguer le fassent le dimanche ce qui permet d’entretenir leur envie tout en permettant à l’économie de continuer à tourner. » Pour enfin conclure par « Nous allons vous dire qu’il n’y a rien de romantique pour une famille de quatre personne à vivre dans une boite à cigare. Rien de plus« . Un contre-blog en somme.
Totem serait plutôt dans le camp de ceux qui veulent partager, explorer, approfondir. Depuis huit ans, Jamie, Behan et leurs trois enfants parcourent le globe, comme art de vivre, comme bien-être assumé. Pas question de s’arrêter avant que la demande des enfants soit forte, ce sera la seule chose qui les bloquera à terre. Il en est sorti un livre, « Voyager avec des enfants » avec deux autres co-auteurs, une niche que justement internet lui a permis de créer.
Voilà qui change aussi la simple dimension de partage et le meilleur exemple est celui de Brian et Brady les Américains de Delos, un début de blog il y a cinq ans là encore pour la famille et les amis. Ils se sont imposés un rythme d’une vidéo tous les quinze jours sur le site. Bilan? Jusqu’à 2,5 millions de visiteurs uniques sur You Tube! Et tous les deux adorent ça, comme Karin, la compagne suédoise de Brian, parce qu’ils s’amusent et que leur envie est que tout le monde en profite. Rien de prétentieux sur leur site et ils ne le sont pas plus dans la vie, ils profitent de chaque moment, ne se posent jamais la question de leur « public » ne changent rien et racontent juste leur histoire par vidéo interposée et gagnent grâce à cela très bien leur vie aujourd’hui. Ils n’ont d’autre ambition que de faire rire les gens, qui les suivent et les soutiennent financièrement.
Communiquer n’est plus un simple besoin, il devient une nécessité, ce qui serait étonnant si nous n’avions constaté à quel point ceux que l’on pensait être des solitaires sont avides de rencontres et de contact.
Ce monde là aussi a changé.
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