Entendre ces petites voix dont les mains alimentent la machine industrielle. Eloquent.
C’est quoi ce travail? documentaire – Luc Joulé, Sébastien Jousse – 1h40
C’est quoi le travail? C’est pas facile quand on bosse dans une usine de pièces pour l’automobile. Alimenter les robots, jour et nuit, assurer les objectifs, bruit, stress, poussière, lassitude…
On est dans une unité de fabrication PSA de la banlieue parisienne, on pourrait être ailleurs, ce serait ni pire, ni mieux. Grosse usine, 800 000 pièces en sortent chaque jour. Avant même de parler de la sueur, ce côté ingrat de la pièce minuscule qui, invisible, se logera derrière un pare-choc, sous un châssis, au fond d’un coffre. Même pas un pauvre essuie-glaces ou une pédale de frein qui eux se voient. Certains ici viennent des chaînes d’Aulnay (arrêtées en 2014). Ils y œuvraient sur la voiture dans sa version physique en devenir, « ici je ne vois pas ma trace » dit l’une des femmes-robots de robots.
C’est quoi ce travail?, le documentaire enregistre ces paroles d’ouvriers, intelligemment, sans parti-pris militant. Juste les écouter. « On s’habitue à tout » dit l’un d’entre eux, le film montre comment on s’habitue à l’enfer de la répétition à l’infini du même geste. On s’habitue aux crises de nerfs, aux tendinites et aux cachets pour supporter? Pas seulement: cet anonyme devant sa machine encore plus anonyme confie: « Dans ma tête je me joue la partition entière d’une symphonie de Mahler« . Inattendu. Quand un autre affirme qu’il aime le travail bien fait « J’ai ma part de décision« , croit-il, le suivant, résigné à son statut d’OS avoue: « Je remplis mes objectifs, ni plus, ni moins« . A chacun ses méthodes pour échapper à la réalité qui commande. Il y en a même un qui a imaginé d’installer un espace vert au milieu de l’usine et il l’a fait.
Le kaléidoscope imaginé par les réalisateurs fonctionne bien, la diversité des confidences n’absout pas un système cyniquement productif mais le condamner n’est pas le propos, il écoute ceux qui en sont les obligés. Sans oublier la logique de ce système qui fait qu’un algorithme financier pourrait demain fermer l’usine: « Peut-être qu’un matin on arrivera et que tout aura été déménagé.«
De ce beau documentaire, on oubliera les quelques séquences consacrées à un compositeur en résidence dans l’usine pour imaginer sa future création. C’est également un travail, suggère-t-on. Non, ces deux travails n’ont rien à, voir, il y a presque une indécence à les mettre en parallèle. Quant au concert final, donné à l’occasion de portes ouvertes un rien complaisamment consensuelles, il fait regretter la vraie musique industrielle, celle authentiquement inspirée du vacarme des machines.
- Dans une démarche similaire, desmotsdeminuit.fr interroge le rapport des français au travail: Tripalium, des dizaines de témoignages.
- Une ancienne ouvrière d’Aulnay dans L’Émission #501.
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