« Chercher? pas seulement: créer. Il est en face de quelque chose qui n’est pas encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans la lumière. » (Marcel Proust, Du côté de chez Swann)
Cette troisième année de thèse, c’est tout le contraire des deux premières.
Avant, je traînais les pieds pour aller prendre le TGV et donner mes cours, mais je volais trois jours par semaine vers la BNF où m’attendaient les belles rangées de livres sur Proust. Maintenant, donner mes cours serait presque un plaisir, et les antres de la BNF se sont transformées en un monstre souterrain qui abrite mon calvaire presque quotidien, comme la baleine de la Bible qui ne recrache un Jonas exténué qu’au terme d’un cheminement spirituel impitoyable.
J’avais toujours pensé que j’écrivais assez facilement: quand je rédigeais mon mémoire de Master 2, je tenais un rythme de 6 ou 7 pages par jour, et tout était bouclé le 27 juin pour profiter de l’été. Du coup, j’avais calculé qu’en écrivant 3 pages de thèse cinq jours sur sept, le premier jet de ma rédaction serait fini en mai. Le problème, c’est que deux lignes de thèse, ça me prend en moyenne (et au minimum) vingt minutes. Ce qui fait six lignes de l’heure (en comptant les notes de bas de page, attention) et une ou deux pages par jour (vive les longues citations!). Donc à ce rythme-là, il va me falloir trois mois de plus, et des nerfs solidement accrochés.
Parce que ma thèse m’apparaît progressivement comme l’église de Combray, une vallée visitée des fées dont mes lectures l’ont peuplée depuis deux ans, et qui est devenue « un édifice occupant, si l’on peut dire, un espace à quatre dimensions – la quatrième étant celle du Temps –, déployant à travers les siècles son vaisseau qui, de travée en travée, de chapelle en chapelle, semblait vaincre et franchir non pas seulement quelques mètres, mais des époques successives d’où il sortait victorieux« .
Mon ordinateur est devenu comme un théâtre de la mémoire qui organise tant bien que mal mes notes et mes lectures en une multitude de dossiers que je visite et où je médite successivement comme en autant de travées ou de chapelles qui continuent à me surprendre par des révélations insoupçonnées, ou tout simplement parce que je les avais complètement oubliées.
Alors quand je sors de la BNF, j’ai souvent l’impression que la baleine a accouché d’une tortue, et, comme dans le livre de Jonas, je me dis que les révélations prophétiques se révèlent capricieuses. En somme, je n’ai jamais rien fait d’aussi difficile depuis Normale Sup’. Et encore: quand on passe un concours, tout est question de force de travail, d’efficacité et de confiance en soi, ce qui n’est déjà pas gagné. Mais pour la thèse, il faut en plus le petit coup de baguette magique de la création. Comme dans l’épisode de la madeleine où le narrateur a l’intuition que son esprit va accoucher d’un monde enfoui au plus profond de lui, et qu’il ne doit pas seulement chercher, mais créer.
En regardant le soleil couchant sur les tours du 13ème, face à la BNF, je me dis que ma thèse est à leur image: elle se dessine dans l’obscurité, au loin, et se métamorphosera peut-être un jour en un beau bâtiment dont je franchirai les étages à toute vitesse car j’en serai à la fois l’architecte et le plus vieil habitant.
Avant, je traînais les pieds pour aller prendre le TGV et donner mes cours, mais je volais trois jours par semaine vers la BNF où m’attendaient les belles rangées de livres sur Proust. Maintenant, donner mes cours serait presque un plaisir, et les antres de la BNF se sont transformées en un monstre souterrain qui abrite mon calvaire presque quotidien, comme la baleine de la Bible qui ne recrache un Jonas exténué qu’au terme d’un cheminement spirituel impitoyable.
J’avais toujours pensé que j’écrivais assez facilement: quand je rédigeais mon mémoire de Master 2, je tenais un rythme de 6 ou 7 pages par jour, et tout était bouclé le 27 juin pour profiter de l’été. Du coup, j’avais calculé qu’en écrivant 3 pages de thèse cinq jours sur sept, le premier jet de ma rédaction serait fini en mai. Le problème, c’est que deux lignes de thèse, ça me prend en moyenne (et au minimum) vingt minutes. Ce qui fait six lignes de l’heure (en comptant les notes de bas de page, attention) et une ou deux pages par jour (vive les longues citations!). Donc à ce rythme-là, il va me falloir trois mois de plus, et des nerfs solidement accrochés.
Parce que ma thèse m’apparaît progressivement comme l’église de Combray, une vallée visitée des fées dont mes lectures l’ont peuplée depuis deux ans, et qui est devenue « un édifice occupant, si l’on peut dire, un espace à quatre dimensions – la quatrième étant celle du Temps –, déployant à travers les siècles son vaisseau qui, de travée en travée, de chapelle en chapelle, semblait vaincre et franchir non pas seulement quelques mètres, mais des époques successives d’où il sortait victorieux« .
Mon ordinateur est devenu comme un théâtre de la mémoire qui organise tant bien que mal mes notes et mes lectures en une multitude de dossiers que je visite et où je médite successivement comme en autant de travées ou de chapelles qui continuent à me surprendre par des révélations insoupçonnées, ou tout simplement parce que je les avais complètement oubliées.
Alors quand je sors de la BNF, j’ai souvent l’impression que la baleine a accouché d’une tortue, et, comme dans le livre de Jonas, je me dis que les révélations prophétiques se révèlent capricieuses. En somme, je n’ai jamais rien fait d’aussi difficile depuis Normale Sup’. Et encore: quand on passe un concours, tout est question de force de travail, d’efficacité et de confiance en soi, ce qui n’est déjà pas gagné. Mais pour la thèse, il faut en plus le petit coup de baguette magique de la création. Comme dans l’épisode de la madeleine où le narrateur a l’intuition que son esprit va accoucher d’un monde enfoui au plus profond de lui, et qu’il ne doit pas seulement chercher, mais créer.
En regardant le soleil couchant sur les tours du 13ème, face à la BNF, je me dis que ma thèse est à leur image: elle se dessine dans l’obscurité, au loin, et se métamorphosera peut-être un jour en un beau bâtiment dont je franchirai les étages à toute vitesse car j’en serai à la fois l’architecte et le plus vieil habitant.
A suivre.
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