« En voyant le liftier prêt, dans son désespoir, à se jeter des cinq étages, je me demandais si, nos conditions sociales se trouvant respectivement changées, du fait par exemple d’une révolution, au lieu de manœuvrer gentiment pour moi l’ascenseur, le lift, devenu bourgeois, ne m’en eût pas précipité » (Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe).
Pour se changer les idées en une veille de rentrée, rien de mieux que Downtown Abbey. Entre mes cours de Licence 1 qui reprennent dans trois jours, la BNF qui n’attend plus que moi et l’Angleterre des années 20, c’est plus qu’un grand écart ou une rupture épistémologique: c’est comme changer de planète ou regarder un film de science-fiction. J’adore.
Et pourtant… À y regarder de plus près, cette saison 4 me donne comme une impression de déjà vu, et pas seulement parce que je me souviens très bien des trois premières saisons. Cette élégance imperturbable d’un monde qui commence à se fissurer de toutes pièces, ces petites intrigues sentimentales dont l’étiquette mondaine ne masque qu’imparfaitement les violences de genre et de classe… mais oui, c’est du Proust tout craché! Moi qui pensais me légumer toute la soirée à des années lumière de mon sujet de thèse, m’y voilà plongée jusqu’au cou dès le début de cette saison 4.
Les sulfureux valets qui accueillent les invités de Downtown Abbey sur le perron me font penser à cette « meute éparse des grands valets de pieds » qui escortent Swann chez la marquise de Saint-Euverte ou le héros dans le beau château de La Raspelière, tandis que Miss Patmore s’active et martyrise les pauvres filles de cuisine, comme Françoise dans « Combray ».
Au sein de cette société ultra-hiérarchisée, où le système de castes paraît aussi sacré qu’une intangible cathédrale, quelques fissures commencent à ébranler ce bel édifice social, presque aussi difficile à entretenir que la toiture d’un vieux manoir. Comme Proust avec Alfred Agostinelli, Marcel avec Albertine ou avec la mystérieuse bonne de Mme Putbus, il arrive quelquefois qu’un éminent représentant de la haute société tombe amoureux de son chauffeur ou de sa bonne. C’est un sacré coup de pouce pour ces transfuges de classe qui auront tout de même quelques couleuvres à avaler – Odette chez Proust et Tom dans la série en connaissent un rayon.
Pour se changer les idées, cette haute société invite parfois quelques artistes pour animer leurs ennuyeuses soirées, Rachel ou la Berma dans la Recherche, une cantatrice australienne dans la série, mais toutes ces dames ont également leurs exigences et n’entendent pas qu’on leur marche sur les pieds. On est quand même au XXème siècle.
Et puis chez Proust comme dans Downtown Abbey, la Première Guerre Mondiale amène son lot de tragédies qui finiront par bouleverser en profondeur la société. Les revendications socialistes – sans parler d’une lointaine et effrayante révolution – commencent à remettre en cause une inégalité gravée dans le marbre des cheminées de Downtown Abbey, que les valets se lassent de dépoussiérer tous les jours. Chez Proust, les pauvres gens regardent encore sans piper mot, derrière les vitres illuminées du grand hôtel de Balbec, les riches oisifs qui dégustent de la sole en buvant du champagne, mais le narrateur aura bientôt la géniale intuition qu’une bonne révolution pourrait rapidement transformer ces créatures dociles en bouchers sans pitié.
En attendant, les personnages s’aiment et se perdent en robes du soir et en costumes trois pièces, et leurs périodes de deuil nous mettent la larme à l’œil, qu’ils touchent Lady Mary ou la duchesse de Guermantes. D’ailleurs, Lady Mary achève de conquérir notre cœur de proustienne quand elle confie cette phrase qui semble tout droit sortie de la Recherche : « depuis sa mort, je ne sais pas si c’est lui ou la personne que j’étais devenue avec lui que je regrette le plus. »
Au fond Downtown Abbey et la recherche du temps perdu, c’est tout simplement une époque et un style. Les ingrédients de base pour un chef-d’œuvre.
À quand l’adaptation de Proust en une bonne série télévisée par Julian Fellowes ? Évidemment, je connaîtrais la fin, mais c’est pas grave. Quand on aime on ne compte pas.
Et pourtant… À y regarder de plus près, cette saison 4 me donne comme une impression de déjà vu, et pas seulement parce que je me souviens très bien des trois premières saisons. Cette élégance imperturbable d’un monde qui commence à se fissurer de toutes pièces, ces petites intrigues sentimentales dont l’étiquette mondaine ne masque qu’imparfaitement les violences de genre et de classe… mais oui, c’est du Proust tout craché! Moi qui pensais me légumer toute la soirée à des années lumière de mon sujet de thèse, m’y voilà plongée jusqu’au cou dès le début de cette saison 4.
Les sulfureux valets qui accueillent les invités de Downtown Abbey sur le perron me font penser à cette « meute éparse des grands valets de pieds » qui escortent Swann chez la marquise de Saint-Euverte ou le héros dans le beau château de La Raspelière, tandis que Miss Patmore s’active et martyrise les pauvres filles de cuisine, comme Françoise dans « Combray ».
Au sein de cette société ultra-hiérarchisée, où le système de castes paraît aussi sacré qu’une intangible cathédrale, quelques fissures commencent à ébranler ce bel édifice social, presque aussi difficile à entretenir que la toiture d’un vieux manoir. Comme Proust avec Alfred Agostinelli, Marcel avec Albertine ou avec la mystérieuse bonne de Mme Putbus, il arrive quelquefois qu’un éminent représentant de la haute société tombe amoureux de son chauffeur ou de sa bonne. C’est un sacré coup de pouce pour ces transfuges de classe qui auront tout de même quelques couleuvres à avaler – Odette chez Proust et Tom dans la série en connaissent un rayon.
Pour se changer les idées, cette haute société invite parfois quelques artistes pour animer leurs ennuyeuses soirées, Rachel ou la Berma dans la Recherche, une cantatrice australienne dans la série, mais toutes ces dames ont également leurs exigences et n’entendent pas qu’on leur marche sur les pieds. On est quand même au XXème siècle.
Et puis chez Proust comme dans Downtown Abbey, la Première Guerre Mondiale amène son lot de tragédies qui finiront par bouleverser en profondeur la société. Les revendications socialistes – sans parler d’une lointaine et effrayante révolution – commencent à remettre en cause une inégalité gravée dans le marbre des cheminées de Downtown Abbey, que les valets se lassent de dépoussiérer tous les jours. Chez Proust, les pauvres gens regardent encore sans piper mot, derrière les vitres illuminées du grand hôtel de Balbec, les riches oisifs qui dégustent de la sole en buvant du champagne, mais le narrateur aura bientôt la géniale intuition qu’une bonne révolution pourrait rapidement transformer ces créatures dociles en bouchers sans pitié.
En attendant, les personnages s’aiment et se perdent en robes du soir et en costumes trois pièces, et leurs périodes de deuil nous mettent la larme à l’œil, qu’ils touchent Lady Mary ou la duchesse de Guermantes. D’ailleurs, Lady Mary achève de conquérir notre cœur de proustienne quand elle confie cette phrase qui semble tout droit sortie de la Recherche : « depuis sa mort, je ne sais pas si c’est lui ou la personne que j’étais devenue avec lui que je regrette le plus. »
Au fond Downtown Abbey et la recherche du temps perdu, c’est tout simplement une époque et un style. Les ingrédients de base pour un chef-d’œuvre.
À quand l’adaptation de Proust en une bonne série télévisée par Julian Fellowes ? Évidemment, je connaîtrais la fin, mais c’est pas grave. Quand on aime on ne compte pas.
A suivre.
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