Chronique habile d’une descente aux enfers. Le savoir-faire d’un jeune cinéaste new-yorkais qui confirme son originalité dans un registre pourtant très fréquenté. Et deux comédiennes époustouflantes. 🎬
Une femme au visage défait, elle pleure, elle crie, elle invective celui qui lui avoue, penaud, son infidélité. Le maquillage de Catherine coule mais surtout ses rictus trahissent un état qui est au-delà de la colère et du désespoir.
Virginia, une amie d’enfance, l’invite à passer quelques jours dans sa maison de campagne tranquillement installée au bord d’un lac. Catherine a besoin de repos, elle est dans un sale état, elle vient aussi de perdre son père, un artiste reconnu dans l’ombre duquel elle vivait en n’étant qu’une modeste assistante. Toutes deux se connaissent parfaitement, pourtant le malaise s’installe d’emblée. D’abord imperceptiblement, Virginia semble un peu lointaine, méfiante, inquiète peut-être de l’état de son amie. La tonalité est en tout cas bien différente de l’ambiance gaie et détendue qui semblait régner un an auparavant au même endroit, évoquée dans des flash-back ici ou là.
Catherine, elle-même douée de quelques talents de peintre, se met au chevalet pour dresser le portrait de Virginia. Mais les séances de poses deviennent vite l’occasion d’échanges de plus en plus acides, le huis clos entre les deux femmes tourne à l’affrontement. Un tête-à-tête que vient perturber – ou soulager, c’est selon – quelques personnages secondaires comme Rich, le nouveau boy friend de Virginia, dont la présence et les remarques horripilent Catherine qui voudrait son amie pour elle toute seule. Pour mieux la massacrer? C’est bien son statut qui est en cause: celle qui était la chérie de son fiancé, de son père et de Virginia n’est plus le centre du monde, la Queen of Earth. Mais ne l’a-t-elle jamais été autrement qu’à ses propres yeux? Rich n’y va pas par quatre chemins: « Tu as toujours été une chieuse, pourrie-gâtée! » La remarque est peut-être justifiée, ça n’aide pas, en tout cas dans un premier temps, à la guérison. De jour en jour, Catherine s’enfonce, elle est sur la voie de la folie.
Cinéaste de l’âme perdue
Qui sont ces deux femmes? L’une des plus formidables scènes du film en dit beaucoup. Pas simplement parce que c’est un long plan-séquence au cours duquel, sans se regarder (sur un divan…), elles échangent leurs premières expériences amoureuses, mais surtout par la façon dont la caméra capte ces confidences: plutôt que de se fixer sur celle qui parle, elle choisit de s’attarder sur le visage de celle qui écoute. Révélant du même coup leur différence, leur méfiance, leur rivalité, les non-dits. Quand se déroule cette conversation? Aujourd’hui? L’année précédente? On hésite. Les flash-back sont ainsi disposés qu’ils mélangent hier et aujourd’hui suggérant notamment que cette amitié entre les deux femmes vacille depuis longtemps, depuis qu’elles sont devenues adultes. Et que dans la crise, le désespoir, la folie, il n’y a plus de temporalité.
Si dans ces films précédents Alex Ross Perry évoluait dans une forme de comédie romantique de la séparation, avec Queen of Earth on ne rigole plus du tout. Non pas que l’on pleure, on serait plutôt pris d’effroi: la descente aux enfers d’une femme est montrée dans des façons qui rappellent les films de genre. On pense notamment à Polanski dans sa première époque: la salade qui flétrit peu à peu dans la chambre de Catherine ressemble à une citation explicite des pommes de terre qui germent inexorablement dans la cuisine de « Repulsion« . Mais le subtil emprunt de style est bel et bien justifié: ce que vit Catherine c’est en effet une forme d’horreur, pour elle et pour ceux qui en sont témoins, spectateurs compris. Elisabeth Moss (Catherine) n’y est pas pour rien dans la révélation de cet étrange état. Pas un plan où elle ne suggère le trouble, la décomposition, sans jamais en faire trop: même ses sourires sont glaçants. Katherine Waterston (Virginia) n’est pas moins subtile quand dans sa réserve, sa distance grandissante, elle contribue à installer le malaise.
Queen of Earth n’est pas un film d’horreur, c’est un film qui pourrait nous ressembler. Serions-nous horribles confrontés à un naufrage?
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