Le Laboratoire de Lumière. Semaine 52. « Nous n’avons pas tout partagé. »
« Nous voulons rester ce que nous sommes. »
Je suis en mouvement, ça me va comme un gant. Je reprends mes habitudes de voyageur.
J’ai quitté la maison, encore une autre maison… dans le silence de l’aube, avant que tout se dérobe. Avant que tout commence, avant que tout ne change, que tout dérange…
J’aime la nuit et ses silences. J’aime aller quelque part, pour faire mes images… J’aime faire mes bagages, pour faire des voyages.
La veille de mon départ, j’ai écouté des silences. Dans l’ambiance de la nuit, j’ai envoyé un message à mon frère, pour dire que j’allais retourner sur la route; que je n’aime pas les questions à mes retours de voyages. Que j’en ferai de plus en plus… J’ai tendu l’oreille, entendu un train au loin, sachant que quelques heures plus tard, je serai à nouveau voyageur…
J’arrête la position statique. Pas assez esthétique… Je veux du mouvement, redevenir élégant, dans le vent.
Paris-Luxembourg. Je vais revoir l’homme qui lisait le journal. Celui que le hasard a mis sur ma route, il y a quelques années, au bout d’un comptoir. Il était seul, occupé à sa lecture, qui ne parlait que de chiffres et ne montrait que des courbes. Une littérature que je ne connaissais que pour son coté esthétique et graphique. Nous avons partagé, contre toute attente, des rires et des idées. Sur l’instant, il n’était même pas question d’amitié, ni de sentiment.
Je suis là, vingt ans plus tard, dans ce train qui me mène à cet homme. Je vais faire son portrait, croiser à nouveau son regard, photographier l’un de ses souvenirs. Tout les deux nous avons quitté Paris. Il s’est exilé au Luxembourg, je suis maintenant sur la route… Il nous a fallu du temps pour que nos regards se croisent à nouveau. Il n’y a pas eu que le hasard, il y a eu le coeur d’un autre homme à l’oreille attentive… Sylvain, le patron de ce petit bar ou nous avions chacun nos habitudes, celui, qui a posé nos verres de blanc. Le mien, à coté du sien. Nous étions seuls au bar et avions tant de place pour nos solitudes.
Il a fallu un regard, une écoute, un mouvement… Un coup de blanc, pour effacer les silences. Sylvain a seulement dit, en posant mon verre près de celui de l’homme : « maintenant! Vous avez, des choses à vous dire! » Je ne connaissais pourtant pas ce gars en costard! J’étais déguisé en motard et on avait pas rencard!
Je suis en mouvement, je croise sa route à nouveau. Il n’y aura pas de blanc… Nous allons converser. Parler du passé, de l’instant, de ce que nous allons faire à présent. Parler de Sylvain. De celui qui a fait de cette rencontre, un instant vivant. Parler de ce qui nous fait du bien, de ce qui nous fait mal… Et ça!
Parfois je ne savais plus à qui confier mes pensées, mes regards… Je passais au bar… Je passais en coup de blanc… Je croisais le regard de Sylvain, on fumait un cigare! Le dimanche après-midi, à la fermeture, Sylvain tirait les rideaux, il ne restait que quelques convives de bonne compagnie, pour un plat de pâtes aromatisées aux anchois. Je me souviens de son clin d’œil, en guise de carton d’invitation… Du bristol! De nos virées à Rungis, le lundi, pour faire le plein de fromages, de tapes sur l’épaule et de regards complices avant de s’attaquer à une sole au beurre blanc, en terrain conquis. Dans mon souvenir encore, le soir, où j’avais oublié mon anniversaire… Nous avions été à Montparnasse, acheter des ciseaux à cigare… Il n’y avait pas d’heure pour faire plaisir et penser à l’autre… Souvent, au bar, je voyais ce gars en costard, c’était pas un motard. Après l’avoir amené à un concert de Rock… Ce n’était pas dans ses habitudes. Je lui avais donné un de mes blousons de cuir pour un peu de protection. Je voulais qu’il fasse partie de la bande. Je lui confiais mes envies de tout voir, de tout regarder. Je lui avais confié l’envie de larguer le monde de la publicité, d’aller voir… avant qu’il ne soit trop tard. Il m’a dit: « vas-y! » Comme on le dit à un ami. Je suis reparti en Afrique. Je lui ai rapporté une image graphique sur un papier unique. Tirée à deux exemplaires. Nous avons tous deux l’image de ce voyage.
Je ne l’ai pas pris pour un ami, lorsqu’il m’a dit de partir… Et pourtant.
Nous avons partagé nos univers avec des mots et des images. Souvent au bar, il y avait « Charlotte Sometimes ». « Aimer la nuit, détester au matin ». Nous savons le faire…
Nous n’avons pas tout partagé… Nous avons échangé des points de vue, j’ai été voir ce qu’il voyait au quotidien.
Je lui montrais ce que je voyais, par hasard… C’était mon quotidien.
J’ai marché ailleurs, c’était toujours pour voir…
Je mets fin au « Laboratoire de Lumière » sous sa forme actuelle… Je suis sur la route et déjà de retour en Bretagne.
L’exposition: J-60, exactement. Plus question de traîner, plus question de draguer mes idées au fond de fleuves glacés et finalement inconnus. Je fais surface. Fin des plongées, je n’ai rien remonté! Je me suis plongé dans la glace, pour enfin me regarder. Fin des torpeurs. Je veux faire briller mon coeur.
Fin des rancœurs, j’ai eu trop peur. C’est pas ça le bonheur!
J’ai croisé des foules en mouvement, je suis souvent à contre sens… Je cherche à retrouver ma voix, à me mêler au monde. J’ai besoin de cette vibration. J’ai besoin de retrouver mon corps, souvent perdu. Je ne le voyais plus, je ne le sentais plus.
La vitesse et le mouvement changent le paysage. C’est plus sage que de regarder le blanc d’un mur. J’ai vu mes fêlures, je ne suis pas sans faille. Je suis prêt pour la bataille. Au bout il y aura la mort, je le sais maintenant. Je suis un survivant… Pour l’instant, je me bats pour un regard. Il reste du temps pour combattre les ombres. Je ne veux plus me battre contre moi. Je suis un guerrier pour défendre « l’élégance du temps« . J’ai oublié des souvenirs et des sentiments, j’ai failli en mourir, je ne veux plus y revenir. Je ne sais toujours pas vivre… Je ne voulais pas avoir de souvenirs. J’ai appris à mourir… Je me suis fais des idées… Je sais maintenant qu’il y a une fin à un sentiment ou à une idée. Que je peux changer d’avis sur le temps… Lui ne changera pas !
J’ai souvent pris des rails, je roule maintenant, les bruits sont différents, comme autant de sentiments. Je peux prendre une route au hasard, je ne me perdrai pas! Au bout, il y aura un regard.
J’ai vu l’homme qui lisait le journal. Ce n’est finalement pas un hasard. Nous avons des sentiments, il est temps d’être élégant et de croiser à nouveau nos regards.
LLL. Semaine 52
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