Au bonheur des dames… mais pas de Paula. Les carnets d’ailleurs de Marco & Paula #225
Paula n’aime pas faire les courses quel qu’en soit l’objet et quel que soit l’endroit, mais parfois elle ne peut pas y couper. Dans notre « qui fait quoi » conjugal, Marco est chargé des courses. Mais comme il est parti sous d’autres cieux, j’ai dû me résoudre à les faire. Je n’avais plus de chocolat, autant dire que je n’avais plus rien.
Au Tchad à l’instar d’autres pays à l’économie chancelante, au bout d’un mois de fréquentation hebdomadaire, je pouvais faire le tour du supermarché local en dix minutes. Là, les articles se trouvent toujours aux mêmes endroits et, surtout, les produits se déclinent en deux ou trois marques seulement.
30 mètres de yaourts
En Virginie, dans la ville où nous résidons, même si je ne fréquente qu’un seul des fort nombreux supermarchés, tout est beaucoup plus compliqué. Après un mois de visites la logique de succession des rayons m’est toujours aussi énigmatique, et pour dénicher les cornichons j’ai pratiquement fait le tour de la moitié du magasin. Évidemment, ce n’est pas trois marques de yaourt qu’on y trouve mais trois cents et pas le yaourt basique avec juste du lait entier dont je fais mes petits déjeuners. Bien sûr j’exagère et j’ai fini par repérer le mètre carré qui leur est réservé (la gondole des yaourts fait trente mètres de long). Je reconnais qu’avoir placé les produits frais en fond de magasin est assez astucieux car ainsi les rayonnages s’ouvrent aussi par l’arrière et les magasiniers peuvent les recharger en respectant la chronologie des dates de péremptions. Dans une vie antérieure, j’ai travaillé dans une mini-grande surface en montagne et je me souviens du temps passé à déplacer les pots pour disposer les plus frais au fond. J’ai compris cette astuce lors de ma dernière exploration, lorsque j’ai questionné le visage qui venait d’apparaître en toile de fond de mes yaourts.
Dans les travées, on ne voit pas beaucoup de personnel; la logistique d’un tel endroit doit être complexe et tout se passe sans doute la nuit. Dans le Massachusetts où j’étais fin septembre avec Marco, j’étais tombée effarée sur un drôle de zigue chargé du ménage: un robot! Un truc vertical qui roulait sans faire de bruit et repérait les détritus pour les aspirer… Quelle est donc la définition d’un détritus dans la tête d’un robot? J’avais bien essayé de faire boguer le machin en me mettant systématiquement devant pour l’obliger à reculer mais je me suis lassée avant lui. J’arrivais du Tchad et le choc culturel avait été violent.
« Répétez s’il vous plaît »
Je pensais vivre une expérience exotique dans les supermarchés américains avec ce remplacement des hommes par des robots mais finalement la France n’est pas en reste quoique d’une façon inverse. J’écoutais ce matin sur France Culture la présentation d’un documentaire sur les petites gens dont l’interview d’un magasinier dans la Meuse qui racontait travailler toute la journée avec un casque connecté à un robot qui lui dictait les taches à faire (« aller dans l’allée B et prendre trois cartons »). Selon lui, le pire était qu’il était censé répondre à la machine mais que celle-ci ne captait pas correctement ses propos. Aussi lui serinait-elle sans cesse des « répétez s’il vous plaît ». Il concluait en chantonnant un savoureux « le travail c’est la santé ».
Toutes les caisses ne sont pas encore automatiques et dans celles qui ont visage humain, les caissiers, assez complaisamment, mettent vos achats dans des sacs plastique. Eh oui, dans un pays aussi moderne que les États-Unis, on met encore ses achats dans de tels sachets. Peuvent mieux faire! Même au Tchad, on ne pouvait utiliser que des sacs réutilisables.
En Virginie, quiconque achète de l’alcool doit montrer sa carte d’identité; cela me fait bien sourire de devoir prouver que j’ai plus que vingt-et-un ans. Marco m’a expliqué qu’à tout moment un contrôleur déguisé en péquin moyen pouvait chercher à piéger les caissiers, d’où leur demande systématique en dépit de la blancheur de vos cheveux.
Pour les fruits et légumes, entre production locale et production bio, j’ai choisi les circuits courts car si le bio vient de loin, il n’est plus vraiment écologique. Mais que veut dire local dans un pays aussi vaste que les États-Unis? les myrtilles canadiennes viennent de moins loin que celles de la côte ouest. Et quelles sont les normes bio?
Heureusement pour ma santé mentale et la tranquillité de Marco, se tient deux fois la semaine un marché de producteurs de la région. Au moins, les produits y sont de saison. On y trouve même des producteurs de viande mais comme ils n’ont pas d’étal mais simplement des glaciaires, j’ai mis un certain temps avant de les remarquer. J’ai compris tout récemment une pancarte sur l’un de ces stands où je voyais les mots « viandes » et « plantes ». Paresseusement, je l’avais traduit en « viandes d’animaux nourris aux plantes » en me demandant in petto ce que mangeais les animaux à l’origine de la viande des autres stands. Erreur! il s’agit de fausse viande, de soja ou autres amalgamés en forme de saucisse ou de cuisse de poulet. Je suis végétarienne depuis trente ans et ne souhaite surtout pas manger un truc en forme de morceaux de viande, même cent pour cent végétal. Mais ici, on trouve toute une industrie de produits végétaux en forme, au mode de cuisson et même au goût de la viande. Une viande Canada dry*, en quelque sorte !
Mais bientôt, je serai débarrassée des courses car à Marco, bientôt de retour, je restaurerai, sans restriction, toutes ses prérogatives de chaland.
* Dans les années 80 une publicité pour Canada Dry la présentait comme une boisson qui ressemble à de l’alcool mais qui n’est pas de l’alcool.
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