« Et tu n’es pas revenu »: lettre d’amour à un père
Marceline Loridan Ivens, actrice, réalisatrice, journaliste et écrivain signe une magnifique lettre d’amour à son père disparu il y a soixante dix ans à Auschwitz.
Marceline n’en a pas oublié la première ligne « Ma chère petite fille« . Ni la dernière : « Shloïme« , signature de ce père né en mars 1901 à Slupia Nowa en Pologne. Entre les deux? « Je ne sais. Je cherche et je ne me rappelle pas. Je cherche mais c’est comme un trou et je ne veux pas tomber. » Marceline Loridan Ivens ne tombera pas. Peut être parce que contrairement à d’autres survivants enfermés dans une forme de mutisme caractéristique, elle parviendra à raconter. Que ce soit par le biais du cinéma avec, entre autres, « La petite prairie aux bouleaux » (2003) inspiré de son parcours dans les camps ou par celui de la littérature. Dans ce livre composé avec la journaliste et romancière Judith Perrignon, Marceline Loridans-Ivens dit tout -la faim, les coups, l’humiliation, la déshumanisation- avec une force et une vérité confondante. Sans pathos. Sans tristesse. Voire même avec une forme de gaieté, « pour se venger d’être triste et rire quand même« . Un témoignage saisissant dans lequel chaque mot fait sens.
La culpabilité des survivants dont Virginie Linhart a bien montré dans « La vie après » à quel point elle régit la vie de ceux qui s’en sont « sortis » est inscrite au coeur de ce livre rédigé à quatre mains. Et ce, dès le titre semblable à une antienne ponctuant le récit. « Depuis cette prophétie que tu as faite à Drancy, j’ai toujours pensé ta vie contre la mienne ». Comment aurait il pu en être autrement? La famille entière en sera disloquée à jamais. Le frère de Marceline se suicidera. Sa soeur aussi. Tout deux mourrant des camps sans jamais y être allé. La « chère petite fille » sera libérée le 10 mai 1945. Personne ne viendra la chercher. « Rentrer ne voulait pas dire survivre » rappelle celle qui, revenue au monde, tentera de mettre fin à ses jours par deux fois. Depuis, Marceline Loridan-Ivens dont les yeux ont conservé intacte l’exigence de l’enfance s’est engagée dans des causes multiples avec la certitude qu' »on peut changer le monde« . A quatre-vingt sept ans, elle continue de s’y employer et témoigne, sans jamais se départir de cette pugnacité qui l’a sans doute sauvée.
« Et tu n’es pas revenu » – Marceline Loridan-Ivens – Grasset, 112 pages
Les lectures d’Alexandra
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