« Et tu n’es pas revenu »: lettre d’amour à un père

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Marceline Loridan Ivens, actrice, réalisatrice, journaliste et écrivain signe une magnifique lettre d’amour à son père disparu il y a soixante dix ans à Auschwitz.

Petite, menue, des cheveux de feu, Marceline Loridan-Ivens, à quatre-vingt sept ans, a l’air d’une enfant. Comme si le temps s’était définitivement arrêté pour elle en mars 1944 à Bollène. Marceline a alors 15ans. Elle est raflée par la milice française puis internée à Marseille avant d’être envoyée à Drancy avec Szlhama Rozenberg, son père. Elle reviendra des camps. Lui pas. Il en avait la prescience. Quelques jours avant leur séparation, il aura cette phrase, inoubliable: « Toi, tu reviendras peut être parce que tu es jeune, moi pas« . La jeune fille survivra à l’horreur concentrationnaire, pas à la disparition de son père. Soixante dix ans plus tard, elle adresse à celui qu’elle a follement aimé un livre bouleversant en forme de lettre. Une manière de mettre par écrit ces mots qu’elle n’a cessé de lui adresser en pensée durant toutes ces années. Une manière aussi de répondre à la missive qu’il avait réussi à lui faire passer tandis qu’il était à Auschwitz et elle à Birkenau.
Marceline n’en a pas oublié la première ligne « Ma chère petite fille« . Ni la dernière : « Shloïme« , signature de ce père né en mars 1901 à Slupia Nowa en Pologne. Entre les deux? « Je ne sais. Je cherche et je ne me rappelle pas. Je cherche mais c’est comme un trou et je ne veux pas tomber. » Marceline Loridan Ivens ne tombera pas. Peut être parce que contrairement à d’autres survivants enfermés dans une forme de mutisme caractéristique, elle parviendra à raconter. Que ce soit par le biais du cinéma avec, entre autres, « La petite prairie aux bouleaux » (2003) inspiré de son parcours dans les camps ou par celui de la littérature. Dans ce livre composé avec la journaliste et romancière Judith Perrignon, Marceline Loridans-Ivens dit tout -la faim, les coups, l’humiliation, la déshumanisation- avec une force et une vérité confondante. Sans pathos. Sans tristesse. Voire même avec une forme de gaieté, « pour se venger d’être triste et rire quand même« . Un témoignage saisissant dans lequel chaque mot fait sens.
 

 

La culpabilité des survivants dont Virginie Linhart a bien montré dans « La vie après » à quel point elle régit la vie de ceux qui s’en sont « sortis » est inscrite au coeur de ce livre rédigé à quatre mains. Et ce, dès le titre semblable à une antienne ponctuant le récit. « Depuis cette prophétie que tu as faite à Drancy, j’ai toujours pensé ta vie contre la mienne ». Comment aurait il pu en être autrement? La famille entière en sera disloquée à jamais. Le frère de Marceline se suicidera. Sa soeur aussi. Tout deux mourrant des camps sans jamais y être allé. La « chère petite fille » sera libérée le 10 mai 1945. Personne ne viendra la chercher. « Rentrer ne voulait pas dire survivre » rappelle celle qui, revenue au monde, tentera de mettre fin à ses jours par deux fois. Depuis, Marceline Loridan-Ivens dont les yeux ont conservé intacte l’exigence de l’enfance s’est engagée dans des causes multiples avec la certitude qu' »on peut changer le monde« . A quatre-vingt sept ans, elle continue de s’y employer et témoigne, sans jamais se départir de cette pugnacité qui l’a sans doute sauvée.

« Et tu n’es pas revenu » – Marceline Loridan-Ivens – Grasset, 112 pages

Les lectures d’Alexandra

La critique Littéraire desmotsdeminuit.fr


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