Christian D.: le pèlerin chanceux et le bon samaritain anonyme…

« De New-York à Paris, en passant par bien d’autres lieux. J’ai découvert des gens, et des objets magiques qui, dans de minuscules éraflures, conservent les marques du temps. J’ai réalisé les portraits de ceux qui protègent ces empreintes de la disparition. Avec l’image de cette trace, j’ai préservé la mémoire de l’oubli. » H. B.

Je n’ai pas connu mon grand-père maternel, émigré espagnol. Durant toute sa vie, il avait utilisé un couteau ramené d’Espagne que l’on appelle une navaja. Ma mère avait conservé soigneusement ce couteau ainsi qu’une vieille lampe à pigeon et quelques photos; modeste héritage de son père. Lorsque ma mère disparut, je récupérai cet objet qui m’apparaissait désormais comme sacralisé. Auparavant, à la mort de mon père, j’avais fait le vœu de faire le chemin de Compostelle, seul, emportant avec moi des objets de grande symbolique. C’est ainsi que cette navaja prit part au voyage avec mon makila gravé à ma devise. Chaque jour, je prenais plaisir à couper le pain, le saucisson et les fruits qui constituaient mes repas, sauf en cas de mauvais temps. Lorsque j’arrivai à Saint-Jacques-de-Compostelle, à la fois fier et serein, je réservai un vol de retour via Madrid. Cependant, il fallait que je trouve une solution pour mon makila qui, possédant une longue pointe acérée, serait interdit en cabine. Mon sac à dos, trop court, ne pouvait contenir cette canne, et arrivé à l’aéroport de St-Jacques, je décidai d’envelopper le tout dans un film étirable. J’étais ainsi assuré de retrouver mon makila à l’arrivée à Paris. Après avoir enregistré cet unique bagage, je me rendis à la salle d’embarquement. C’est alors que je réalisai que j’avais conservé dans une poche, comme toujours depuis mon départ du Puy-en-Velay, le fameux couteau de mon grand-père. Au contrôle de sécurité j’informai le garde civil car je ne voulais pas que l’on me le confisqua. J’expliquai l’attachement que j’avais pour cet unique souvenir. Les pèlerins jouissent en Espagne d’une grande considération, c’est ainsi que le garde civil chercha une solution. Comme l’enregistrement des bagages était terminé, il était impossible de récupérer mon sac à dos pour y glisser mon couteau. Mon voyage de retour ayant une correspondance à Madrid, il fit la proposition suivante: il m’autorisait à titre exceptionnel à voyager avec ma navaja jusqu’à Madrid où je devais l’enregistrer au comptoir car il était exclu que j’aurais la même tolérance sur un vol international. C’est ainsi que j’embarquai dans l’avion avec mon couteau en poche. Ce garde civil avait vraiment fait preuve d’une grande confiance envers moi, simple pèlerin. Malheureusement mon vol prit du retard et le temps restant pour la correspondance était très limité. Comme je devais sortir de l’aéroport pour accéder au comptoir d’enregistrement des bagages, et malgré ma course effrénée, j’arrivai trop tard pour faire enregistrer mon couteau. A nouveau, le désarroi s’empara de moi: j’allais perdre ce souvenir qui était devenu mon compagnon de route auquel je m’était tant attaché. Naïvement, j’achetai en duty-free une boîte de chocolat à l’intérieur de laquelle je glissai mon couteau. Peine perdue car, évidemment, le contrôle sécurité aperçut sur son écran le couteau dissimulé. Je dus alors expliquer à nouveau l’histoire de mon navaja: l’héritage, le pèlerinage, l’attachement au souvenir de mon grand-père espagnol. Rien ne faisait fléchir l’agent de sécurité. C’est alors qu’il eut l’idée d’en parler à la police des frontières à qui j’expliquai encore mon problème. Un policier me demande de le suivre jusqu’à la porte que les accompagnateurs de voyageurs étaient interdits de franchir. Il repéra un couple de vieux espagnols et leur raconta ma mésaventure. Tout naturellement et spontanément, ce couple me demanda mon adresse en me promettant de me l’envoyer. C’est ainsi que je confiai mon précieux couteau à ces deux inconnus en qui je devais placer toute ma confiance. Huit jours après mon retour, j’eus l’agréable surprise de retrouver mon cher couteau dans ma boîte aux lettres, mais malheureusement sans l’adresse de l’expéditeur attentionné que je n’ai jamais pu remercier.
Christian D. – Paris 75012 – février 2019
Christian D. – Paris 75012 – février 2019


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