S’il connait les classiques de la Couture sur le bout des doigts, c’est pour mieux les bousculer, les transgresser, les réinventer. La preuve en 180 modèles astucieusement mis en scène au Grand Palais.
Non, ce n’est pas Madonna qui, la première, a porté le soutien-gorge conique qui a fait l’un des plus grand succès de Jean-Paul Gaultier. L’affaire est beaucoup plus ancienne, puisqu’elle date de la petite enfance de son créateur: il en avait déshabillé « Nana« , son ours en peluche, en confectionnant la pièce en… papier journal.
Les jeunes années du petit Jean-Paul sont essentielles. Fils d’une famille modeste, il se nourrit de la télé en noir et blanc et s’émerveille des tenues des speakerines, des invitées de Dim, Dam, Dom ou de la classe de l’icône de Discorama, Denise Glaser. Il se délecte des ambiances féminines du salon de beauté de sa grand-mère et quand ado, il voit au cinéma Micheline Presle dans « Falbalas » de Jacques Becker qui se passe dans le milieu de la haute-couture, c’est décidé, il sera couturier. Il s’y met: chaque année, il dessine deux collections et, culotté, envoie ses cartons aux grandes maisons de la place parisienne. Son audace -et son talent- paye: le jour de ses 18 ans, il est engagé par Pierre Cardin.
La suite, on croit bien la connaître, il est vite devenu le créateur le plus médiatique de la planète mode. En 1976, première collection de prêt-à-porter sous son nom, 1997, il entre dans la cour des grands de la haute-couture. Désormais, peut-être l’un des plus doués, les plus imaginatifs, à ce jour le plus fantasque.
Le garnement de la haute couture
La belle expo qui lui est consacrée au Grand Palais, est plus qu’une révision, c’est un enchantement qui lui est fidèle, dans la pénombre d’une scénographie inventive, une immersion dans l’univers de celui qu’on qualifie « d’enfant terrible de la mode« . Mais Gaultier ne fait pas peur, bien au contraire, il est drôle autant que prodige, si sa créativité nait dans les délires d’une invention sans limites, sa façon est de l’ordre de la perfection de la haute-couture, matières et coupe, c’est plutôt un sacré galopin et ses effronteries n’ont pas fini d’influencer le petit monde du luxe.
Lui-même ne le démentirait pas, il est un créateur sous influences, les influences de son temps, ce qu’il fabrique, c’est ce qu’il voit, ce qu’il sent, ce qu’il vit. Ce qu’il conteste aussi. Apôtre du métissage et du droit à la différence, iconoclaste voire blasphémateur, dans ses éclats de rire et de génie, il ne s’interdit rien. Si, comme ses pairs, il utilise les plus belles étoffes brodées, la dentelle et le satin, la plume et le strass, il introduit l’inédit dans cet univers feutré, le latex et le cuir sado d’habitude réservés aux sex shops. Et ses mixes marchent à l’oeil, pas sûr que toutes ses tenues soient portables, l’œuvre d’art est-elle toujours portable?
L’homme rayé
A Jean-Paul Gaultier rien d’impossible. Passé, présent, futur. Ses seins coniques ont fait le tour du monde, il les a posés sur une guêpière d’hier dont il relance l’usage et les formes à sa façon, pour lui la haute-couture c’est évidemment aussi les sous-vêtements. Il titularise la jupe pour hommes modernes, certes l’idée vient d’Ecosse, mais suggérant le transgenre, il précise qu’il n’est pas obligatoire de s’épiler les mollets pour s’en déguiser. Et quand il voit « Querelle » de Fassbinder et son érotisme multi-ambigu, il consacre la marinière, si possible à mouler sur de gros biceps. Bien avant le franchouillard Montebourg, son succès est tel qu’il fera de la rayure bleue et blanche sa marque de fabrique.
Humour et synthèse
On rit autant qu’on s’étonne du virtuose. Il aime pareillement la liberté festive de La Belle Epoque, les photos de nuit des prostituées de Brassaï, le cancan du Moulin Rouge, les sirènes, Lewis Caroll et Jean Genet, Björk et Yvette Horner, l’eurovisionné barbu Conchita Wurst et les formes opulentes de Beth Ditto qu’il a fait défiler sur ses podiums, il aime le sexe et les déviations, il sait les synthétiser, les sublimer.
La couture de Jean-Paul Gaultier est un précipité moderne.
Jean-Paul Gaultier – Paris, Grand Palais, jusqu’au 3 août 2015
La page facebook de Des Mots de Minuit. Abonnez-vous pour être alerté de toutes les nouvelles publications.
Articles Liés
- Jean-Paul B.: flic et braco…
"De New-York à Paris, en passant par bien d’autres lieux. J'ai découvert des gens, et…
- Paul Personne, les mots bleus.
On sent un gars simple, un mec du coin. Son père était ouvrier, son pseudo…
- Jean-Claude P.: Clair-obscur
"J’allumai, approchai un fauteuil de la fenêtre, posai les pieds sur le radiateur et me…
-
« Hollywood, ville mirage » de Joseph Kessel: dans la jungle hollywoodienne
29/06/202053220Tandis que l’auteur du Lion fait une entrée très remarquée dans la ...