Des origines d’un nomadisme: Les carnets d’ailleurs de Marco et Paula #180
Marco, en congé temporaire de nomadisme, se demande comment tout cela a bien pu commencer.
Melting pot californien
Il ne fallut pas longtemps avant que j’explore, à pas prudents et sans me défaire de l’arsenal critique de mon éducation chez les jésuites, les divers tropismes asiatiques qui fleurissaient sur la Côte Ouest. Des douleurs dans le dos m’amenèrent au Taï-Chi, pus tout doucement à découvrir le Taoïsme (ou, en tout cas, la version californienne d’Alan Watts, nomade intellectuel et spirituel par excellence*, tandis qu’une amie américaine qui ne jurait que par le post-modernisme m’introduisit au Yi-Jing, le plus ancien texte chinois (j’eus vite mon exemplaire du Traité canonique des mutations, que je ne manquais pas de consulter régulièrement en lançant trois anciennes pièces de monnaie chinoises).
Non … Oui … Et moi, émoi !
Cela devait sans doute arriver tôt ou tard: une élève à qui je donnais des cours de français, et qui voulait enrichir son vocabulaire « horticultural », m’emmena un jour visiter les jardins du monastère Zen de Green Gulch au bord du Pacifique, un peu au nord de San Francisco. En partant elle m’expliqua que celui qui voulait, pouvait venir et participer aux pratiques du dimanche matin; après une introduction à la méditation venaient l’exposé du Père Abbé et un thé suivi d’une discussion ouverte. On s’éloignait des livres et on s’approchait de la vie. Ma première visite fut mémorable.
Pour l’exposé je me trouvais dans une grande pièce fraîche, assis sur une froide chaise en métal, l’esprit transi par la peur d’être bientôt victime d’un lavage de cerveau insidieux (c’était l’époque par exemple de la secte Moon et le mot abbé n’avait pas beaucoup de connotations positives dans mon univers mental).
Première fissure dans mon armure: arriva, vêtu d’une robe de moine bouddhiste, un américain relativement jeune qui s’adressa à l’assistance de manière plutôt familière. Seconde fissure: À un moment il évoqua les discussions qu’il avait régulièrement avec deux de ses meilleurs amis dont l’un, glissa-t-il, était rabbin et l’autre, moine dominicain (j’étais abasourdi; je n’avais jusque-là pas imaginé que ces espèces puissent dialoguer). Troisième, et dernière fissure: pendant la séance de discussion un participant posa une longue question, fort intellectualisée, sur la relation entre la métempsychose et je ne sais plus quel élément de doctrine. Le vieux moine qui présidait se tint coi pendant près d’une minute, puis dit: « Non ». Après un autre long silence: « Oui ». Enfin, après encore un silence, il énonça: « Vous pouvez bien croire ce que vous voulez ».
Mon nomadisme spirituel avait soudain du vent dans les voiles.
* J’ai lu à l’époque Dao: The Watercourse Way, malheureusement non traduit en français
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