Des origines d’un nomadisme: Les carnets d’ailleurs de Marco et Paula #180

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Marco, en congé temporaire de nomadisme, se demande comment tout cela a bien pu commencer.

Je demande parfois d’où me vient cette tendance au nomadisme que nous chroniquons. Je n’ai pas souvenir d’avoir rêvé enfant d’explorations et d’aventures dans des contrées exotiques. Je m’évadais plutôt dans les livres, à tel point que je me souviens les avoir parfois lus en marchant dans la rue. Et c’est sans doute par les livres que je vins au nomadisme, qui, pendant longtemps, fut principalement de chaise longue.

Melting pot californien 

Au milieu des années 80, j’émigrais en Californie, qui était alors plus connue pour ses styles de vie « alternatifs » et ses intellectuels non-conformistes que pour la haute technologie. San Francisco était un vrai bouillon de culture, dans lequel se mélangeaient des souvenirs de la culture hippie de Haight-Ashbury, les expérimentations psycho-spirituelles de l’Institut Esalen à Big Sur, la floraison de la culture gay, un solide noyau de bouddhisme Zen et de disciplines comme le Taï-Chi et l’Aïkido, ainsi que la rigueur et l’esprit innovateur des professeurs des universités de Berkeley et Stanford. C’était un joyeux monde, suffisamment hétéroclite pour permettre l’éclosion – peut-être – d’un nouveau monde (celui-là même que rejette les électeurs de Trump).
 
Il ne fallut pas longtemps avant que j’explore, à pas prudents et sans me défaire de l’arsenal critique de mon éducation chez les jésuites, les divers tropismes asiatiques qui fleurissaient sur la Côte Ouest. Des douleurs dans le dos m’amenèrent au Taï-Chi, pus tout doucement à découvrir le Taoïsme (ou, en tout cas, la version californienne d’Alan Watts, nomade intellectuel et spirituel par excellence*, tandis qu’une amie américaine qui ne jurait que par le post-modernisme m’introduisit au Yi-Jing, le plus ancien texte chinois (j’eus vite mon exemplaire du Traité canonique des mutations, que je ne manquais pas de consulter régulièrement en lançant trois anciennes pièces de monnaie chinoises).

 

Non … Oui … Et moi, émoi !

Cela devait sans doute arriver tôt ou tard: une élève à qui je donnais des cours de français, et qui voulait enrichir son vocabulaire « horticultural », m’emmena un jour visiter les jardins du monastère Zen de Green Gulch au bord du Pacifique, un peu au nord de San Francisco. En partant elle m’expliqua que celui qui voulait, pouvait venir et participer aux pratiques du dimanche matin; après une introduction à la méditation venaient l’exposé du Père Abbé et un thé suivi d’une discussion ouverte. On s’éloignait des livres et on s’approchait de la vie. Ma première visite fut mémorable.
 
Pour l’exposé je me trouvais dans une grande pièce fraîche, assis sur une froide chaise en métal, l’esprit transi par la peur d’être bientôt victime d’un lavage de cerveau insidieux (c’était l’époque par exemple de la secte Moon et le mot abbé n’avait pas beaucoup de connotations positives dans mon univers mental).
 
Première fissure dans mon armure: arriva, vêtu d’une robe de moine bouddhiste, un américain relativement jeune qui s’adressa à l’assistance de manière plutôt familière. Seconde fissure: À un moment il évoqua les discussions qu’il avait régulièrement avec deux de ses meilleurs amis dont l’un, glissa-t-il, était rabbin et l’autre, moine dominicain (j’étais abasourdi; je n’avais jusque-là pas imaginé que ces espèces puissent dialoguer). Troisième, et dernière fissure: pendant la séance de discussion un participant posa une longue question, fort intellectualisée, sur la relation entre la métempsychose et je ne sais plus quel élément de doctrine. Le vieux moine qui présidait se tint coi pendant près d’une minute, puis dit: « Non ». Après un autre long silence: « Oui ». Enfin, après encore un silence, il énonça: « Vous pouvez bien croire ce que vous voulez ».
 
Mon nomadisme spirituel avait soudain du vent dans les voiles.

 

Méditation à Green Gulch

* J’ai lu à l’époque Dao: The Watercourse Way, malheureusement non traduit en français 

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